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29.08.2021
Durant la pandémie les téléconsultations pour IVG ont explosé, et ce n’est pas uniquement à cause du virus
La pandémie de coronavirus a modifié l’accès à l’avortement dans de nombreux endroits du monde. Alors que les confinements et autres restrictions ont compliqué la prise de rendez-vous pour interrompre les grossesses non désirées, les gouvernements de certains pays ont choisi de faciliter l’accès à l’avortement médicamenteux à domicile. En France, le gouvernement a temporairement modifié la loi en avril 2020, étendant le délai légal de recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) pratiquée par voie médicamenteuse par un médecin ou une sage-femme à sept semaines de grossesse (ou neuf semaines depuis les dernières règles). Les IVG par voie médicamenteuse effectuées par téléconsultation (IVG réalisée à domicile avec l’assistance téléphonique ou vidéo d’un professionnel de santé) sont par ailleurs autorisées jusqu’en septembre 2021. Des mesures similaires ont été adoptées en Angleterre, en Écosse, au Pays de Galle et en Irlande (EN), ainsi que dans certains états des États-Unis.
Mes collègues et moi-même avons analysé la croissance de la demande pour ces IVG par téléconsultation en France pendant l’année 2020, notamment durant les confinements. Nos résultats (EN) révèlent que les raisons avancées par les personnes ayant recours à ce type d’avortement ne sont pas uniquement en lien avec la situation pandémique.
Discrétion, respect de la vie privée et commodité
Au cours de notre étude, nous avons analysé les résultats de consultations menées en France par Women on Web, une organisation non gouvernementale canadienne spécialisée dans les IVG par télémédecine, qui opère à l’international. Chacune de ces consultations consistait en une série de 25 questions portant sur l’historique démographique et médical des patientes. Des questions à visée de recherche étaient également incluses dans le questionnaire. Elles portaient notamment sur ce que les répondantes considéraient comme des obstacles s’opposant à leur accès aux établissements pratiquant l’avortement, ainsi que sur les raisons motivant leur recours à la télémédecine dans un contexte d’IVG.
En France, il est aussi possible de recourir à l’IVG à domicile en passant par le système de santé, cependant nous n’avons pas eu accès aux données de cette cohorte nationale pour notre étude. Dans le cadre de nos travaux, nous avons donc utilisé uniquement les données (anonymisées) collectées par Women on Web en 2020.
L’analyse des réponses recueillies au cours de 809 consultations a révélé que les principales raisons pour lesquelles les personnes interrogées en France recouraient à l’avortement par télémédecine étaient la discrétion (46 %), le respect de la vie privée (38 %) et la commodité (35 %). Seules 31 % des répondantes à l’enquête ont indiqué que les motivations de leur recours à l’IVG par télémédecine étaient liées à la pandémie : ces participantes ont indiqué n’avoir pas pu accéder aux établissements de santé pratiquant l’IVG en raison des restrictions de déplacement et des confinements, du manque de disponibilité et des délais de rendez-vous, ainsi qu’en raison de la peur d’être contaminées par le virus.
Lorsque nous avons comparé l’ensemble des réponses fournies pour les consultations « au motif Covid-19 » à celles des autres consultations, il s’est avéré que les principaux moteurs du recours à la télémédecine pour l’IVG étaient en définitive les mêmes dans les deux cas : discrétion, respect de la vie privée et commodité.
Nous avons également constaté que les femmes âgées de 18 à 25 ans étaient deux fois plus susceptibles que les femmes âgées de plus de 36 ans de considérer le recours à l’IVG à domicile par téléconsultation comme une source d’autonomisation. Les patientes de 18 à 25 ans étaient également trois fois plus susceptibles de préférer avoir quelqu’un avec elles pendant la procédure. Les femmes de ce groupe d’âge déclaraient également deux fois plus que les autres ressentir une stigmatisation à l’égard de l’avortement, et rencontrer des difficultés financières lors de l’accès aux soins liés à l’avortement en France.
Cette étude a montré que lorsque les femmes tentent d’accéder à l’avortement en France, elles font encore face à diverses contraintes, que ce soit au niveau macro (situations sociopolitiques, restrictions légales, limites de durée), au niveau individuel (circonstances et préférences personnelles) ou en matière de prestataires (questions autour de la prestation, accès aux soins).
Parmi les raisons de recourir à l’IVG « en ligne », les femmes interrogées ont notamment fait état de difficultés financières, de comportements abusifs de la part de leur partenaire ou de leur famille, d’expériences passées traumatisantes, de rendez-vous donnés trop tardivement, de prestataires portant des jugements sur leur situation, et d’une indisponibilité de soins médicaux.
La nécessité d’avortements autogérés
Au cours des derniers mois, l’avortement par téléconsultation a été souvent débattu dans le contexte de la pandémie de Covid-19. Il ne s’agit toutefois pas d’une pratique nouvelle, et les preuves de sa sécurité, de son efficacité et de son acceptabilité sont aujourd’hui largement disponibles (EN).
Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les patientes sont à même de gérer leurs IVG sans supervision directe d’un professionnel de santé jusqu’à 12 semaines de grossesse (EN). L’OMS souligne plusieurs raisons pratiques qui sont autant d’avantages au recours à ce type d’avortement : acte plus facile à programmer, réalisé à domicile donc dans un cadre plus susceptible de procurer du réconfort, fin de la nécessité de se déplacer et de trouver un moyen de transport, gestion facilitée de la stigmatisation à laquelle font parfois face les personnes qui recourent à l’IVG.
Au Royaume-Uni, il a été argué que la télémédecine peut permettre d’élargir l’accès à l’IVG dans les zones rurales (EN). Cette pratique pourrait bénéficier aux femmes les plus vulnérables, qui vivent dans la pauvreté et font face à des niveaux plus élevés de stigmatisation et de jugement.
Pourtant, en dépit des recommandations de l’OMS et d’un nombre croissant de preuves scientifiques, jusqu’à la survenue de la pandémie de Covid-19 les pays ont été réticents à autoriser l’utilisation à domicile de la pilule abortive. Avant l’émergence du coronavirus, l’utilisation des pilules abortives était très réglementée, voire selon certains, sur réglementée (EN).
En France, par exemple, avant la pandémie, les pilules abortives n’étaient pas disponibles en pharmacie. Les femmes qui souhaitaient y recourir devaient se rendre dans un établissement de santé, et les prendre en présence d’un médecin ou d’une sage-femme. Les IVG étaient autorisées seulement jusqu’à 5 semaines de grossesse, et le recours à la téléconsultation n’était pas autorisé.
Aux États-Unis, la Food and Drug Administration, qui a notamment pour mandat d’autoriser la commercialisation des médicaments, préconise que l’abortif Mifepristone doit être dispensé à la personne à laquelle il est destiné uniquement dans certains établissements de soins de santé, par l’intermédiaire d’un prescripteur agréé – une exigence qui n’a été levée que temporairement pendant la pandémie.
Une étude récente (EN) menée au Royaume-Uni a montré que les avortements par télémédecine pendant la pandémie ont permis de réduire les délais d’attente et de pratiquer des interruptions de grossesse à des âges gestationnels plus précoces. Une autre étude (EN) portant sur l’avortement à domicile en Écosse a conclu que la télémédecine est très efficace, et très bien acceptée par les femmes.
Nos travaux dans le contexte français ajoutent encore à cette littérature scientifique, suggérant qu’il y a tout lieu d’étendre le recours à l’IVG par téléconsultation au-delà de la période de pandémie actuelle. La mise en place d’un modèle hybride, proposant à la fois des protocoles d’IVG en clinique et à distance, pourrait contribuer à mieux répondre aux besoins des femmes, en élargissant l’accès aux soins ainsi que leur qualité. width="1" height="1">
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.