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21.11.2017

Inventer avec les étudiants un indicateur de bien-être ou de soutenabilité

Portrait Eloi Laurent pour les éditions Flammarion (crédits : Philippe Matsas)

Le cours « Mesurer le bien-être et la soutenabilité au 21ème siècle », créé et animé par Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux, repose sur une double innovation, sur le fond et la forme : aider les étudiant(e)s à dépasser la croissance comme unité de mesure économique fondamentale en confrontant leurs points de vue en classe et en ligne et travailler avec eux sur de nouveaux indicateurs de bien-être et de soutenabilité pour « compter ce qui compte ».

Dépasser le PIB pour comprendre les transformations du monde

Le cours que nous avons conçu et co-animons avec Jacques Le Cacheux au sein du Collège universitaire, « Mesurer le bien-être et la soutenabilité au 21ème siècle », repose sur une double innovation, sur le fond et la forme.

Sur le fond, lors de sa première édition en 2012, il s’agissait du premier cours d’économie en Europe portant sur le dépassement de la croissance et du Produit intérieur brut (PIB) par les indicateurs de bien-être et de soutenabilité. Le PIB et la croissance (c’est-à-dire l’augmentation du PIB) demeurent aujourd’hui encore des notions centrales dans les enseignements  d’économie alors que tout indique qu’ils sont dépassés pour déchiffrer et surtout piloter nos économies au 21ème siècle. Car la croissance n’a plus qu’un rapport lointain avec le bien-être humain et aucun rapport du tout avec l’enjeu de la soutenabilité, devenu incontournable. Ainsi, le PIB ne permet pas de comprendre les deux crises majeures du début du 21ème siècle, la crise des inégalités et les crises écologiques, et la croissance ne permet pas de les résoudre. Il faut donc équiper nos étudiants avec les bonnes grilles d’analyse.

Associer formation en présentiel, en ligne et controverses

L’innovation de forme a consisté à réaliser un des premiers enseignements en format classe inversée de Sciences Po.

Lors du lancement il y a cinq ans, nous n’avions pas encore écrit le manuel de notre cours (publié en 2015, Un nouveau monde économique – Mesurer le bien-être et la soutenabilité au XXIe siècle, Odile Jacob). Le travail de préparation côté étudiants reposait donc tout entier sur le visionnage de vidéos accessibles via Moodle. A l’aide de la technologie SMART Notebook et avec le concours précieux d’Eric Reuillon, nous avions enregistré pour chaque thème du cours correspondant à une dimension du bien-être (la santé, l’éducation, la confiance, la soutenabilité, etc.) trois modules vidéos d’environ 15 minutes : un module « Toolbox » qui contient les principaux outils d’analyse du sujet ; un module « Datapoint » qui présente les indicateurs de référence et leurs résultats et un module « Online » qui oriente les étudiants vers les ressources en ligne qui peuvent leur être utiles, et notamment les bases de données. Nous avons gardé les vidéos initiales, mais les étudiants doivent en plus de leur visionnage préparer leur séance « présentielle » (une semaine sur deux) à l’aide du manuel, ils arrivent donc en cours « équipés » pour les débats qui s’y tiennent.

Schématisation du scénario pédagogique du cours (crédits : Philippe Matsas / Portrait Eloi)

Nous avons en effet d’emblée voulu que notre cours serve de laboratoire aux étudiants, dont la majeure partie de la note tient à la réalisation d’un nouvel indicateur de bien-être ou de soutenabilité. Les étudiants doivent eux-mêmes inventer un outil de mesure et donc d’intelligibilité de notre monde économique (nous leur laissons une grande liberté de choix du sujet, même si nous nous efforçons de les encadrer au plan méthodologique, certains ont ainsi proposé un indicateur international de mesure du bien-être des enfants, d’autres un indicateur permettant de mesurer le bien-être des étudiants internationaux à Sciences Po, d’autres encore un indicateur de qualité environnementale des arrondissements de Paris, etc.).

Au fil des semestres, nous avons affiné les modalités de notation en donnant libre cours à notre envie d’innovation. Cette année, nos étudiants reçoivent 9 notes différentes correspondant à 7 exercices distincts qui mêlent travail hors-ligne et en ligne et travail individuel et collectif : le travail final, la réalisation de l’indicateur de bien-être ou de soutenabilité, peut être effectué seul ou à deux mais il doit en tout état de cause être présenté lors de la dernière séance du cours sous forme d’un poster (une seule diapo commentée en 2 minutes permettant de saisir en un coup d’œil l’ensemble du travail), cette séance dite « Forum » permet à chaque étudiant(e) de prendre la mesure du travail réalisé par les autres au cours du semestre et de s’en enrichir ; la participation en classe s’accompagne d’une participation en ligne sur le blog du cours (accessible via Moodle), les étudiants réalisant un post de blog au sein d’un groupe de 5 à 6 et commentant à titre personnel les posts des autres groupes ; enfin, les étudiant(e)s, par groupe de 2 ou 3 réalisent en classe des présentations (avec support Power point) sur des questions liées au thèmes du jour (par exemple, sur le thème du bonheur : « A partir de quel niveau de richesse parvient-on à être heureux ? » ou « Comment mesurer le bonheur en Chine aujourd’hui ? ») et, dans la même formation de deux ou trois, discutent les présentations des autres groupes.

C’est cette partie des exercices en classe, décisive comme dans tous les cours en salle de classe inversée, qui a donné lieu au plus de tâtonnements de notre part. Quand nous avons commencé, nous avions demandé aux étudiants de confronter leurs points de vue autour d’une question en deux équipes rivales. Mais ce format n’a pas fonctionné, de l’aveu même des premières classes, car la discussion se focalisait sur un seul aspect et opposait souvent seulement deux étudiant(e)s, ce qui réduisait sa pertinence de beaucoup et limitait son impact pour la classe. Nous avons donc opté pour un format plus classique mais dans lequel les séances présentielles sont en quasi-totalité consacrée à l’expression des étudiants, dans l’esprit de Sciences Po : un groupe présente pendant dix minutes, un groupe discute la présentation, nous faisons une rapide reprise pour nous assurer que les concepts clés sont compris puis s’ensuit une discussion générale. A raison de deux dimensions du bien-être par séance, cela fait quatre présentations, quatre discussions et quatre débats collectifs par cours : c’est rythmé, varié et à l’occasion controversé !

Une application pour permettre aux Parisiens de choisir leur quartier de résidence

Mais le grand moment du cours est assurément la dernière séance, celle du Forum, dans laquelle se succèdent à un rythme rapide la quarantaine de propositions d’indicateurs. Cette année, nous avons eu la surprise de constater qu’un groupe avait créé un site Internet et une application mobile pour donner vie à son indicateur qui permet aux étudiant(e)s de Sciences Po de choisir son quartier de résidence à Paris selon ses préférences (coût de la vie, vie nocturne, etc. autant de dimensions du bien-être étudiant). Un travail à la fois utile, rigoureux, ludique et innovant, exactement ce que nous attendons avec curiosité de nos étudiant(e)s chaque année.

Eloi LAURENT, OFCE/Sciences Po, Stanford University.

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