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27.11.2018

Faire de l’innovation pédagogique un enjeu collectif : les communautés de pratique

Comment les enseignants du supérieur se développent pédagogiquement ? Comment stimuler une culture d’innovation pédagogique dans nos institutions ? Sans proposer une « recette » infaillible pour répondre à ces questions, ce billet présente l’implantation de communautés de pratique (CoP) comme stratégie afin de relever les défis du développement professionnel des enseignants du supérieur et l’établissement de conditions propices à l’innovation en formation.  

Dans le contexte actuel de grande compétitivité entre les institutions d’enseignement supérieur où l’objectif est de se créer une image de marque pour attirer les meilleurs étudiants, la carte de l’innovation pédagogique est de plus en plus considérée comme un atout. Or, bien jouer cette carte nécessite de s’interroger sur comment les enseignants du supérieur se développent pédagogiquement et surtout, pour les institutions, sur comment stimuler une culture pédagogique propice à l’innovation. Sur ce point, je dois être clair : l’injonction à innover que brandissent certains n’est pas la meilleure stratégie pour stimuler les troupes.

D’emblée, il faut reconnaître que les enseignants du supérieur sont avant tout des experts de leur discipline, et ce, sans pour autant posséder une formation en pédagogie. Leur identité professionnelle est donc intimement liée à leur discipline (ils sont donc des « sociologues », des « politologues », etc.). Conséquemment, la pédagogie représente pour eux une autre discipline à apprivoiser. Ceci est aussi vrai lorsqu’il est question des chargés d’enseignement au statut de vacataire dont la pédagogie représente souvent un univers inconnu. Dans ce contexte, toute stratégie institutionnelle visant à développer une culture pédagogique doit tenir compte des défis que représente le développement professionnel des enseignants et chercher à mettre en place des conditions facilitantes (libération de temps, fonds d’innovation pédagogique, valorisation, etc.).

Il ressort des études sur le développement professionnel des enseignants du supérieur qu’il se réalise généralement par l’essai et erreur (Hativa et al., 2001; Murray et MacDonald, 1997), de manière informelle (Knight et al., 2006) et qu’il repose en grande partie sur une réflexion personnelle. Or, malgré l’éclairage qu’apporte un retour réflexif sur sa pratique, une réflexion personnelle menée par les enseignants ne garantit pas un enseignement de qualité. Chacun porte le piège de croire en ses propres théories et de tomber dans l’illusion de leur capacité explicative (Bédard, 2017). Ainsi, les enseignants auraient tout à gagner à pouvoir confronter leurs théories personnelles aux connaissances scientifiques en pédagogie universitaire. Par exemple, les connaissances sur les théories d’apprentissage, sur les méthodes d’enseignement, sur les étudiants ou sur les contextes d’enseignement. Mais encore une fois, comme dans le cas de la réflexion personnelle, l’accès à la connaissance ne garantit pas non plus un enseignement de qualité. En effet, un élément central du développement des pratiques pédagogiques est qu’il se fonde sur des connaissances que l’enseignant doit construire (Beaty, 1998). L’enseignant doit pouvoir intégrer et appliquer toute nouvelle connaissance à son contexte particulier d’enseignement. Ainsi, toute stratégie axée sur la transmission de connaissances, comme l’organisation de séminaire, risque d’avoir peu d’effets sur l’évolution réelle des pratiques pédagogiques. Ces stratégies laissant par la suite l’enseignant seul avec le défi d’intégrer ces connaissances dans sa pratique quotidienne.

Face à ces différents constats, je vous propose la communauté de pratique (CoP) comme stratégie de développement pédagogique. Bien évidemment, la CoP n’est qu’un outil et, comme tout bon outil, elle n’est pas une « recette » infaillible ou un plan à suivre à la lettre. En fait, les CoP représentent surtout un excellent exemple de mise en pratique de principes de développement professionnel efficaces.

Brièvement, la CoP est une communauté de personnes, de 6-12 membres, qui sont désireuses d’apprendre ensemble. Cette communauté, qui se réunit de façon régulière sur une période de temps prolongé, place au centre de leurs rencontres l’amélioration de leurs pratiques pédagogiques. Une des forces de la CoP est donc de briser l’isolement des enseignants, d’ouvrir un espace de dialogue et de faire de l’amélioration des pratiques pédagogiques un enjeu collectif. Pour créer une CoP, il est conseillé de partir des réseaux existants, des projets en cours et de se rapprocher des besoins réels des enseignants. Les CoP trouvent leur raison d’être dans le regroupement d’enseignants qui sont mobilisés par un thème commun dont chacun juge urgent de traiter. Ensuite, il s’agit d’encourager une participation active, collaborative et volontaire.

Toutefois, pour assurer le dynamisme des CoP et garantir un impact sur le développement professionnel, ces dernières ont besoin d’un minimum d’organisation. Ce niveau minimal passe généralement par la présence d’un animateur, qui voit à l’organisation et à l’évolution de la communauté. Celui-ci permet, entre autres, d’accueillir et d’intégrer les nouveaux venus, de distribuer les responsabilités, de garantir le respect des règles et de relancer les membres (Dale et Dumont, 2014). Surtout, l’animateur permet de s’assurer que l’on formalise les connaissances et les pratiques discutées. La formalisation des pratiques pédagogiques est une première étape permettant d’expliciter les pratiques, de les caractériser et ainsi de service de base conceptuelle pour questionner la littérature scientifique. Au fil des rencontres, l’objectif est aussi d’amener les membres à réfléchir collectivement sur leur propre réflexion (méta-réflexion) et de devenir critique par rapport à leurs pratiques. Cette ouverture à la critique nécessite alors un climat de confiance dont chacun des membres est responsable. De plus, le dynamisme des CoP prend appui sur la diversité des membres, soit au niveau des disciplines, des profils ou des intérêts. L’idée est de s’assurer d’une diversité des points de vue et, par le dialogue, de permettre à chacun de confronter ses théories personnelles, de se nourrir de la perspective des autres et de faire évoluer sa réflexion sur sa propre pratique.

Simon BOLDUC, Doctorant, Université de Sherbrooke, Québec - Canada.   

Simon Bolduc est un doctorant en pédagogie de l’enseignement supérieur à l’Université de Sherbrooke, Québec, Canada. Il réalise une thèse de doctorat financée par le programme FORCCAST qui vise à caractériser les postures que les enseignants adoptent en situation de pédagogie active, afin d’accompagner adéquatement les étudiants. Il enquête notamment sur les pratiques enseignantes dans les cours de cartographies des controverses proposés dans différents établissements de l’enseignement supérieur. Il a effectué plusieurs séjours à Paris afin d’observer des classes et de réaliser des entretiens avec des enseignants. Lors de son passage à Paris au printemps 2017, il a proposé un séminaire sur « la mutualisation des apprentissages des enseignants comme moteur d’innovation pédagogique » aux partenaires de FORCCAST (Formation par la Cartographie des Controverses à l’Analyse des Sciences et techniques et aux équipes du Laboratoire de Pédagogie Active). Il livre ici la substance des échanges qui ont eu lieu le 22 mai 2017.

Références bibliographiques

  • Beaty, L. (1998). The professional development of teachers in higher education: Structures, methods and responsibilities. Innovations in education and training international35(2), 99-107.
  • Daele, A. et Dumont, A. (2014).  Participer à une communauté de pratique pour se développer In N. Rege Colet et D. Berthiaume (Dir.), La pedagogie de l’enseignement superieur (p. 185-202), Bern: Peter Lang.
  • Bédard, D. (2006). Enseigner autrement, oui mais pourquoi et comment ? Le cas d’un cours universitaire de premier cycle In N. Rege Colet et M, Romainville (dir.). La pratique enseignante en mutation à l’université (p. 83-101). Bruxelles : De Boeck.
  • Bédard, D. (à paraître). L’expertise pédagogique en enseignement supérieur : 
    les habitus de l’homo pedagogicus In A. Huot & P. Pelletier (dir.): La construction de l’expertise pédagogique : la part de chacun (pp. xx-xx). Montréal : Presses de l’Université du Québec.
  • Hativa, N., Barak, R. et Simhi, E. (2001). Exemplary university teachers: Knowledge and beliefs regarding effective teaching dimensions and strategies. The journal of higher education, 72(6), 699-729.
    Knight, P. T., Tait, J. et Yorke, M. (2006). The professional learning of teachers in higher education. Studies in higher education, 31(4), 319-339.

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