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03.12.2015
Régionales 2015 : la sélection sociale des candidats
L’analyse des données fournies par le ministère de l’Intérieur permet de brosser un premier tableau du profil social et professionnel des 21 456 candidats qui se présentent aux élections régionales de 2015. Les conseillers régionaux étant censés représenter les territoires dans toute leur diversité, il est important de connaître la nature réelle de l’offre politique locale. De la même façon, les régions étant appelées à développer leurs compétences économiques, la question se pose également de savoir en quoi les élites économiques locales investissent ces élections.
Pour répondre à ces interrogations, il a fallu prendre un certain nombre de précautions méthodologiques, notamment en vérifiant l’identité politique des listes et, dans la mesure du possible, en précisant le plus possible la réalité des métiers ou des anciens métiers exercés par les candidats. On a ainsi codé les retraités en fonction de leur ancienne profession.
Une diversité sociale restreinte
Le premier constat est que la présence moyenne des élites économiques locales est assez ténue. Les représentants du patronat, des dirigeants de PME ou des professions libérales comptent en moyenne pour 11 % des candidats, essentiellement concentrés sur les listes centristes ou LR (Les Républicains).
Par ailleurs, la diversité sociale est assez restreinte car on ne rencontre, au total, que 3 % d’ouvriers du secteur privé ou 12 % d’employés du secteur privé. La part des professions modestes varie sensiblement, là aussi, d’une étiquette à l’autre, mais ne correspond jamais à sa distribution moyenne dans la population active française. Sauf sur les listes d’extrême gauche (41 %), qui ne constituent elles-mêmes que 11 % de l’ensemble de l’offre électorale et dont les probabilités de victoire électorale sont très faibles.
Dans les autres listes, cette proportion oscille entre un maximum de 35 % sur les listes FN ou d’extrême-droite, qui confirment leur ancrage populaire, ou 31 % sur les listes FDG ou PCF et un minimum de 15 % sur les listes LR et même de 14 % sur les listes PS.
Forte présence des enseignants… à gauche
Le second point tient à la forte présence des candidats travaillant dans le secteur public, qui constituent à eux seuls le tiers de l’offre électorale. Parmi ces derniers, la proportion de cadres des trois fonctions publiques est faible (3,5 % des candidats), tout comme celle des cadres des entreprises publiques (1,5 %). En revanche, l’ensemble du monde enseignant (premier et second degrés, universitaires de rang A et B) représente à lui seul 13,3 % de toutes les candidatures.
Le groupe des cadres du public (qui intègre les enseignants du second degré et du supérieur comme les permanents politiques) représente plus du tiers des candidatures des listes PS (34 %), mais aussi 23 % des candidatures des listes écologistes ou FDG et encore 18 % des listes LR. Cette proportion est la plus basse au sein des listes FN (7 %).
La présence des représentants du monde enseignant est fortement dichotomisée entre les listes de gauche et les listes de droite. Elle constitue un marqueur d’identité politique, mais aussi de recrutement partisan. À gauche, les enseignants constituent en moyenne 20 % de toutes les listes (à l’exception des listes divers gauche qui sont à un étiage plus bas, à 15 %), alors qu’ils n’en constituent que 8 % en moyenne pour les listes de la droite parlementaire. Leur proportion est, là encore, la plus basse sur les listes FN (5 %).
Des professionnels de la vie politique locale
Cette présence massive d’agents publics constitue le signe d’une professionnalisation de la vie politique locale qui s’est affirmée dans l’interface toujours un peu floue des emplois politiques locaux et de la fonction publique territoriale, comme on a pu le montrer en examinant les profils des conseillers régionaux élus en 2010.
Les variations introduites par l’appartenance régionale existent, mais sont souvent d’amplitude moindre que celles qui sont dues aux étiquettes partisanes. Contrairement aux idées reçues, on observe que la proportion de salariés du secteur public est basse en Ile-de-France (28 %), malgré la concentration des services publics et surtout des ressources scolaires.
En revanche, elle est forte dans la plupart des départements d’outre-mer (38 % en Guyane, 40 % à la Martinique) qui se caractérisent également par de faibles proportions de candidats salariés du secteur privé, moins présents que les petits indépendants (notamment artisans, commerçants).
L’émergence de « gouvernements locaux »
Troisième observation : il existe un véritable phénomène de sélection sociale des candidats en fonction de leur place sur les listes, mais aussi de leur ancienneté dans la vie politique. Les candidats sortants sont ainsi 45 % à relever de catégories professionnelles supérieures alors que l’ensemble des candidats n’y appartiennent en moyenne qu’à hauteur de 28 %. De la même façon, la part des cadres du public double puisque l’on passe d’une moyenne de 16 % chez tous les candidats à 33 % chez les seuls sortants. Cette sélection est encore plus franche pour les têtes de liste qui appartiennent à 51 % aux catégories professionnelles supérieures, à 40 % aux catégories moyennes et à 9 % aux catégories populaires.
La distorsion dans la représentativité sociale s’accentue à mesure que s’accroît l’expérience politique valorisée et valorisable. Cette distorsion sociale nourrit elle-même une distorsion en termes de genre puisque les femmes ne sont têtes de liste qu’en proportion de 22 %.
On mesure ainsi la réalité sociale de la décentralisation. Si l’on a pu parler, autrefois, de « gouvernance » locale supposant une pluralité d’acteurs en interaction, il faut bien prendre en considération désormais les phénomènes structurants que constituent les carrières politiques locales, à l’image de la professionnalisation du personnel politique.
Le profil des candidats aux régionales de 2015 répond, en grande partie, de celui des élus de 2010, mais aussi de celui que l’on a pu mettre au jour pour les maires des grandes villes. Ce phénomène évoque le développement de « gouvernements locaux » comme il pose la question de l’ouverture des carrières politiques aux non professionnels et celle de la diversification de l’offre politique.
In fine, cette dimension peut expliquer la croissance des taux d’abstention et du désintérêt pour la politique.
par Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Cevipof
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.