21.03.2025
Ce mois de mars 2025 marque dix ans de guerre au Yémen. Depuis quelques semaines, le président Donald Trump a lancé, en partenariat avec les Britanniques et les Israéliens, de nouveaux bombardements sur le pays.
Découvrez, à travers ses mots, le parcours de Maeen Al-Dahbali, étudiant du Certificat professionnel en sciences humaines et sociales pour Jeunes Réfugiés de Sciences Po.
« Réfugié politique originaire du Yémen, je vis en France depuis 2023. Avant mon arrivée, j'étais engagé dans le domaine humanitaire, pour les droits des enfants. Mon travail m’a exposé à de graves dangers, dont une tentative d’assassinat durant laquelle j’ai été blessé par balles. Mon parcours migratoire a été extrêmement difficile, mais intégrer le Certificat représente pour moi une véritable renaissance. »
Maeen Al-Dahbali
J’ai toujours gardé un objectif depuis mon arrivée en France, celui de montrer que les réfugiés de mon pays ont des familles et des amis qui sont restés au Yémen. On ne parle pas assez de la situation, c’est comme si mon pays n’existait pas, et ça me touche beaucoup. J'étudie à Sciences Po depuis la rentrée 2024 et je trouve que c’est le bon endroit pour parler de ce conflit, de politique.
J'ai grandi à Taëz au Yémen. Après avoir obtenu l'équivalent du baccalauréat et une formation en gestion de projets, je suis devenu gouverneur d'enfants dans ma ville, c'est un poste qui existe dans les zones de conflit pour faire le lien entre les ONG internationales et les associations locales, pour garder le contrôle sur les aides distribuées. Il y a un million d'enfants des rues à Taëz. L'armée recrute dans les orphelinats, alors les enfants préfèrent trainer dans la rue, et finissent souvent par s'enrôler malgré tout… Il n'y a presque plus d'écoles, de toute façon.
J'ai cherché des bâtiments pour les héberger et recruté des professeurs pour les éduquer. Un grand événement a été lancé pour présenter notre projet et nos valeurs. Cela m'a rendu très visible auprès des groupes politiques qui se disputent le pouvoir dans la ville. J'ai d'abord été approché pour leur confier la gestion des fonds, j'ai refusé. Dès la première année, j'ai été la cible d'une première attaque. On m'a tiré trois balles dessus, en pleine nuit. Le gouverneur de la ville m'a approché directement pour me proposer d'être remplacé. J'ai alors fait le choix de ne pas rester à l'hôpital, pour pouvoir continuer mon travail.
Un ami de confiance m'a rejoint, pour que je ne sois plus sans protection. Un calme apparent étant revenu, nous avons lancé un second projet, un grand jardin gratuit à destination des orphelins. C'est à ce moment-là qu'a eu lieu la seconde attaque. J'étais en voiture avec mon ami, qui a perdu la vie, sur le siège à côté du mien. Le gouverneur a envoyé une voiture pour m'emmener à l'hôpital et a proposé de me mettre en sécurité, j'ai naïvement accepté. Les entretiens que j'ai accordés aux médias ont eu l'air de déranger. Sous prétexte de préparer mes papiers pour un départ vers l'Arabie saoudite, on m'a pris mon passeport et jeté en prison.
Mon emprisonnement n'a duré « que huit mois » grâce à la mobilisation des habitants de Taëz. Ils n'ont pas été découragés par les changements de lieu, je crois que j'ai fait toutes les prisons du Yémen ! Je ne veux pas reparler de ce que j'ai subi à cette période. La chance que j'ai eue, c'est de pouvoir faire sortir une vidéo qui est devenue virale. L'État a dû me libérer en feignant l'ignorance. À la suite d'une manifestation des enfants dont je m'occupais devant la mairie de la ville, qui a reçu une grande couverture médiatique, on m'a forcé à partir. On m'a fait comprendre qu'il n'y aurait pas de troisième chance.
J'ai dû quitter mon pays pour l’Égypte, seul, sans soutien. J'ai demandé des visas auprès de toutes les ambassades et organismes. J'ai suivi quelques pistes qui ont échoué, avec les Pays-Bas, la Suisse, la Hongrie. L'ambassade des États-Unis ne m'a même pas laissé franchir la porte. Je me suis retrouvé dans une situation intenable qui a duré plus d'un an : je devais payer 150 euros tous les trois mois pour obtenir une carte de séjour égyptienne qui m'interdisait de travailler.
Des connaissances m'ont alors parlé d'un visa humanitaire délivré par la France. J'avais peu d'espoir, je me disais : « Je n'écoute jamais de chansons françaises ». Mais le contact a été très différent. La personne qui m'a reçu est venu me chercher à la porte de l'ambassade, il a essayé de parler en arabe, il m'a offert un café. Cette rencontre m'est apparue comme un miracle. Mon interlocuteur a compris qu'il y a certains événements de ma vie, trop durs, dont je ne pouvais pas parler, il n'a pas insisté car il avait pris le temps de s'informer sur mon histoire.
À mon arrivée à Paris en avril 2023, l'équipe de l'ambassade avait tout organisé pour qu'un taxi m'emmène au centre d’accueil des demandeurs d’asile. J'ai eu par la suite des difficultés avec l'Action sociale qui ne comprenait pas que je ne pouvais pas facilement travailler et que je désirais continuer mes études. Depuis mon attaque, j'ai toujours des douleurs au bras, les médecins m'ont confirmé qu'elles ne partiront pas. Grâce à l'application Réfugiés, j'ai pris connaissance du Certificat professionnel en sciences humaines et sociales pour Jeunes Réfugiés de Sciences Po. J'ai été rassuré qu'il n'y ait pas de niveau minimum de français pour pouvoir postuler.
Je ne pensais pas que je méritais une place dans le Certificat, mais Valérie, une Française rencontrée à mon arrivée qui m'accompagne dans mes démarches, m'a dit : « tu ne parles pas encore parfaitement français mais tu as un projet, qui te tient à cœur, Sciences Po va le comprendre ». Et j'ai été accepté pour la rentrée de septembre 2024, un mois avant mes 25 ans. Le Certificat m'a aussi permis de trouver un logement en résidence universitaire. Après le Certificat, j'aimerais effectuer un master en science politique.
Je souhaite créer une ONG internationale pour aider les habitants de mon pays. Peu de gens savent ce qu'il s'y passe, mais quand je raconte mon histoire, j'ai l'impression qu'elle interpelle. Il faut savoir que le pouvoir des médias, des réseaux sociaux est immense au Yémen. Les dirigeants craignent l'information. À l'heure actuelle, neuf personnes différentes se considèrent comme le président du Yémen.
Ici, je n'ai plus peur des répercussions. Un professeur de géographie m'a proposé de travailler sur un projet avec le Musée de l’immigration. Une vidéo a été réalisée pour expliquer mon parcours, pour laisser une trace de moi. Je leur ai offert mon visa humanitaire, qui a été si long à obtenir.
Si je suis parti du Yémen, c'est pour parler de mon pays, sinon tout cela n'aura servi à rien. Mon vœu est que l'on se souvienne de ce que j'ai fait, quand je ne serai plus là.
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