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22.11.2023

Étudier la controverse autour de l'avortement

Les droits en matière de sexualité et de reproduction évoluent asymétriquement au sein de l'Union européenne. Ces droits demeurent un sujet de discussion controversé, suscitant des débats intenses. Le 1er décembre 2023, le Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre de Sciences Po organise un symposium sur les droits sexuels et reproductifs en Europe. Afin de mieux comprendre les objectifs de cet évènement scientifique, ses deux organisatrices, Hélène Périvier, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), et Hazal Atay, post doctorante au Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (LIEPP), ont répondu à quelques questions.

Qu'est-ce qui a inspiré la création de ce symposium ?

Hélène Périvier : Au niveau international, des forces conservatrices opposées aux droits reproductifs, en particulier au droit à l'avortement, se sont renforcées au cours des deux dernières décennies. Celles-ci semblent être bien organisées et financées. Leur récit est conçu pour convaincre un grand nombre de citoyennes et de citoyens que les droits reproductifs, et plus largement les droits des femmes et des personnes LGBTQ+, représentent une régression pour les sociétés modernes. En ce sens, la recherche a beaucoup à apporter pour soutenir les mouvements progressistes et montrer comment ces droits sont essentiels pour l'égalité : le droit de contrôler son propre corps est une condition nécessaire pour garantir les droits politiques, sociaux et économiques. Dans l'Union européenne, la législation concernant le droit à l'avortement est hétérogène. Il est surprenant de constater que même dans ce contexte démocratique, rien ne peut être considéré comme acquis. L'une des motivations derrière ce symposium est de partager les connaissances scientifiques de différents domaines, sciences sociales, mais aussi sciences médicales, juridiques, etc., et de tracer une nouvelle voie pour la défense de ces droits. La recherche produit des connaissances riches et diverses qui éclairent les décisions politiques et fournissent de nouveaux outils de plaidoyer pour promouvoir les droits des femmes. Je saisis cette opportunité pour remercier chaleureusement ma collègue Hazal de m'avoir demandé de travailler avec elle sur ce sujet et de co-organiser cet événement !

Hazal Atay : Des changements significatifs ont eu lieu dans le paysage juridique et politique autour du droit à l’avortement pendant et depuis la pandémie de Covid-19. La France a été l'un des premiers pays, avec le Royaume-Uni, à autoriser l'avortement médical par téléconsultation pour garantir l'accès à l'avortement pendant la pandémie et au milieu des confinements. Afin de comprendre ce changement de politique en 2020, nous avons mené un projet de recherche au Laboratoire d'évaluation interdisciplinaire des politiques publiques de Sciences Po avec Hélène Périvier et Kristina Gemzell-Danielsson : il visait à comprendre ce qui conduisait un certain nombre de femmes à choisir un avortement par téléconsultation en France, au-delà des contextes liés à la pandémie. Nos conclusions suggèrent que les individus choisissent l'avortement par téléconsultation non seulement en raison des confinements, mais aussi parce que la télémédecine leur permet de contourner d'autres obstacles rencontrés dans l'accès aux soins et parce qu'ils la considèrent comme émancipatrice. Cela nous a fait réaliser que le paysage juridique et politique de l'avortement est non seulement en retard par rapport aux innovations technologiques et scientifiques en matière de prestation de soins, mais également qu’il est déconnecté des expériences et des préférences des femmes. En avançant jusqu'en 2023, et compte tenu de tous les changements que nous avons observés depuis la pandémie, nous avons pensé qu'il était largement temps d'organiser un symposium interdisciplinaire pour discuter de l'état des savoirs scientifiques sur l'avortement et également mettre à jour la "controverse autour de l'avortement" à la lumière des récents changements juridiques et politiques et des recherches scientifiques.

Pourquoi avez-vous adopté une approche interdisciplinaire ?

Hazal Atay : L'accès à l’avortement est un droit humain fondamental, crucial pour l'autonomisation économique et sociale des femmes. En dépit de sa nature polymorphe et de ses répercussions sur la vie des femmes et sur les sociétés en général, l'avortement est fréquemment cantonné au cadre médico-légal ou résumé à un dilemme moral. Cette perspective est limitée : elle ne reflète convenablement les expériences de celles qui ont recours à l'avortement ou souhaitent y recourir. Nous devons dépasser ces limites pour comprendre quel rôle joue vraiment l'avortement dans la vie des gens, et quel impact les droits à l'avortement et l'accès à celui-ci ont sur les sociétés en général. Cela nécessite une approche interdisciplinaire. La perspective de justice reproductive devrait également nous permettre de faire progresser cela, car elle encourage à dépasser le “paradigme du choix” dominant et de s’éloigner d’une focalisation trop limitée. Avec ce symposium, nous voulons aller de l'avant et adopter une approche interdisciplinaire de l'avortement pour comprendre ce qu’il représente en termes de justice sociale.

Et pourquoi une approche internationale ?

Hazal Atay : L'avortement reste criminalisé dans la plupart des régions du monde et demeure un "droit fragile", même dans les pays où il est légalisé ou dépénalisé. La décision de la Cour suprême des États-Unis en 2022, annulant la constitutionnalité du droit à l'avortement, a une fois de plus démontré que les droits à l'avortement et l'accès à celui-ci ne peuvent être considérés comme acquis. Cela dit, lorsque nous examinons le paysage mondial, deux tendances principales se dégagent : d'une part, nous avons des pays comme les États-Unis, le Honduras, la Hongrie, la Pologne et le Turkménistan qui restreignent les droits et/ou l'accès à l'avortement ; et d'autre part, nous avons des pays comme le Népal, l'Argentine, le Mexique, etc., qui élargissent les droits et l'accès à l'avortement. Ces tendances varient et s'influencent mutuellement. En Amérique du Sud, nous parlons de la "vague verte", qui représente une impulsion régionale en faveur de la dépénalisation et/ou de la légalisation de l'avortement. En Europe et dans certaines autres parties du monde, nous discutons de l'avortement par télémédecine dans le contexte de la pandémie et au-delà. De plus, nous constatons que les prétendues "lois sur les battements de cœur foetal" discutées aux États-Unis ont également trouvé leur chemin en Hongrie, restreignant l'accès à l'avortement. Ces développements et ces tendances montrent que les lois et politiques en matière d'avortement ne sont pas seulement déterminées au niveau national, mais elles sont également influencées par des dynamiques internationales. C'est pourquoi nous organisons un symposium international : dans le but de capturer les dynamiques à l'œuvre dans le monde, en analysant non seulement les tendances communes, les modèles et les convergences, mais aussi les disparités et les divergences.

Quels sont les objectifs de ce symposium ?

Hazal Atay : Notre objectif est d’étudier la "controverse autour de l'avortement" grâce à l'investigation scientifique, via des approches féministes et les expériences des femmes. Le symposium vise à fournir une plateforme d'échange et constitue une occasion de revenir sur l'histoire des droits à l'avortement et du militantisme pour s'en inspirer, d'examiner l'état de l'art pour comprendre où nous en sommes aujourd'hui en termes de droits à l'avortement, de soins et d’activisme, et enfin de discuter des futurs reproductifs pour se projeter sur vers de nouveaux horizons et de nouvelles frontières.

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