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14.02.2025

Rupture amoureuse : les femmes se confient, les hommes se protègent

À qui confions-nous nos peines de cœur ? Sans surprise, hommes et femmes confondus s’épanchent plus facilement auprès de ces dernières, qui elles-mêmes se prêtent plus volontiers à la confidence que les hommes. Une pratique qui fait également peser sur les femmes une forme de contrôle social.

Une analyse de Victor Coutolleau, chercheur postdoctorant en sociologie au sein du Programme d'études sur le genre de Sciences Po, initialement publié par The Conversation.


Le couple, c’est entendu, est théoriquement une affaire entre deux personnes. Plus précisément, il s’agirait d’un lien privilégié basé sur l’affection réciproque entre deux individus, sur lequel la famille ou la tradition n’auraient désormais plus leur mot à dire. Or, si le couple a en effet connu des évolutions considérables au cours du siècle précédent, se pencher sur les manières dont les individus « gèrent » leurs peines de cœur, notamment à travers leurs confidences, nuance l’idée d’une relation désormais affranchie du contrôle social des pairs. Parce qu’ils et elles souhaitent généralement notre bonheur sentimental, parents et amis se sentent légitimes à émettre toutes sortes d’avis, pour le meilleur et pour le pire. Et à cet égard, hommes et femmes ne sont pas tout à fait logés à la même enseigne.

Les variations de genre dans le recours aux confidents

Au cours de la cinquantaine d’entretiens que j’ai menés pour mon travail de thèse en sociologie, les enquêtés me parlaient souvent avec beaucoup de « chaleur » du soutien que leurs amis, leur famille, leur avaient apporté face à leurs peines de cœur. L’Étude des parcours individuels et conjugaux (dite « Epic », Ined-Insee, 2013-2014), basée sur un échantillon de 7 825 personnes représentatif de la population française âgée de 26 à 65 ans, permet de révéler l’ampleur de cette implication des proches lors d’une séparation.

Cette étude dispose d’une section adressée spécifiquement aux 3 015 personnes s’étant séparées d’un partenaire avec qui elles habitaient. Concernant leur dernière séparation, il leur était demandé si elles avaient envisagé la rupture avant qu’elle n’ait lieu et, si c’était le cas, si elles avaient parlé de cette éventualité avec quelqu’un de leur entourage avant de s’en ouvrir à leur partenaire : 53 % des enquêtés ont répondu par l’affirmative.

Cependant, cette répartition en « 50/50 » cache d’importantes disparités de genre : « seuls » 41 % des hommes ayant envisagé la séparation se sont livrés à quelqu’un avant d’en parler à leur partenaire. Chez les femmes, ce pourcentage monte à 62 %. En d’autres termes, les femmes se confient sensiblement plus que les hommes.

Par ailleurs, les confidents consultés en premier sont, dans deux cas sur trois, des confidentes. Cette tendance est plus marquée chez les répondantes : quand elles en parlent, les femmes se tournent en premier vers une confidente dans au moins 8 cas sur 10, et 4 hommes sur 10 font de même.

Dit autrement, si les hommes tendent à parler aux hommes et les femmes aux femmes, les hommes sont plus susceptibles de se tourner vers une confidente que l’inverse.

Une « veille sociale » exercée par les femmes

Comment comprendre ces déséquilibres de genre ? Ils gagnent à être replacés dans la continuité du rôle plus général de « care » incombant aux femmes : plus que les hommes, ces dernières sont éduquées à faire preuve d’empathie et à « prendre soin » de leurs proches.

Certains hommes (hétérosexuels ou non) rattachent directement leur « réserve » vis-à-vis d’autres hommes à l’idée que les femmes seraient plus « sensibles » ou « plus à l’écoute » sur ces questions. C’est notamment ce qu’exprime Pascal (33 ans, hétérosexuel) lorsque je lui demande pourquoi, évoquant ses confidents suite à une déconvenue, il ne nomme son meilleur ami qu’en troisième – après deux femmes :

Enquêteur : Paul (son meilleur ami) était moins à l’écoute ? Parce que tu l’as cité en troisième…

« On va dire c’est un mec quoi ! (Rire) Il était là en mode: “Mouais, faut l’oublier.” Bon[…] il concevait que ça m’ait fait du mal, mais à un moment c’est… C’est pas non plus les mêmes sensibilités quoi, on va dire. »

Si les hommes semblent faire un usage ponctuel de la confidence, il n’en va pas de même pour les enquêtées. Pour elles, la confidence – en particulier auprès de « copines » – apparaît beaucoup plus comme une « évidence », s’insérant dans la continuité d’interactions de « veille sociale », où chacune se tient au courant des nouveautés de la vie des autres.

Dans la continuité du rôle d’entretien des relations sociales qui continue à leur être dévolu, elles peuvent ainsi inciter les hommes de leur entourage à parler, ces derniers manquant d’occasion de le faire auprès d’hommes.

La confidence, source de soutien et de contrôle social

Face à ces disparités, il peut être tentant de conclure trop vite qu’en matière de cœur, on a affaire à une opposition entre « des hommes seuls » et « des femmes bien accompagnées ». Or, la confidence est une pratique à double tranchant : elle peut aussi bien constituer une source de soutien que de contrôle social.

À cet égard, il n’est pas inutile de préciser ce qui peut pousser les individus à se confier. Au cours de mes entretiens, les enquêtés disaient se tourner vers leurs proches pour deux raisons principales : d’une part, ils et elles sont la source d’avis et de conseils pratiques (sur « est-ce qu’on a ses chances », est-ce que ça « vaut le coup de continuer », etc.).

D’autre part, ils et elles aident aussi à encaisser les moments difficiles (ce que le sociologue Erving Goffman appelle le rôle de « modérateur » [cooler] : on vient « calmer la brûlure » de la déception), en les revalorisant. C’est cette double attente – conseils pratiques et consolation – qu’exprime Marie (23 ans, bisexuelle) vis-à-vis de son groupe d’amis :

« Soit je vais leur poser des questions sur des dilemmes que je me pose sentimentalement pour avoir leur avis, soit je vais leur raconter ce qui va pas, pour qu’ils me rassurent. […] Ils sont pas non plus genre, trop dans ma direction hein ! Ils restent assez clairvoyants et ils ont leur avis […] Mais pour ce qui est de dire que c’est moi la meilleure (Léger rire) et que j’ai eu raison […] Qu’elle a mal agi et qu’elle m’a quittée comme une merde […], là oui ! »

Or, gérer ces interactions aux attentes parfois contradictoires demande du tact, du temps et de l’énergie. Ce « travail émotionnel » ainsi que le coût qui y est associé reposent donc essentiellement sur les femmes, dans les coulisses des relations amoureuses comme ailleurs.

Inversement, le fait que les femmes soient « plus accompagnées » face à leurs peines de cœur n’implique pas qu’elles le soient « bien ». En effet, le propos de Marie montre que la confidence fonctionne aussi comme un cadre de « contrôle social ». Les proches expriment un jugement sur l’attitude à adopter, même s’il découle de leur croyance sincère en ce qui est bon ou moins bon pour nous.

Par conséquent, la confidence expose aussi aux avis contradictoires, ou aux invitations aux compromis. Ce qu’Adèle (26 ans, hétérosexuelle) exprime clairement :

« Heureusement (que ma mère) est là quoi ! Mais avec toujours ce côté peut-être trop compréhensif […] de dire “Bah, ce mec il a peut-être ces faiblesses-là, avec ses parents, son enfance, machin"… et finalement, tu fais ton devoir de femme, de comprendre l’autre en permanence […] et, en fait, quand tu fais ça, t’es foutue quoi ! ’Fin, j’trouve ! J’trouve que tu te mets déjà dans une position de "Je vais tout accepter”. »

En d’autres termes, le fait que les femmes soient davantage amenées à parler de leurs affaires de cœur implique surtout que leur vie sentimentale se déroule davantage sous le regard d’autrui.

Le silence tient les hommes à distance de la critique

Inversement, le silence des hommes ne joue pas nécessairement contre eux. On notera d’une part que ce silence est très relatif : si, dans l’enquête Epic, les hommes qui ont parlé de leurs envies de séparation à l’extérieur du couple forment une minorité, il s’agit tout de même d’une minorité conséquente (41 % !). Les hommes parlent donc davantage d’affaires de cœur qu’on ne pourrait être amené à le croire.

Ensuite et surtout, leur silence – qu’il soit souhaité ou non – les tient également à distance des opportunités de critique ou de remise en cause. Plutôt qu’un « prix à payer » en retour de leur position dominante, le silence relatif des hommes peut aussi participer à l’entretien de leurs privilèges dans la sphère conjugale, en les aidant à ne pas questionner une organisation du couple jouant – encore – en leur faveur.

Légende de l'image de couverture : Fresque murale street art représentant un visage. (crédits : Arantxa Treva / Pexels)

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