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03.07.2018
Comment encourager l’interactivité et la participation des étudiants dans un cours magistral ?
Dans cet entretien, Anne Revillard évoque les dispositifs de pédagogie innovante mis en place dans son cours de formation commune des Masters à Sciences Po (90 étudiants), intitulé « Disability and society », et qui a pour enjeu de s’interroger sur la transformation du statut social des personnes handicapées.
Qui êtes-vous ?
Pouvez-vous nous dire, en quelques mots, sur quoi porte votre cours ?
Le cours, intitulé « Disability and society » (cours assuré en anglais), invite à réfléchir sur la transformation du statut social des personnes handicapées. Il prend appui sur les acquis du champ interdisciplinaire des disability studies, à la fois en termes d’outils conceptuels et de travaux empiriques. Nous analysons l’évolution des conceptions du handicap (passage du modèle médical au modèle social, approches interactives) en lien avec les mobilisations collectives et les transformations de l’action publique dans ce domaine. La question du handicap sert ainsi de point d’appui à une réflexion sur la circulation des savoirs entre politiques publiques, sphère militante et sphère académique. Nous étudions les effets de la dynamique de promotion des droits des personnes handicapées dans les domaines de l’éducation, de l’emploi et du care. Nous discutons des représentations sociales du handicap et de leurs transformations.
Dans quel cadre l’avez-vous enseigné et avec combien d’étudiants ? Quelle est l’importance d’un tel enseignement à Sciences Po ?
Cet enseignement a été proposé dans le cadre de la formation commune de Master. Un tel positionnement est important car il contribue à faire du handicap une question transversale, à prendre en considération dans l’ensemble des champs d’intervention et d’action publique (disability mainstreaming). Au semestre d’automne 2017-2018, ce cours a réuni 90 étudiants inscrits dans différentes formations, ayant fait leurs études précédentes dans des filières et pays très divers, et dont plusieurs ont fait part de leurs expériences personnelles du handicap. Cette diversité des profils, notamment la présence d’étudiants handicapés dans le groupe, a rendu les échanges particulièrement stimulants.
Ce cours a effectivement fait une place importante aux échanges avec les étudiants. Comment favoriser l’interactivité et la participation des étudiants avec un groupe aussi nombreux ?
L’approche participative est souvent associée aux petits groupes, et elle est sans conteste facilitée quand les étudiants sont peu nombreux. Mais cela ne signifie pas qu’elle soit impossible dans une configuration d’amphi. Après dix ans d’enseignement auprès de gros effectifs selon un format classique de cours magistral (dans le cadre de cours introductifs de première année notamment), j’ai eu envie de tester des approches plus participatives.
Concrètement, cela demande beaucoup d’organisation et de travail en amont. Il s’agit en effet de concevoir des dispositifs de participation qui fassent en sorte : 1) que les étudiants participent effectivement ; 2) que cette participation ne soit pas trop déséquilibrée ; 3) que cette participation soit productive, utile à l’apprentissage collectif.
Je me suis appuyée sur deux dispositifs principaux. D’une part, à partir de la quatrième semaine de cours, les étudiants ont participé à la production du contenu pédagogique, en présentant par groupes des études de cas à partir d’articles de recherche pré-assignés. Le temps de présentation était strictement limité à 10 minutes, et deux présentations ont généralement eu lieu à chaque séance. Un autre groupe d’étudiants (également prédéfini) avait le rôle de « discutants » de ces présentations. J’ai d’autre part mobilisé à plusieurs reprises au fil de chaque séance la technique du « penser/comparer/partager » (think/pair/share), consistant à demander aux étudiants, à partir d’une question, de réfléchir individuellement, puis d’échanger leurs réflexions avec leur voisin, avant d’ouvrir un temps de discussion collectif. J’ai adopté cette technique à partir de questions simples, mais aussi de commentaires d’images ou de vidéos, ou encore de textes, les durées de réflexion/partage assignées variant selon les supports et les sujets.
Ces deux dispositifs ont permis d’amorcer une dynamique de participation qui s’est étendue au-delà de leur périmètre : les étudiants, ayant pris l’habitude d’intervenir par ce biais, étaient plus à l’aise pour poser des questions ou apporter des témoignages à d’autres moments du cours.
On a parfois tendance à penser que le participatif et la discussion nuisent au contenu plus académique de l’enseignement. Pensez-vous que ce soit le cas ? Comment articulez-vous les deux aspects ?
Il y a d’abord une question d’équilibre dans l’organisation temporelle des séances. Les cours ne se réduisaient pas à une discussion avec les étudiants ; ils alternaient des séquences au format plus magistral, prenant appui sur des diapos diffusées à l’avance, et des séquences plus participatives. Ensuite, loin d’une opposition entre participation et contenu académique, j’ai mis l’une au service de l’autre : en l’encadrant (présentations centrées sur des textes précis), en faisant de la participation un moment d’apprentissage personnel des contenus académiques (ce que permet particulièrement la technique du « penser/comparer/partager », qui relève d’une démarche de pédagogie active), et en reliant systématiquement les participations plus libres aux objectifs académiques du cours. Les questions, commentaires, témoignages, ont ainsi permis de clarifier certains points théoriques, et d’en illustrer d’autres. A cet égard, les témoignages librement développés par plusieurs étudiants handicapés ont été particulièrement appréciés par l’ensemble du groupe.
Encourager une démarche participative, c’est également prendre un risque : celui que certains étudiants soient réfractaires à la démarche et n’entrent pas dans le jeu. Quelle place la discussion laisse-t-elle effectivement à ces étudiants ?
Il ne s’agit pas de forcer la parole mais de la rendre possible, en aménageant des moments qui lui sont dédiés mais aussi en s’assurant du maintien d’un climat collectif d’écoute bienveillante. Les déséquilibres dans la prise de parole sont difficilement évitables. Ils renvoient pour partie à des inégalités structurelles (notamment selon les biais classiques liés au genre et à la classe sociale), que j’ai essayé de contrer par la mise en place des dispositifs formels de participation précédemment décrits. Mais ils dénotent aussi un intérêt pour le cours et un investissement variables d’un individu à l’autre, ce qui est tout à fait normal. Je regrette, en revanche, que certaines réserves (vis-à-vis de certaines théories ou approches par exemple) ne se soient exprimées que dans les devoirs écrits rendus à la fin du cours. Je veillerai, par la suite, à inviter plus explicitement la critique, qui peut donner lieu à des discussions très productives.
Avez-vous également cherché à innover dans les modalités d’évaluation des étudiants ?
J’ai pu mettre en place dans le cadre de ce cours des modalités innovantes d’évaluation, tant sur le plan des supports (les travaux écrits ont été rendus et corrigés via Moodle) que des formats et du calendrier. Mon objectif était de favoriser l’apprentissage en classe et de l’échelonner au fil du semestre pour éviter qu’il soit concentré à la fin de celui-ci. Deux travaux écrits individuels étaient demandés en complément des travaux collectifs à l’oral (présentations et discussions). Dès les premières semaines de cours, les étudiants devaient répondre à des questions sur deux textes fondamentaux, ce qui permettait d’assurer que les bases théoriques soient bien maîtrisées dès le début du cours. A la fin du cours, ils/elles ont dû rendre une note de synthèse personnelle expliquant en quoi l’enseignement avait modifié, le cas échéant, leur perspective sur le handicap, et ce qu’ils/elles souhaitaient en retenir à plus long terme, en lien avec leurs projets professionnels et personnels. Les étudiants étaient invités à mobiliser dans ce cadre les discussions tenues au fil des séances, ce qui a pu contribuer à favoriser le maintien de l’attention lors des interventions des uns et des autres (celles-ci courent en effet sinon le risque d’être perçues comme ne faisant pas « vraiment » partie du cours). Les modalités d’évaluation ont donc été en partie mises au service de l’objectif participatif.
Comment et pourquoi en êtes-vous venue à la pédagogie active ?
Alors que je ressentais une forme d’insatisfaction face au caractère peu interactif des cours d’amphi que j’avais dispensés jusque-là, des échanges avec différents collègues m’ont progressivement sensibilisée à la démarche de pédagogie active. Aden Gaide, doctorant à l’OSC, m’a parlé de son utilisation du « Penser/comparer/partager » dans le cadre de travaux dirigés. Sollicitée par Charlotte Tempier pour assurer une capsule d’enseignement méthodologique en ligne (vidéo), j’ai eu avec elle des discussions enrichissantes sur les techniques permettant de favoriser l’interactivité des enseignements d’amphi. J’ai complété ces échanges par le suivi du module « Active learning guidelines » sur Moodle. J’ai également participé aux réflexions du pôle handicap autour de la promotion de la conception universelle dans les pratiques pédagogiques. Enfin, j’ai eu à l’été 2016 une expérience d’enseignement à UBC-Vancouver, dans le cadre du double diplôme Sciences Po – UBC, qui a été pour moi l’occasion de tester des dispositifs de pédagogie active avec de petits effectifs étudiants, grâce au format particulier du cours d’été et suite aux discussions avec des collègues de UBC.
Si vous aviez un ou deux conseils à donner à un enseignant souhaitant se lancer dans la pédagogie active, quels seraient-ils ?
Le premier serait la hiérarchisation des contenus et des objectifs pédagogiques. Favoriser l’apprentissage des étudiants pendant le temps de cours, entre autres par des dispositifs participatifs, implique de se poser la question de ce que l’on souhaite impérativement transmettre, et de ce qui, à l’inverse, est moins prioritaire. Il s’agit de se concentrer en priorité sur ce noyau essentiel pour s’assurer qu’il soit effectivement transmis – ce que l’on peut faire par la mise en place d’activités d’apprentissage spécifiques (travail sur un texte, un exemple, une vidéo) en fonction du temps ainsi gagné. Cela ne signifie pas pour autant qu’on en resterait à un niveau de connaissances ou de réflexion superficiel. Simplement, cela implique d’être prêt à moduler ce qui va être approfondi en fonction des attentes, souhaits, questions soulevés par les étudiants dans la discussion.
Ensuite, cette démarche peut être mise en place de façon progressive, par exemple sur une séance, pour tester, sans que tout le cours soit initialement modifié. Un dispositif participatif très simple qui peut se tenter sans préparation supplémentaire est celui du « penser/comparer/partager » : là où vous auriez simplement posé une question à l’assistance, vous pouvez essayer de poser la question, puis donner trente seconde/une minute (temps à ajuster) à chaque personne pour y réfléchir individuellement, puis une minute de réflexion par paire, avant de solliciter des prises de parole individuelles face à l’ensemble du groupe. Je garantis que plus de mains se lèveront !
Un exemple d’activité que vous avez développée et qui a particulièrement bien fonctionné
Ce dispositif du « penser/comparer/partager » a été très positivement reçu. Il fait partie des activités simples à mettre en œuvre qui peuvent vraiment faire une différence en amorçant une dynamique de participation.
Ce qui, selon vous, a moins bien fonctionné et pourquoi ?
Certains étudiants ont exprimé des incompréhensions par rapport au rôle attendu de « discutant » des présentations, pour lequel je m’efforcerai à l’avenir de donner des indications plus précises. Cela ne remet pas nécessairement en question l’intérêt du dispositif, mais cela m’alerte sur la nécessité de préciser le plus possible en amont les attendus sur les différents types de participation sollicités.