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20.08.2015
Rula Ghani, première dame afghane engagée et diplômée de Sciences Po
Rula Ghani occupe, depuis un an, le rôle prestigieux de première dame d’Afghanistan. À 67 ans, l’épouse du président Ashraf Ghani incarne de manière exemplaire le multiculturalisme dans un pays dont ça n’est pas précisément la culture dominante.
Libanaise d’origine, née Rula Saade, maronite donc chrétienne d’héritage, elle possède les nationalités libanaise, américaine et afghane, son pays d’adoption. Figure emblématique de la mondialisation avant l’heure, elle a été formée à l’école française, dont elle dit aujourd’hui avoir gardé « une façon de penser très logique, très cartésienne ».
Avant d’intégrer Sciences Po, elle passe une partie de sa scolarité et son bac en France. Ses années parisiennes l’ont d’autant plus marquée qu’elle a côtoyé les barricades de mai 68. Trop jeune pour en prendre toute la mesure, elle affirme malgré tout avoir été durablement inspirée par l’esprit de mai 68. Le prestigieux diplôme en poche, elle retourne à Beyrouth pour y intégrer l’université américaine et obtenir un master de sciences politiques.
C’est là, dans la capitale libanaise, qu’elle fait la connaissance de son mari, Ashraf Ghani. Ils se marient en 1975, ont deux enfants: Mariam et Tarek. Alors commence pour le couple une longue période américaine de trente ans. À New York, elle décroche le master de journalisme de l’université de Columbia. Puis s’occupera de nombreuses associations caritatives, dont une particulièrement (l’ONG Ashiana) qui tente d’adoucir la condition des enfants des rues afghans.
Un espoir et un exemple
Voilà comment et pourquoi Rula Ghani parle couramment, et en toute simplicité, cinq langues : le dari (la langue afghane), l’arabe, le pachtoune, le français et l’anglais. Comment fait-on pour gérer toutes ces influences culturelles ? «Il y a deux façon de réagir, dit-elle, une façon est de choisir une seule identité et s’y accrocher, une autre est d’embrasser toutes les identités.» Elle a clairement opté pour la seconde hypothèse. Car la première solution conduit presque mécaniquement à des formes de violence, estime-t-elle en substance.
C’est cette conception de l’ouverture qui lui permet d’être une première dame active et engagée dans un pays que cette tradition a jusqu’alors ignoré. Dans son discours d’investiture, le président Ashraf Ghani a remercié publiquement et ostensiblement son épouse pour son soutien dans la campagne. Il l’a en quelque sorte intronisée. Une première en Afghanistan.
Depuis, Rula occupe une place publique, se montre à la télévision, dirige dans une aile du palais présidentiel une équipe (essentiellement féminine), concentrée sur l’éducation, les femmes et les réfugiés. La première dame de Kaboul, modèle d’émancipation, incarne ainsi pour toute une génération de femmes afghanes un espoir et un exemple. Elle démontre avec subtilité et autorité, qu’au pays du niqab, on peut être un esprit libre et défendre la cause des femmes en respectant les valeurs de son pays d’adoption. Sans forcément s’y soumettre.
Par Marc Jézégabel, journaliste, directeur de la rédaction de Forbes Afrique, membre du conseil d'orientation d'Émile Boutmy Magazine.
Article issu du numéro 12 (juin 2015) d'Émile Boutmy Magazine, publié avec l'aimable autorisation de l'association des Sciences Po.