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15.10.2017
Les jeunes et l'image
La question de l’impact des images
Toute image exprime une idéologie. Si, dans les années 1960-1970, on s’est beaucoup préoccupé de l’impact des images publicitaires, ces dernières années ont vu resurgir et se développer de multiples débats : les images violentes rendent le spectateur violent ? Comment évaluer et agir sur les risques de la pornographie qui tend à modifier les comportements sexuels des adolescents ? Et comment réagir au développement des images de propagande accompagnant le phénomène de radicalisation religieuse ? Les spécialistes de la santé se trouvent aussi confrontés au fait de devoir gérer des personnes dont les troubles sont consécutifs non pas seulement aux attentats de Paris en novembre 2015 mais au traitement médiatique de ces attentats.
Nombreuses sont les études psychologiques et sociologiques qui ont pour objectif de déterminer les impacts psychologiques et sociaux des images et d’expliquer la manière dont les images influencent les personnes. Concernant, par exemple, l’impact des images violentes sur la construction de la personnalité de l’enfant, les recherches ont établi plusieurs effets d’une exposition prolongée. Ainsi, si l’imitation pure et simple demeure rare, on observe une augmentation des comportements violents par baisse de l’inhibition et de la culpabilité, une augmentation du sentiment d’insécurité et de peur de devenir victime à son tour, la diminution de l’empathie envers les victimes dans le monde réel, en raison d’une forme de désensibilisation à la violence (Assouline). Pour que les images violentes puissent jouer un rôle positif comme celui de catharsis, l’environnement social et familial doit proposer un accompagnement adapté afin de permettre de verbaliser les émotions et de donner un sens aux images en les analysant (Assouline ; Tisseron). Outre le type de violence représentée et les formes dans lesquelles elles s’expriment, c’est aussi l’abondance et la déclinaison multimédiatiques des images qui favorisent leur impact.
Un univers massivement visuel
Encore plus que la précédente, la génération « digital native » vit dans un univers massivement visuel. La consommation multimédia de la jeunesse en atteste. En 2009, les jeunes de 15 à 25 ans passaient en moyenne 13h par semaine sur internet. Et 83% des 20-24 ans regardaient la télévision quotidiennement (Octobre). A cela s’ajoute la fréquentation des cinémas, le temps consacré aux jeux vidéos et la photographie publicitaire qui envahit les rues et la presse.
Adolescents et jeunes adultes ne sont pas simplement entourés d’images, ils en utilisent aussi à des fins de communication, comme en témoigne l’engouement croissant pour Instagram ou Snapchat. Qu’il s’agisse d’émoticônes ou de photographies produites par l’expéditeur, l’image est bien aujourd’hui un langage à part entière qui se passe volontiers du texte (Trinh-Bouvier).
Selon Debray, nous sommes entrés dans la « vidéosphère ». Succédant à la logosphère et à la graphosphère, le terme désigne la phase de la civilisation qui démarre à partir de l’invention de la télévision en couleurs et dans laquelle le visible fait autorité. Les nouvelles formes de création, de diffusion et de consommation des images affectent notre rapport à nous-mêmes, aux autres et au monde.
L’éducation à l’image et aux médias
La prise de conscience de l’Etat de la nécessité de développer l’analyse et la culture artistique se traduit par une succession de mesures dont l’application demeure poussive (Assouline ; Bonfait/Rimaud). Apparaît tout d’abord l’éducation artistique et culturelle à l’école, prolongeant le mouvement d’éducation populaire né au XIXe siècle. Celle-ci s’est notamment exprimée dans la mise en place des enseignements de pratiques artistiques après mai 1968.
Progressivement, la volonté de donner accès au patrimoine et à la création contemporaine, de développer la créativité et les pratiques artistiques pour le plus grand nombre s’est doublée d’une ambition théorique et critique. L’expression « d’éducation à l’image » apparaît dans les années 1990. Elle est assez vite complétée par « l’éducation aux médias et à l’information » qui vise à apprendre aux élèves à adopter une distance critique vis-à-vis des informations délivrées par les médias, à consolider leurs capacités d’analyse et à renforcer leur engagement citoyen.
Si cette éducation aux médias et à l’information est bien inscrite dans les programmes scolaires, une question reste problématique : celle des moyens nécessaires au développement d’une véritable école du regard avec ses enseignants (historiens des arts) et ses contenus. Dans les faits, elle n’est que peu enseignée en raison notamment des contraintes horaires, de son caractère facultatif, des résistances de l’institution scolaire et du manque de formation des enseignants (Assouline ; Bonfait/Rimaud).
En complément de l’action à l’école, se pose la question du rôle de l’enseignement supérieur dans l’éducation aux médias.
Enseignement supérieur et éducation aux médias
Si l’image est de plus en plus abondamment utilisée dans les cours en tant que support pédagogique, elle doit aussi devenir objet d’analyse.
Apparue dans les années 1990 dans différents champs de recherche comme objet, source et agent actif, l’image se fait aujourd’hui plus présente dans l’enseignement. Frédéric Ramel et Corentin Cohen sont par exemple revenus sur ce phénomène dans la recherche en Relations internationales (Ramel/Cohen).
En parallèle, commencent à se mettre en place les moyens pour proposer une large formation fondamentale destinée à fournir aux étudiants des outils pour devenir maître des images, de leurs modes opératoires, de leurs significations, de leur impact, de leur registre symbolique. Car chaque étudiant doit en effet être à même de décrypter les images contemporaines en les situant dans une chaîne historique et visuelle de production et de réception beaucoup plus longue. A Sciences po, la réforme du Collège universitaire de 2016 prévoit une place pour cet apprentissage dans la formation des étudiants. Alors que l’école Polytechnique a créé un poste de professeur d’histoire de l’art pour dispenser des cours en 2e et 3 années et ouvrira, à l’automne 2017, un musée (MusX) présentant des collections scientifiques et artistiques.
Cécile PICHON-BONIN (PhD), Historienne de l'art.
Bibliographie
- Brachet-Lehur, Monique, « Influence des images médiatiques sur l’imaginaire des enfants. Un nouveau rapport aux images», Imaginaire & Inconscient 4/2001 (no 4), p. 27-41, www.cairn.info/revue-imaginaire-et-inconscient-2001-4-page-27.htm, consulté le 25 juillet 2016.
- Assouline, David, Rapport d’information au Sénat au nom de la commission des Affaires culturelles sur L’impact des nouveaux médias sur la jeunesse, 2008-2009, https://www.senat.fr/rap/r08-046/r08-0461.pdf, consulté le 25 juillet 2016.
- Bonfait, Olivier, Rimaud, Yohan, Livre blanc sur l’enseignement de l’histoire des arts dans les écoles, collèges et lycées, Une formation humaniste et sensible à réinventer, Paris, APAHAU, 2012, http://culturevisuelle.org/icones/files/2012/06/livre-blanc-apahau.pdf, consulté le 25 juillet 2016.
- Cohen, Conrentin et Ramel, Frédéric, « Prendre les images au sérieux. Comment les analyser ? », Devin, Guillaume (dir.), Méthode de recherche en relations internationales, Presses de Sciences po, Paris, 2016, p. 71-92.
- Debray, Régis, Cours de médiologie générale, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Idées », 1991.
- Octobre Sylvie, « Pratiques culturelles chez les jeunes et institutions de transmission : un choc de cultures ? Cultural practices amongst the young and transmitting institutions: a clash of cultures?», Culture prospective 1/2009 (n°1), p. 1-8, www.cairn.info/revue-culture-prospective-2009-1-page-1.htm, consulté le 25 juillet 2016.
- Tisseron, Serge, Y a-t-il un pilote dans l’image ? Paris, Aubier, 1998.
- Tisseron, Serge, Enfants sous influence. Les écrans rendent-ils les jeunes violents ? Paris, Armand Colin, 2000.
- Tisseron, Serge, « Images violentes, violence des images », Tripodos, n° 15, 2003.
Trinh-Bouvier, Thu, Parlez-vous Pic speech ? La nouvelle langue des générations Y et Z, Paris, Kawa, 2015.