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13.12.2024
Décarboner le système de santé : quels enjeux pour les politiques publiques?
Le projet “Décarboner le système de santé : quels enjeux pour les politiques publiques ?” mené à l’interface des axes Politiques environnementales et Politiques de santé du LIEPP interroge l’enjeu majeur de la décarbonation du secteur de la santé. Par ses émissions directes et indirectes, le système de santé contribue de manière non négligeable au changement climatique. En France, une estimation réalisée par le Shift project (2023), établit à environ 8 % la contribution du secteur de santé à l’empreinte carbone nationale.
Comment répondre à cette problématique ? Quel impact peuvent avoir les politiques publiques ?
Matthias Brunn (LIEPP) et Charlotte Halpern (CEE, LIEPP) sont porteurs de ce projet, mené en partenariat avec Laurie Marrauld, à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et Anneliese Depoux, à la Faculté de Santé d’Université Paris Cité.
Les décideurs publics se sont-ils déjà saisis de cette problématique ? Existe-t-il un effort de mesure des émissions carbones du système de santé à l’échelle nationale ?
Il s’agit d’un sujet d’intérêt relativement récent pour les pouvoirs publics. Quantifier l’impact carbone des systèmes de santé n’est pas simple. Le Royaume-Uni a joué un rôle pionnier en la matière, estimant l’impact carbone de son système de santé à environ 4% des émissions CO2 dans la stratégie « Delivering a Net Zero National Health Service » adoptée en 2020. En France, dans l’estimation réalisée en 2023, le Shift project a établi à environ 8% la contribution du secteur de santé à l’empreinte carbone nationale.
La production de ces estimations soulève une première série d’enjeux de mesure : Quelles sont les émissions de gaz à effet de serre produites par le système de santé, par quels acteurs et comment les mesurer ? Ceux-ci se doublent d’enjeux tout aussi fondamentaux du point de vue des politiques publiques et de la gouvernance, dès lors que l’on s’engage dans la définition et la mise en œuvre d’une trajectoire de décarbonation : Quels leviers faut-il privilégier, entre, par exemple, les achats, le bâtimentaire ou encore les soins ? Comment les politiques publiques peuvent-elles accompagner ce processus ?
Une Feuille de route « Planification écologique du système de santé » a été adoptée en juin 2023 par le Ministère de la santé. Son appropriation et sa mise en œuvre par les différents acteurs du système de santé ne sont pas facilitées par le contexte politique et institutionnel. Au-delà, cela reflète les dynamiques en cours dans d’autres pays européens, ainsi que l’ont montré les interventions d’équipes britanniques, suisses, allemandes et autrichiennes, lors du Forum ETHICH Forum suisse pour la transformation écologique du système de santé en septembre 2024, à Bâle.
Si les objectifs restent les mêmes, les trajectoires de décarbonation et les leviers de mise en œuvre varient en fonction, notamment :
- de la part respective du public et du privé dans le système de santé national ;
- du niveau de décentralisation des compétences et d’autonomie des autorités locales ;
- des relais existants parmi les professionnels et les organismes de santé.
Ces regards croisés confirment l’apport d’une recherche évaluative qui apporte des clés de compréhension sur les enjeux propres aux politiques publiques et à la gouvernance.
La journée Déprescrire dans une perspective santé - environnement : quelles pistes pour les politiques publiques en France ? a eu lieu le 4 décembre 2024 dans le cadre de ce projet. Y a-t-il un véritable enjeu à influer sur la production et la prescription de médicaments en France ?
Oui ! La surconsommation de médicaments en France constitue un problème majeur, avec une prescription souvent inappropriée, touchant 54 % des résidents en EHPAD et 25 % des personnes âgées en ville. Cette surprescription engendre des risques sanitaires (interactions médicamenteuses, hospitalisations évitables) et a un impact environnemental significatif, tels que les 17 600 tonnes de médicaments non utilisés jetés en 2018, contribuants à la pollution et à la résistance bactérienne.
Les médicaments représentent pr
ès d’un tiers des émissions de CO2 du système de santé, qui lui-même représente 8 % de l’empreinte carbone nationale. Face à ces enjeux, la déprescription offre des bénéfices doubles : réduire les risques pour la santé des patients (par exemple les chutes et les troubles cognitifs liés à certains médicaments comme les benzodiazépines) et diminuer l’impact environnemental du secteur pharmaceutique.
Les politiques publiques peuvent jouer un rôle crucial en renforçant les réglementations sur les pratiques de prescription, en promouvant l’éco-prescription, et en intégrant la déprescription dans les formations des professionnels de santé.
Cependant, la complexité de l’écosystème de santé (incluant les professionnels, les agences de régulation et l’industrie pharmaceutique) nécessite des interventions coordonnées pour surmonter les freins institutionnels et engager tous les acteurs dans une démarche durable et centrée sur le patient.
Est-il possible dès aujourd’hui d’identifier certaines pratiques qui devront évoluer si la décarbonation du système de santé devient une priorité dans notre pays ? A l’international, de telles initiatives ont-elles déjà été menées ?
Pour décarboner le système de santé en France, plusieurs pratiques doivent évoluer, à commencer par la réduction des émissions liées aux produits pharmaceutiques, qui représentent un tiers des émissions totales du secteur. Cela passe par la déprescription, l’éco-conception des médicaments et des protocoles de prescription optimisés.
Les hôpitaux, responsables de 22 % à 44 % des émissions selon les pays, doivent également verdir leurs pratiques, notamment en remplaçant les gaz anesthésiques par des alternatives moins polluantes et en améliorant l’efficacité énergétique des infrastructures. Le développement de la télémédecine et des soins de proximité pourrait réduire les émissions liées aux transports, qui comptent pour 13 % des émissions du système de santé. Par ailleurs, une gestion renforcée des déchets hospitaliers, comme l’utilisation de dispositifs réutilisables, limiterait l’impact environnemental des consommables.
À l’international, des initiatives inspirantes ont émergé : le National Health Service au Royaume-Uni a réduit son empreinte carbone de 11 % grâce à une stratégie globale, tandis que des projets régionaux en Suède ont baissé les émissions par patient de 40 %. Au Canada, des centres de proximité ont diminué les émissions liées aux trajets des patients en cancérologie, économisant environ 47 000 kg de CO2 par an pour 400 patients. Ces exemples montrent que des réformes systémiques, combinant transformation des pratiques, gouvernance écologique et mobilisation des parties prenantes, sont nécessaires pour décarboner de manière efficace.
Source: Zeynep Or, Anna-Veera Seppänen, The role of the health sector in tackling climate change: A narrative review, Health Policy, Volume 143, 2024.
Aujourd’hui votre projet permet à des chercheurs et à des praticiens d’échanger sur cette problématique encore trop méconnue. Comment envisagez-vous la suite du projet ?
Ce projet articule, depuis les origines, une double dimension. La première consiste, pour chacun d’entre nous, à produire des résultats de recherche robustes sur les différentes questions que nous avions identifiées en mai 2023, lors de la journée de lancement du projet Décarboner le système de santé : quels enjeux pour les politiques publiques ?. A titre d’exemple, Matthias Brunn et ses collègues ont développé, à partir du cas spécifique des modalités de prise en charge de la dépression, un outil de prise de décision qui prend en compte les émissions carbone aussi bien que les critères d’évaluation en vigueur que sont le bénéfice clinique et le coût économique. Les résultats de cette initiative ont été publiés sous forme de Working Paper du LIEPP. Charlotte Halpern a aussi contribué, dans le cadre du projet H2020 SUMP-PLUS, à une enquête pilote sur une approche intégrée de la territorialisation des objectifs de décarbonation des systèmes de transport et de santé dans le Grand Manchester (Royaume-Uni). Au-delà, nous développons un programme de recherche comparatif en Europe pour analyser plus finement les dynamiques de pilotage et mise en œuvre des trajectoires de décarbonation du système de santé.
Une seconde dimension, là aussi identifiée dès les origines du projet, tient à la poursuite d’un dialogue entre praticiens et chercheurs. Les journées d’étude que nous avons organisées au LIEPP et pendant les COP 28 et 29, confirment un intérêt partagé pour les espaces d’échange et de débat quant aux initiatives visant à inscrire la décarbonation dans une transformation en profondeur du système de santé. Il s’agit également d’un axe prioritaire de TIERED, projet institutionnel stratégique pour Sciences Po en partenariat, pour cette thématique spécifique, avec l’INSERM, Université Paris Cité, l’INED et le CNRS.
Propos recueillis par Ariane Lacaze.
Pour aller plus loin :
Lire l’article Moins polluer et mieux soigner, publié par Cogito, le magazine de la recherche de Sciences Po le 23/07/2024.
Consulter le compte rendu de la journée d'étude "Décarboner le système de santé : quels enjeux pour les politiques publiques ?" organisée le 03 mai 2023.
Lire le Working Paper : BRUNN, Matthias, MOLINIE, Guilhem et al, Comment choisir un soin durable ? Faisabilité d'un modèle de décision « médico-éco-climatique » pour la prise en charge de la dépression, Sciences Po LIEPP Working Paper n°162, 2024-04-11.