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22.08.2022

Femmage à Margaret Maruani

Margaret Maruani, directrice de recherche émérite au CNRS (CRESPPA) et membre du Centre de recherche sur les liens sociaux (CERLIS), est décédée le 4 août 2022. Geneviève Fraisse, membre du Conseil scientifique du Programme PRESAGE, Hélène Périvier, directrice du Programme PRESAGE, lui rendent femmage.

« Complices, disais-tu » - Août 2022

par Geneviève Fraisse, philosophe de la pensée féministe, membre du Conseil scientifique du Programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre de Sciences Po

Pourquoi avons-nous gardé ce souvenir si précis d’un déjeuner place d’Italie, quartier improbable pour nos rencontres ? Comme un moment fondateur. Oui, tu m’annonçais ton désir, ta volonté de créer une revue, Les cahiers du Mage, et tu te souviens du mot alors prononcé ensemble : nous serons complices. La complicité comme forme de collaboration.

C’est à la fin des années 1970 que nous nous sommes rencontrées, autour de nos premiers livres qui se faisaient écho, toi sur le syndicalisme à l’épreuve du féminisme, moi sur le service domestique confronté à l’émancipation des femmes. Il y eût comme une reconnaissance partagée.

Puis, au début des années 1990, ton projet de revue marqua l’avancée de ce qui s’appellera les études de genre. En sociologie avec toi la pionnière, mais aussi en histoire car au même moment naît la revue Clio. Au regard du féminisme, sociologie et histoire s’inscrivaient désormais dans leur singularité épistémologique. La transversalité des recherches et des savoirs qui nous avait tant plu les deux décennies précédentes commença à s’effacer. Les impératifs de chacune de ces sciences s’imposèrent ; je l’ai regretté. Mais, dans le même temps, les disciplines académiques allaient être forcées d’accepter ces nouveaux terrains de recherche ; et l’enjeu en valait la peine.

Or la complicité resta le moyen de faire perdurer la transversalité des problématiques et toi, Margaret, tu y tenais vraiment. La revue en ses origines le dit et le mit en pratique. Il s’y ajoutait la convivialité, tout aussi nécessaire…Toute rencontre s’achevait par un moment festif. Le plaisir de la pensée emmenait toujours vers une mise en commun.

Mes adieux à Margaret Maruani

par Hélène Périvier, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), directrice du Programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre de Sciences Po

Le décès de Margaret Maruani le 4 août dernier laisse les sciences sociales orphelines de l’une de ses pionnières, ces battantes qui ont su imposer la perspective sexuée et genrée, devenue indispensable à l’analyse des inégalités, des discriminations, de la précarité, de la pauvreté, de l’emploi, du chômage, de la création de richesse, de l’exploitation… et j’arrête ici la liste car il est acquis pour une grand part de la sphère académique qu'écarter cette perspective ne conduit pas simplement à omettre une partie du fait social, mais à faire obstacle à sa compréhension. Ces avancées nous les devons à ces chercheuses à l’avant-garde dont Margaret était une figure emblématique ! Je me souviens l’entendre dire que refuser de chausser les lunettes du genre ne conduit pas à simplement masquer de l’information, mais fausse les résultats, c’est donc contraire à la démarche scientifique.

Je ne reviens pas sur son parcours académique remarquable, couronné par la médaille d’argent du CNRS en 2014. Trois mots me viennent à l’esprit : témérité, excellence et ouverture. La témérité car il faut de l’acharnement pour créer dès 1995 au sein du CNRS le MAGE, ce groupe de recherche "Marché du travail et Genre", puis la revue Travail, genre et sociétés (TGS), revue pluridisciplinaire dont le premier numéro paraît en 1999. Ce faisant, Margaret a contribué à remodeler le paysage institutionnel. L’excellence évidemment, car on ne pardonne rien aux chercheuses féministes ! Toutes les personnes qui l’ont côtoyée se souviennent de son exigence et de sa rigueur, qu’il s’agisse de son travail ou de celui des autres. Enfin, une ouverture à deux dimensions générationnelle et internationale. Les jeunes en début de carrière qui ont croisé son chemin ont été portés par sa bienveillance, j’ai eu la chance d’en bénéficier lorsqu’elle m’a demandé de faire partie du comité de rédaction de TGS au début des années 2000. Enfin, la diffusion de la recherche à l’international car pour Margaret si les recherches doivent dépasser les frontières de la francophonie, elles ne doivent pas se limiter à une traduction en anglais, mais au moins en espagnol et en allemand, c’est une singularité que TGS lui doit. Enfin, plus personnellement, je garde en souvenir le ton saccadé qu’elle prenait pour trancher et prendre une décision avec un léger basculement de tête, et son sourire, toujours son sourire. Merci chère Margaret !