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25.04.2016

Les sciences sociales après les attentats

La recherche française en sciences humaines ne manque pas de chercheurs à même d'éclairer les questions liées de près ou de loin au terrorisme islamiste, et le CERI de Sciences Po en est un bel exemple. Mais après les attentats cette recherche doit miser davantage encore sur l'interdisciplinarité et les programmes collaboratifs pour saisir le phénomène djihadiste dans toute sa complexité. Une tribune signée Alain Dieckhof, directeur du CERI. 

Les attentats qui ont endeuillé la France, et plus récemment Bruxelles, par-delà la sidération qu’ils ont produite, mettent la communauté scientifique au défi : celui de comprendre avec toute la rigueur et la profondeur nécessaires cette éruption de violence qui est à l’œuvre au cœur même de nos sociétés démocratiques. Disposons-nous, pour effectuer cet indispensable effort de compréhension, de ressources intellectuelles à la fois suffisantes et adéquates ? C’est à répondre à cette question que s’est attaché Alain Fuchs, président de l’Alliance nationale des sciences humaines et sociales (Athena) – et par ailleurs président du CNRS – dans le récent rapport "Recherches sur les radicalisations (pdf,1,9 Mo)" remis au Secrétaire d’État chargé de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Thierry Mandon. De la lecture de ce rapport on peut tirer une série de conclusions.

La nécessité d'une approche résolument pluridisciplinaire

La première est que la recherche française peut aligner un bel ensemble de chercheurs qui travaillent sur les différentes thématiques liées, à des degrés divers, aux tragiques événements des quinze derniers mois (radicalisation violente, terrorisme, études sur l’Islam contemporain et le Moyen-Orient, laïcité, intégration...). Pour ce qui concerne le Moyen-Orient, les chercheurs du CERI sont d’ailleurs évoqués en bonne place dans le rapport, preuve s’il en était besoin que la recherche sur le terrain à laquelle notre laboratoire a toujours accordé une place centrale est indispensable pour développer une connaissance "située" des réalités politiques et sociales.

La deuxième conclusion est qu’il convient de développer une approche résolument interdisciplinaire pour saisir dans toutes ses facettes les ressorts de cette violence djihadiste.

L’idéologie, la religion, le contexte social et politique, la personnalité, et bien d’autres facteurs, comptent à l’évidence dans cette dérive violente. Politistes, sociologues, anthropologues, psychologues, voire spécialistes de la communication et autres, offrent des éléments d’explication mais l’explication globale ne peut émaner que d’une coopération vertueuse qui dépasse les frontières disciplinaires. Le développement de programmes de recherche collaborative apparaît donc comme une impérieuse nécessité.

La troisième conclusion est qu’il est indispensable de renforcer des objets de recherche insuffisamment abordés (propagande, sécurité, comportement, etc.), afin de développer des approches innovantes qui empruntent des chemins moins balisés. Il serait entre autres précieux de travailler à nouveaux frais sur l’idéologisation de la religion – ce qu’on a appelé un temps le fondamentalisme – qui joue un rôle non négligeable dans les phénomènes actuels. Sur cette question, les chercheurs du CERI ont des choses à dire, individuellement comme collectivement.

Améliorer les interactions entre recherche et décideurs politiques

Enfin, il est certainement nécessaire d’améliorer les interactions entre le monde de la recherche et celui des décideurs politiques, ces deux mondes fonctionnant encore trop souvent en parallèle. Il ne s’agit évidemment pas de rendre la recherche dépendante d’attentes politiques quelconques ; il s’agit simplement de faire en sorte que les résultats des recherches, avec leurs capacités d’explication et d’analyse, soient plus aisément transférés vers les décideurs (et le public de façon plus large) afin de constituer de véritables outils d’aide à la décision et à l’action. Dans cet esprit, le rapport Athena propose la création d’une interface opérationnelle (Athena-transfert) ainsi que d’un conseiller référent, ayant la responsabilité de coordonner la mise en œuvre des résultats de la recherche. J’ajouterais que les sujets internationaux abordés par nos chercheurs ont offert au CERI une longue habitude de dialogue avec certaines administrations publiques qu’il serait aisé de consolider encore.

Les attentats de 2015-2016 en France et en Belgique n’ont pas été un épiphénomène. Ils obligent les chercheurs en sciences sociales à approfondir certaines pistes de recherche, à en emprunter d’autres, à croiser les approches, à multiplier les coopérations internationales avec toujours le souci de mieux comprendre ce monde en mutation et ses turbulences.

par Alain Dieckhoff, directeur du CERI, directeur de recherches CNRS

Pour aller plus loin :

À relire sur le site de Sciences Po :

Légende de l'image de couverture : @Miguel Discart, Flickr, CC BY-SA 2.0