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21.11.2024
Agriculture : quelles colères et quelles attentes ?
Dix mois après la période agitée de l’hiver dernier, les agriculteurs manifestent à nouveau leurs colères.
Si l’on sait qu’elles couvaient encore – les engagements pris par le gouvernement ayant été peu suivis d’effets ; si l’on sait que la finalisation de l’accord Mercosur est la goutte qui fait déborder le vase, il importe d’aller au-delà de l’actualité pour en comprendre les racines et en connaître le poids.
Ces colères n’illustrent-elles pas des transformations que la société et les politiques ignorent ? Sont-elles identiques d’une filière ou d’un territoire à l’autre ? Les attentes sont-elles homogènes ? Réponses par Pierre-Henri Bono (économètre au CEVIPOF) et François Purseigle (professeur des universités en sociologie AgroToulouse et chercheur associé au CEVIPOF) sur la base d’une enquête récente portant sur 1 258 exploitants agricoles.
Un mouvement agricole, trois courants de pensées pour quatre catégories d’acteurs
- Les libéraux pro-européens et conservateurs floués (60 % des agriculteurs interrogés) davantage favorables à l’Union européenne que les autres courants. Des entrepreneurs à la recherche de conditions équitables sur les marchés, ses partisans se sentent parfois trahis par les politiques actuelles. Au sein de ce courant, les libéraux pro-européens et les conservateurs floués représentent chacun 30 %,
- Les conservateurs identitaires et agrariens (22 %), formé d’agriculteurs plutôt eurosceptiques, qui revendiquent de pouvoir vivre de leur métier et prônent la défense d’une conception de leur profession enracinée dans les territoires,
- Les écologistes socio-altermondialistes (18 %), engagés pour une agriculture plus alternative et ils attendent des pouvoirs publics un soutien pour une agriculture paysanne.
Une population engagée ?
L'éventail des proximités syndicales rappelle les grands équilibres syndicaux actuels :
- 37 % de la FNSEA/Jeunes agriculteurs,
- 19 % de la Coordination rurale,
- 15,5 % de la Confédération paysanne,
- 28 % d’aucune organisation.
40 % des agriculteurs interrogés déclarent avoir manifesté une ou plusieurs fois lors des évènements de l’hiver 2023/2024, 43 % n’y ont pas pris part, mais soutenaient le mouvement. Seuls 14 % déclarent avoir été en désaccord avec lui.
Une population bien formée et mal rémunérée
- 65 % des répondants sont diplômés du supérieur : 36 % possède un Bac + 2, 14 % un Bac + 3-4, 15 % un Bac + 5,
- 53 % des répondants vivent au sein d’un ménage dont les revenus sont inférieurs au revenu médian (2 000 € net par mois),
- 31 % vivent en dessous du seuil de pauvreté (1 200 €).
Quatre profils socio-économiques d’agriculteurs en colère
- Les libéraux pro européens : bien dotés économiquement, ils se positionnent au centre droit de l’échiquier politique ou en faveur de la droite républicaine. Ils sont très satisfaits de la vie qu’ils mènent. Ils incarnent l'agriculture conventionnelle qui réussit, tout en étant conscients de l’importance de la question environnementale. Ils savent apprécier le rôle de l’UE en matière agricole et se positionnent majoritairement en faveur de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs,
- Les conservateurs floués : ils ont des revenus dans la moyenne, partisans du parti Les Républicains, ils sont néanmoins sensibles à certaines offres de l’extrême droite (Zemmour et Maréchal). Ouverts à la mondialisation, ils considèrent que l’UE est inefficace et se sentent trahis par les politiques qu’elle mène. Ce sont eux qui sont les plus engagés dans les mouvements revendicatifs, même s’ils sont parfois critiques du syndicalisme agricole,
- Les conservateurs identitaires et agrariens : ils ont un revenu moyen assez faible et un niveau de formation inférieur aux autres agriculteurs. Ils sont très critiques vis-à-vis de l’Europe. C’est parmi eux que l’on retrouve la proportion la plus importante d'abstentionnistes et de partisans du RN et de la Coordination Rurale. Ils sont attachés à leur identité de ruraux et aux traditions de leur territoire,
- Les écologistes socio-altermondialistes, ils sont installés sur des petites exploitations, souvent très diplômés et plus féminisés, ils possèdent un positionnement très clair à gauche. Ce sont des paysans à la sobriété économique heureuse. Ils militent pour une agriculture alternative dont ils espèrent qu’elle pourra être soutenue par l’UE.
Un même faisceau de colères
- Le ras-le-bol des normes et de l’administratif : 49 % des citations,
- La dénonciation d’un abandon et d’un système à bout : 37 % des citations,
- La revendication d’une juste rémunération au regard du travail réalisé : 12 % des citations.
Trois quêtes de reconnaissance différentes
- Une quête de reconnaissance identitaire et de leur place singulière dans les territoires,
- Une quête de reconnaissance économique des entrepreneurs qu’ils sont et de l’importance stratégique de leur secteur,
- Une quête de reconnaissance politique de leur contribution socio-environnementale à la transformation de l’agriculture.
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