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11.09.2024
Bruno Palier - Comment les stratégies du low cost à la française ont intensifié et abîmé le travail ?
COMMENT LES STRATÉGIES DU LOW COST A LA FRANÇAISE ONT INTENSIFIÉ ET ABÎMÉ LE TRAVAIL ?
Bruno Palier
Depuis plus de trente ans, le travail en France n’est pas conçu comme un atout sur lequel les entreprises et les services publics pourraient s’appuyer pour améliorer leurs produits ou leurs services, mais comme un coût qu’il faut réduire par tous les moyens. C’est ce à quoi s’attèlent les politiques économiques françaises, principalement fondées sur des exonérations de cotisations sociales et des aides aux entreprises pour alléger le poids des « charges sociales ». Réduire le coût du travail à tout prix constitue aussi l’essentiel des stratégies des entreprises françaises. L’ensemble a eu pour effet de dévaloriser, intensifier et abîmer le travail en France.
Comme le montrent de nombreux travaux, le travail en France est devenu pour beaucoup de personnes de plus en plus dur, intense, en perte de sens. À l’instar des infirmières et des aides-soignantes, beaucoup de Françaises et de Français disent aujourd’hui ne plus pouvoir bien faire leur travail. Plusieurs enquêtes soulignent que le travail s’est fortement intensifié depuis trente ans, et que les conditions de travail se sont dégradées en France, et en Europe (cf la contribution de Maelezig Bigi et Dominique Méda). Il faut analyser la logique dominante des politiques gouvernementales de lutte contre le chômage et des stratégies de compétitivité des entreprises françaises pour comprendre cette évolution.
L’ensemble de ces stratégies repose sur une idée martelée en France depuis les années 1980 : le chômage, tout comme la faible compétitivité des entreprises françaises, seraient dus au coût du travail trop élevé, notamment du fait d’un État-providence lui-même trop coûteux, les cotisations sociales qui le financent représentant près de la moitié de la masse salariale. Pourtant, avec des coûts du travail équivalent voire supérieurs, les Allemands ou les Suédois, qui ont su investir dans la qualification et la qualité des emplois, arrivent à produire et exporter des produits et services de meilleure qualité, ou plus innovants, qu'ils vendent donc plus chers que les nôtres. Le manque de compétitivité de l’économie française est surtout lié à son positionnement en milieu de gamme : nous sommes trop chers pour ce que nous produisons (Bas et al., 2015). Mais, plutôt que de chercher à améliorer la qualité de nos productions, à investir dans les qualifications et la montée en gamme, on a préféré produire la même chose avec moins de monde, chasser les coûts et intensifier le travail, ce que nous appelons avec Clément Carbonnier une stratégie du low cost à la française (Carbonnier, Palier, 2022).
Dans ce texte, nous rappelons tout d’abord l’ampleur et l’impact des politiques publiques de baisse du coût du travail (importance des emplois de faible qualité), puis revenons sur les stratégies low cost des entreprises. Nous soulignons les conséquences de ces stratégies pour de nombreux travailleuses et travailleurs (intensification des tâches, dégradation des conditions de travail, éviction des plus âgés).
1. Les politiques de baisses du coût du travail, inefficaces en matière d’emplois et délétères pour le travail
Au début des années 1980 fleurissent les rapports soulignant le poids trop élevé du coût du travail, qui sert d’explication au chômage (notamment des moins qualifiés) et aux déficits commerciaux français. En 1987, Le patronat, alors dirigé par Yvon Gattaz, lance « la bataille des charges », pour dénoncer le poids trop élevé des cotisations sociales, expliquant par-là les réticences à embaucher tout comme la faible compétitivité des entreprises françaises (Palier, 2005, chapitre VII).
C’est en 1993 que commencent à la fois la litanie des réformes des retraites, mais aussi celle des plans généraux de baisse des cotisations sociales. Il s’agit pour Edouard Balladur de limiter l’augmentation prévisible des retraites avec sa réforme de juillet 1993, et de réduire le coût du travail pour les entreprises avec l’adoption en décembre 1993 de la Loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, dont la mesure principale consistait à réduire une partie des cotisations sociales patronales sur les bas salaires (entre 1 et 1,2 SMIC).
Depuis lors, la baisse du coût du travail est devenue la pierre angulaire des politiques économiques françaises, aussi bien pour réduire le chômage que pour accroître la compétitivité des entreprises. Des mesures Juppé, à celles liées aux 35 heures, des allègements Fillon au Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), devenu en 2019 une baisse pérenne de cotisations sociales, les allègements de cotisations sociales ont été progressivement étendus à la fois à plus de cotisations sociales (quasiment toutes au niveau du SMIC, où il ne reste plus que les cotisations retraites complémentaires et chômage), et à plus de niveau de salaire, jusqu’à concerner désormais 3,5 SMIC. En 2021, le montant total des exonérations de cotisations atteint 73,8 Milliards d’Euros.
Conséquences en matière d’emplois
Les nombreuses évaluations des politiques de baisse des cotisations sociales montrent que si elles ont eu une certaine efficacité lors de leur première mise en œuvre, elles n’ont ensuite quasiment pas permis de créer de nouveaux emplois (Carbonnier, Palier, 2022, chapitre 6). Ces politiques n’ont pas non plus permis d’améliorer la compétitivité à l’export des entreprises françaises (Malgouyres, Mayer, 2018). Ces politiques sont donc inefficaces pour lutter contre le chômage, et bien loin de permettre une montée en qualité des productions françaises, elles ont tiré celles-ci vers le bas et réduit ses capacités à produire et exporter des biens et des services de qualité.
Ces politiques ont en effet subventionné des secteurs d’activité incapable de construire une compétitivité hors coût, fondée sur la qualité des produits et services, et maintenus de nombreux emplois de piètre qualité. Comme le souligne un rapport du Sénat sur les politiques d’exonération de cotisations sociales : « La politique d’allègements a également favorisé un mauvais positionnement de l’économie française. Au lieu d’être ciblée sur les entreprises qui en ont le plus besoin et sur les secteurs les plus exposés à la concurrence, elle offre une prime aux bas salaires et aux secteurs les plus abrités. Les allègements bénéficient surtout aux petites entreprises du secteur des services, où les salaires sont moins élevés, et peu à l’industrie, pourtant exposée à une concurrence internationale incitant au dumping social et environnemental » (Rapport d’information du Sénat, p.14). Comme le rappelle Clément Carbonnier, les évaluations microéconomiques qui trouvent un impact des allègements sur l’emploi (Crespon, Desplatz, 2001) soulignent que les créations d’emplois liées aux allègements de cotisations sociales ont engendré une substitution de travailleurs peu qualifiés à la place de travailleurs plus qualifiés. Elles jouent donc à l’encontre de la capacité à soutenir des secteurs et des emplois de qualité.
En outre, ces politiques créent des trappes à bas salaires (Lhommeau, Méry, 2009). Parce que les baisses de cotisations diminuent à mesure que le niveau de salaire augmente, des effets de seuil empêchent de voir progresser les revenus des personnes dont les employeurs bénéficient de baisses de cotisations. Le mécanisme de baisse du coût du travail par la baisse des cotisations maintient donc de nombreux salariés dans des niveaux de revenus concentrés entre 1 et 1,5 SMIC (selon l’INSEE, en 2021, un salarié sur deux gagne moins de 2 012 euros nets en EQTP par mois).
Nous avons déjà souligné que maintenir de nombreux emplois de service à un niveau le plus bas possible est en fait le but recherché par ces politiques de baisse des cotisations sociales. En effet, la stratégie de compétitivité française, calquée sur la stratégie allemande, vise à réduire le coût des productions et des services à haute valeur ajoutée pour en favoriser l’exportation. Pour ce faire, il convient d’obtenir des salariés employés dans les secteurs exposés à la concurrence internationale une relative modération salariale. Celle-ci est obtenue par le fait que les prix des services aux entreprises et aux particuliers du secteur dit « abrités » (non soumis à la concurrence internationale) sont les plus bas possibles. Si la France avait un coût du travail dit « non qualifié » plus élevé que l’Allemagne au début des années 2000, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La somme des politique accumulées avait pour objectif et a effectivement impliqué de maintenir au plus bas possible le coût du travail (et donc le revenu) des personnes employées dans les secteurs des services aux personnes et aux entreprises.
Ces politiques de dévaluation fiscale, si leur efficacité en termes d’emplois est très faible, et si elles n’ont pas permis d’améliorer nos positions à l’export, ont en revanche contribué à construire une représentation dévaluée du travail, réduit à un coût pour les entreprises.
2. Les stratégies low cost des entreprises
La plupart des entreprises françaises ont d’ailleurs construit leurs propres stratégies de compétitivité sur la réduction du coût du travail. Il s’agit de faire baisser le coût de production des mêmes produits, de milieu de gamme, plutôt que de miser sur la qualité et l’innovation. Cette stratégie low cost repose sur quatre piliers principaux : les délocalisations, la sous-traitance, l’éviction des salariés les plus âgés, l’intensification du travail des salariés restants, fondée sur un management vertical par le chiffre. L’ensemble de ces stratégies a contribué à dégrader la qualité et les conditions de travail en France.
2.1 Délocaliser pour faire produire là où la main d’œuvre est moins chère
Les grandes entreprises françaises sont les championnes des délocalisations en Europe. Comme le souligne France Stratégie, les grands groupes français ont préféré faire « le choix des délocalisations plutôt que de la montée en gamme », réduisant ainsi le nombre d’emplois industriels en France. L’emploi des filiales industrielles à l’étranger des groupes français correspond à 62 % de l’emploi dans le secteur industriel en France, contre 52 % au Royaume-Uni, 38 % en Allemagne, 26 % en Italie et 10 % en Espagne. Même si la tendance a un peu baissé au cours du temps, l’INSEE montre qu’en moyenne annuelle sur la période 1995-2017, environ un millier d’entreprises ont délocalisé, correspondant à 25 000 emplois par an. Les délocalisations apparaissent en majorité industrielles, et près de la moitié à destination de pays européens. Les emplois qualifiés de l’industrie, y compris les ouvriers qualifiés, sont surreprésentés parmi les emplois délocalisés. Cette stratégie de délocalisation a progressivement éliminé de nombreux emplois relativement qualifiés de France et maintenu le chômage à un niveau élevé. Cette stratégie de mise en concurrence des salariés français avec les salariés des pays à moindre coût les obligent à accepter des salaires et des conditions de travail dégradés pour préserver l’emploi.
2.2 Faire appel à la sous-traitance et à l’intérim, pour obtenir un certain nombre de services à moindre coût
Depuis les années 1980, les entreprises françaises se concentrent sur leur « cœur de métier » et cherchent à externaliser des services qu’elles rémunéraient autrefois en interne. Il s’agit d’obtenir les mêmes services mais au plus bas prix possible, avec plus de flexibilité. Cette baisse du coût des services aux entreprises s’obtient grâce à de faibles rémunérations et des conditions de travail dégradées dans les entreprises sous-traitantes.
Afin de garantir la réduction du coût du travail et la plus grande flexibilité possible des services rendus aux entreprises et aux collectivités (qui achètent désormais des heures ou des forfaits de services plutôt que d’embaucher des salariés), un ensemble de mesures de libéralisation partielle du marché du travail a été adopté dès les années 1980 et se sont poursuivies depuis lors : création de nouveaux types de contrats de travail (dits « atypiques » mais qui deviennent la norme pour les services dits « peu qualifiés »), assouplissement des règles d’emploi en CDD (contrats à durée déterminée, intérim et temps partiel). Cette stratégie de développement de la sous-traitance permet donc d’obtenir les mêmes services mais au moindre coût puisqu’il ne faut plus financer tous les avantages sociaux de l’entreprise pour ces salariés désormais externalisés (Palier, Thelen, 2010). La conséquence est une dégradation de la qualité, des conditions et de la protection du travail dans le secteur de la sous-traitance.
Par ailleurs, un certain nombre de services collectifs auparavant pris en charge par les collectivités locales, vont se trouver privatisés : distribution de l’eau, nettoyage et entretien des espaces publics, collecte et traitement des déchets…). Là encore, le but est de faire baisser le coût de ces services, ce qui implique de maintenir au plus bas les niveaux de rémunération des services rendus qui reviendraient plus chers s’ils continuaient d’être fournis par des agents des collectivités locales eux-mêmes (Lorrain, Stoker, 2010).
Ces moindres coûts s’obtiennent en maintenant au plus bas les salaires et les protections des salariés. Les conditions de travail et de formation sont particulièrement dégradées dans les secteurs de la sous-traitance et de l’intérim. La DARES montre qu’en 2019, un quart des salariés travaillent dans un établissement preneur d’ordre. Une étude du Centre d’économie de la Sorbonne pour la DARES publiée en 2022 a montré que les salariés des sous-traitants sont plus exposés aux risques physiques et organisationnels et aux accidents du travail. Une étude du Cereq de 2020 montre qu'en matière de formation, les salariés des sous-traitants en bout de chaîne ont de moins bonnes conditions d’accès aux formations, qu'il s'agisse des opportunités fournies, des espaces d’expression alloués ou de la nature des formations à même d’être poursuivies. Une étude de la DARES de 2023 confirme que les salariés des entreprises sous-traitantes sont davantage exposés aux accidents du travail.
2.3 Renvoyer les salariés les plus âgés considérés comme les plus coûteux
Bien loin de prendre soin de garder les salariés âgés en emploi, beaucoup d’entreprises françaises ont longtemps cherché à s’en débarrasser à tout prix, parce qu’elles les considèrent comme trop coûteux. Une enquête de 2008 avait même mis en avant des pratiques discriminatoires envers les travailleurs âgés : suppression de postes tenus par les plus âgés, mutations dans des lieux de travail plus contraignants, affectation à des tâches inintéressantes (Aouci, Carillon, 2008). La Dares a montré en 2016 que les salariés âgés renoncent à se former et que les employeurs rechignent à investir dans la formation de leurs salariés de plus de 50 ans. N’ayant investi ni dans la formation de leurs séniors, ni dans leurs conditions de travail, les employeurs considèrent que les plus âgés ne sont plus assez productifs pour le salaire qu’ils leur coûtent, et ont longtemps préférer s’en débarrasser par tous les moyens, dispositifs de pré-retraites quand ils existaient, et désormais plans sociaux et ruptures conventionnelles… Même s’il remonte progressivement, le taux d’emploi des salariés âgés en France reste particulièrement bas (56% des 55-64 sont en emplois en France, contre 71% en Allemagne ou 77% en Suède).
2.4 Intensifier le travail de ceux qui restent
Après avoir délocalisé, externalisé et fait partir le plus âgés, beaucoup d’entreprises françaises cherchent à faire travailler plus intensément les salariés moins nombreux qu’elles ont gardé en leur sein. Cette intensification du travail passe par des modes de management verticaux qui imposent des objectifs toujours plus élevés aux salariés. Thomas Coutrot et Coralie Perez (2022) soulignent la montée en puissance du management par les chiffres, dans le privé comme dans le public et ses effets délétères sur le « sens » du travail, les conditions de travail et la santé. Laurent Cappelletti souligne que les organisations contemporaines et leur fonctionnement se basent toujours plus sur les principes de forte spécialisation du travail, de séparation des organes de conception et d’exécution, de formalisation de normes de règles et de processus, s’éloignant ainsi d’un management de proximité plus favorables aux salariés comme aux résultats de l’entreprise.
Comme le souligne une étude de France stratégie de 2020, le lean management, fondé sur l’idée de faire disparaître tout ce qui est superflu et de toujours fonctionner à flux tendu, a progressé en France, contrairement à l’organisation apprenante du travail. Dans les services publics comme dans les entreprises privées, les travailleurs les moins qualifiés subissent toujours plus ce management vertical par les chiffres. Sans même faire référence aux dérives de ce management chez Orange ou Renault, ni sur la situation des hôpitaux, eux aussi soumis à une intensification du travail du fait de la réduction continue des effectifs et de la tarification à l’activité notamment, on peut souligner combien ces modes de managements verticaux contribuent à dégrader les conditions de travail.
De nombreux travaux montrent depuis longtemps les dégradations des situations de travail et du rapport au travail en France (Baudelot, Gollac 2003 ou Askénazy, 2004). Ces travaux sont confirmés par les études les plus récentes. Les troubles musculo-squelettiques (TMS) représentent une très forte majorité des maladies professionnelles et augmentent régulièrement. Tous ces indices soulignent le rythme toujours plus soutenu de l’organisation du travail, les contraintes organisationnelles accrues et le stress au travail.
Il s’agit là des conséquences concrètes des stratégies retenues par de nombreuses entreprises françaises. Pour rester compétitives dans une économie globalisée, les entreprises ont choisi de ne garder que les salariés qu’elles considèrent comme les plus productifs, et de leur demander de travailler toujours plus intensément. Mais les entreprises privées ne sont pas les seules à avoir intensifié le travail. L’introduction du néo-managérialisme (New Public Management) dans les services publics a eu le même objectif (Bezes, 2020) et les mêmes effets délétères sur le travail (voir par exemple Gilbert et al., 2021, Garcia et al., 2021 ou Arborio et Divay, 2021).
Cette stratégie d’hyper-productivité explique en grande partie pourquoi ceux qui travaillent ne souhaitent pas le faire plus longtemps, tandis que ceux qui n’ont pas accès à l’emploi ne comprennent pas qu’on demande de travailler plus longtemps alors qu’ils n’ont même pas la possibilité de travailler.
3. Dans ces conditions, les travailleuses et travailleurs français ne souhaitent pas travailler plus longtemps
Comme l’ont montré les mobilisations contre la réforme des retraites de 2023, la plupart des Français ne souhaitent pas travailler plus longtemps. Quand l’occasion se présente, ils partent en retraite le plus tôt possible. Différentes enquêtes analysent les motivations de départ à la retraite. Celle menée par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) en 2008, confirmée par de nombreuses enquêtes menées depuis par la DREES du Ministère des Affaires sociales, souligne que ceux qui veulent bien travailler plus longtemps sont ceux qui associent travail et « réalisation de soi, épanouissement personnel, valorisation et expression de soi, utilité sociale, bien-être et lien social ». Il s’agit le plus souvent de cadres, de professions intellectuelles, de diplômés du supérieur. En revanche, ceux, beaucoup plus nombreux, qui souhaitent partir le plus tôt possible associent travail et « fatigue au travail (physique et morale), contraintes (horaires, rythme de vie), obligations, usure, stress, pression, dégradation de l’ambiance au travail et du statut personnel » (Aouici et al., 2008, p. 11 et 14).
Comme le souligne cette étude « les assurés de moins de 60 ans ont souvent insisté sur la détérioration du climat professionnel, dénonçant la quête de productivité et la course au rendement. Il semble que ces nouvelles valeurs managériales aient conduit à la perte d’une ambiance sereine et conviviale que certains assurés ont connue en début de carrière, ambiance pâtissant désormais de comportements plus individualistes. Elles ont aussi amené des restrictions de personnel et ainsi contribué à l’accroissement des charges de travail. » (Aouici et al., 2008, p. 23).
Les enquêtes menées depuis confirment que des difficultés liées au travail constituent une motivation au départ. L’enquête motivation de départ à la retraite de la DREES publiée en 2021 montre ainsi que la principale motivation de départ à la retraite est de vouloir profiter d’une retraite la plus longue possible. Parmi les personnes parties à la retraite entre 2019 et 2020, plus de 40% disent qu’ils ne voulaient plus travailler, 27% du fait des conditions de travail et 28% pour des raisons de santé qui rendaient le travail difficile.
Conclusion : Vers une stratégie de la qualité ? Ne plus considérer le travail comme un coût, mais comme un atout dans lequel investir.
À force d’être considéré exclusivement comme un coût, du fait des stratégies du low cost des entreprises et des gouvernements, le travail s’est trouvé fortement dévalorisé et abîmé… D’autres stratégies sont pourtant possibles, celles qui considèrent le travail comme un atout pour les entreprises et pour le pays. Ainsi, les Allemands investissent dans la qualification et la protection des salariés des industries exportatrices, les pays Nordiques investissent dans la formation tout au long de la vie et dans les bonnes conditions de travail de tous les salariés, et les entreprises de ces pays misent sur la qualité et l’innovation de leurs productions. Ces stratégies reposent sur la participation des salariés, aux innovations comme aux décisions. Les représentants des salariés occupent une place importante dans les conseils d’administration des entreprises allemandes ou nordiques. Le management qui domine est fondé sur l’horizontalité et l’implication, dans ce que l’on appelle des entreprises apprenantes dont un des pionniers fut Volvo en Suède. Rien d’étonnant dès lors à voir ces pays afficher des taux d’emplois des séniors plus élevés qu’en France, puisque les entreprises ont cherché à les garder, et que les salariés ont trouvé qualité, sens et reconnaissance dans leur travail. À quand une telle stratégie de la qualité pour la France ?
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Consultez les autres textes de la série "Que sait-on du travail ?"
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Références :
AOUICI Sabrina, CARILLON Séverine (2008), « Les motivations de départ à la retraite », Les Cahiers de la CNAV, no 1, mai.
ARBORIO Anne-Marie, DIVAY Sophie (2021), « Aides-soignantes et infirmières au cœur de l'hôpital ». in Hélène Frouard et Catherine Halpern. La santé. Un enjeu de société, 53, Sciences humaines, pp.87-91.
BAS Maria, FONTAGNÉ Lionel, MARTIN Philippe, MAYER Thierry (2015), « À la recherche des parts de marché perdues », Notes du conseil d’analyse économique, 2015/4 (n° 23)
BEZES Philippe, (2020), « Le nouveau phénomène bureaucratique : Le gouvernement par la performance entre bureaucratisation, marché et politique », Revue française de science politique, no 1, p. 21-47.
CARBONNIER Clément, PALIER Bruno (2022), Les femmes, les jeunes et les enfants d’abord, investissement social et économie de la qualité, Paris, PUF.
CRÉPON Bruno, DESPLATZ Rozenn (2001), "Une nouvelle évaluation des effets des allégements de charges sociales sur les bas salaires", Économie et Statistique, vol. 348(1), pp. 3-34.
COUTROT Thomas, PEREZ Coralie (2022), Redonner du sens au travail, La République des idées/ Seuil.
GILBERT Patrick, GURTNER Emmanuelle, SOULEROT Marion (2021), « Piloter la performance : sens et non-sens du travail », @GRH, 2021/1 (N° 38), p. 13-37.
GARCIA Sandrine, PILLON Jean-Marie (2021), « Introduction. Des agents publics, des usagers et des réformes. Lorsque la rationalisation gestionnaire conduit au tri des bénéficiaires », Sociétés contemporaines, 2021/3 (N° 123), p. 5-21.
LORRAIN Dominique, GERRY Stoker (2010), La privatisation des services urbains en Europe. La Découverte.
MALGOUYRES Clément, MAYER Thierry (2018), « Exports and labor costs: evidence from a French policy », Review of world economics, vol.154 no 3. p. 429‑454.
PALIER Bruno (2005), Gouverner la sécurité sociale, les réformes du système français de protection sociale depuis 1945, Paris, PUF.
PALIER Bruno, THELEN Kathleen (2010), "Institutionalizing dualism: Complementarities and change in France and Germany." Politics & Society 38.1 : 119-148.