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16.10.2017
La conférence de méthode
Symbole de la pédagogie façon Sciences Po et gage du succès de l’institution, la conférence de méthode est entrée dans la légende et constitue un véritable lieu de mémoire pour les étudiants.
D’Allemagne et d’ailleurs
Fondée en 1872, en pleine « crise allemande de la pensée française », l’École libre des sciences politiques entend innover pour former de nouvelles élites et rattraper le retard scientifique français. Si son programme intellectuel est révolutionnaire par son objet (le « politique »), par son positionnement chronologique (« le contemporain ») et par son horizon géographique (« européen, voire universel »), son ambition pédagogique n’en est pas moins novatrice et originale. Émile Boutmy entend délivrer à « l’homme politique » le même enseignement professionnel proposé « pour le médecin, pour l’avocat, pour l’ingénieur, pour le militaire ». Le fantôme de l’université allemande, de ses laboratoires d’expérimentation, de ses séminaires de recherche interactifs et de ses Privat-Docents, plane sur le berceau de la conférence de méthode, au même titre que le modèle anglais du tutorial, bien connu des pères fondateurs anglophiles de l’École libre.
Non pas une mais des conférences…
Tardivement désignée sous le nom qu’on lui connaît actuellement et assez peu définie à ses débuts (1872), la fameuse conférence de méthode se décline en de multiples versions : « conférences de révision et d’interrogation » complémentaires du cours magistral, « conférences d’application » et « conférences de préparation aux concours » plus professionnelles, « groupes de travail » orientés vers la recherche. Tous ces formats ont en commun de « compléter » le cours magistral, « cet enseignement par monologue », en constituant des petits groupes de travail interactifs ; tous ont également en commun de faire appel à « des hommes plus spéciaux, je dirai presque à des hommes du métier, engagés dans chaque carrière et la connaissant à fond ».
Les vertus des conférences sont théorisées par Émile Boutmy en de multiples occasions. La première relève du positivisme méthodologique et du garde-fou idéologique : la conférence présenterait « un contrepoids toujours en action [qui] empêche [le cours magistral] de céder aux doctrines téméraires qui l’emporteraient s’il était seul ; une vérification pratique immédiate réfute, sans effort, les thèses inconsidérées ». Son deuxième mérite est d’offrir de « véritables enseignements professionnels », en proposant des « expériences pratiques afin de mieux préparer nos élèves au rôle qu’ils auront à remplir dans les diverses carrières où ils s’engageront ». Son troisième intérêt est proprement pédagogique puisque la conférence est un « moyen de redresser les erreurs de [la] méthode de travail [de l’étudiant] en lui démontrant que, souvent, il ne sait pas alors qu’il croyait savoir, en le convainquant qu’il ne suffit pas d’apprendre mais qu’il faut avant tout comprendre et, pour cela, réfléchir » ; c’est également un outil pour « cultiver certaines aptitudes que l’enseignement ex cathedra laisse inactives » comme « l’accès des sources » et aux « documents contemporains », en même temps qu’un laboratoire pour former l’étudiant à des exercices variés : « exposés oraux, […] compositions écrites », revues de presse, rédaction d’articles de journaux. Accessoirement, elles mettent en contact de jeunes élèves et de jeunes maîtres, réunis autour d’un « travail en commun », favorisant l’interconnaissance et la constitution de réseaux.
Un destin paradoxal
Paradoxalement, cette innovation pédagogique, devenue le signe distinctif de Sciences Po, n’a pas eu le succès initial que l’on croit. Émile Boutmy n’a eu de cesse de défendre, devant un Conseil d’administration et un Conseil de perfectionnement sceptiques, la valeur et le poids de la conférence de méthode (et des exercices appliqués) dans la scolarité et dans les modalités d’évaluation. Il bataillera pour les rendre obligatoires, hebdomadaires et toujours nombreuses, et enfin diplômantes. Si l’instauration des conférences est quasi concomitante avec les premiers cours délivrés par l’École en 1872, leur désignation sous le nom de « conférence de méthode » n’intervient qu’à l’occasion de la grande réforme pédagogique de 1940-1941. Devenue un classique de la scolarité façon Sciences Po, leur existence ne sera jamais remise en cause par la déclinaison de nouveaux formats pédagogiques (travaux pratiques et groupes d’enseignement dans les années 1970, cours-séminaires et ateliers dans les années 1990-2000). Depuis 1872, les conférences de méthode ont en effet su faire leur preuve !
Marie SCOT, Centre d'histoire de Sciences Po.
Sources :
- Archives de Sciences Po, 1SP : fonds de l’École libre des sciences politiques.
- Sébastien Laurent, L’école livre des sciences politiques, 1871-1914, mémoire de DEA de l’IEP de Paris, sous la direction de Guy Thuillier, 1991.