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07.06.2023

Evaluer l’effectivité du droit des patients : Le dispositif de la personne de confiance en France

Maïva Ropaul est maître de conférences en sciences de gestion à l’IUT de Paris Rives de Seine (Université Paris Cité) et membre du Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche Appliquée en Économie de la Santé. Elle codirige le projet Décision médicale pour autrui : évaluation du dispositif de la personne de confiance (DEMEPECO), sélectionné dans le cadre de l’appel à projets 2020 du LIEPP. Ce projet de recherche a pour objectif d’évaluer les effets du dispositif de la personne de confiance sur la qualité de la prise en charge des patients âgés et sur le bien-être de leurs familles. 

Pouvez-vous décrire le dispositif de la personne de confiance ?

Selon la législation française, la personne de confiance peut accomplir trois missions complémentaires. La première est d’être consultée par les médecins pour rendre compte de la volonté du patient si celui-ci est hors d’état d’exprimer ses souhaits. La seconde mission consiste à accompagner et assister le patient lors des rendez-vous médicaux. La troisième mission est d’accompagner le patient dans ses choix et l’aider à prendre des décisions relatives à sa santé.

Ce dispositif a été introduit dans le corpus législatif par la loi du 4 mars 2002, dite « loi Kouchner », texte marquant qui a établi les notions de « droit des malades » et de « démocratie sanitaire ». Le rôle de la personne de confiance a été précisé par la loi du 2 février 2016 dite « loi Claeys-Leonetti ». La loi dispose que lorsque le patient est dans l’incapacité de s’exprimer, et qu’il faut envisager une limitation, un arrêt des traitements ou la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, la personne de confiance doit être consultée par l’équipe médicale. Son témoignage prévaut sur tout autre avis non médical, provenant par exemple de la famille ou des proches, à l’exception du témoignage fourni par les directives anticipées.

Ce dispositif de la personne de confiance, présent dans le paysage législatif français depuis plus de 20 ans, est encore mal connu de la population. Par exemple, le mode de désignation de la personne de confiance n’est pas toujours bien compris. La loi indique que la désignation doit se faire par un écrit cosigné par le patient et la personne de confiance. Et, parallèlement, certains patients pensent que la personne de confiance est, par défaut, leur conjoint. Or, l’acte de mariage n’implique pas automatiquement la première position dans la hiérarchie des témoignages recueillis par les équipes médicales !  Le cas de Vincent Lambert l’illustre bien.

En tant que membre d'une famille avec des aidants et des personnes dépendantes, j'ai vu comment les décisions de prise en charge peuvent avoir des conséquences significatives sur la vie et la santé des personnes impliquées, ainsi que sur les relations familiales. C'est pourquoi j'ai été intriguée par le dispositif de "personne de confiance" qui vise à protéger les droits des patients en leur permettant de désigner une personne de leur choix pour les accompagner et les soutenir dans leurs démarches de santé.

Je suis donc motivée pour mener des recherches sur ce dispositif afin d'explorer les implications légales et pratiques de cette mesure pour les familles et les patients. Mon objectif est de mieux comprendre comment le dispositif de la personne de confiance, en tant qu’outil de communication, peut contribuer au bien-être des patients, des familles et des professionnels de santé.

Les patients exercent-ils leur droit à désigner une personne de confiance ? Quelle est la situation actuelle en France sur ce point ?

Malgré une revue de littérature exhaustive s’appuyant sur dix bases de données françaises ou anglophones, mon équipe et moi-même n’avons pas détecté de statistiques nationales officielles exhaustives sur l’exercice de ce droit par les patients. Nous avons, en particulier, interrogé les bases Pubmed, Embase, CINAHL, BDSP, CISMEF, LISSA, BNDS, Cairn.info, SUDOC et ScienceDirect. A priori, il n’y a donc pas de vision d’ensemble permettant de catégoriser de manière totale l’état de l’exercice de ce droit par contexte de soins, à savoir la médecine de ville, les hospitalisations et les admissions en Ehpad.

Toutefois, nous avons repéré des articles parus dans des revues scientifiques à comité de lecture qui se sont attachés à mesurer le taux de désignation sur le terrain, à partir de l’étude d’un ou de plusieurs établissements, sans pour autant que cela soit transposable au niveau national. Le corpus d’articles que nous avons rassemblé nous indique que les situations sont variables dans le temps et dans l’espace.

Dans notre revue de littérature (article en cours d’écriture, « Trusted persons of elderly patients in France : a scoping review », Faye-Ropaul et al.), nous avons détecté quatre articles affichant des taux de désignation en dessous de 50% chez les patients: en 2012 dans un service de gériatrie et un service de médecine interne de deux hôpitaux de la région parisienne (Ait Tadrart et al., 2012), en 2015 dans 66 unités de soins intensifs du sud de la France (Roger et al., 2015), en 2017 dans des services de gériatrie aiguë et des patients âgés atteints de cancer de la région parisienne (Paillaud et al., 2017) et enfin en 2018 chez des patients atteints de cancer dans un hôpital parisien (Martinez-Tapia et al., 2018) .

Nous avons en revanche repéré des taux supérieurs à 50% dans trois autres articles : en 2013, dans les services d’un hôpital en Guyane française (Basurko et al.,2013), en 2014 dans l’unité d'hématologie d'un hôpital universitaire en Nouvelle Aquitaine (Trarieux-Signol et al., 2014) et en 2015 en hôpital de jour d’un service d'oncologie basé dans un hôpital universitaire de la région parisienne (Vinant et al., 2015).

Le corpus que nous avons constitué - composé uniquement d’articles parus dans des revues scientifiques à comité de lecture, avec un degré de fiabilité suffisant sur l’usage des méthodes de collecte et d’analyse de données - ne nous permet pas de donner d’informations sur la situation en Ehpad et en médecine de ville.

Cependant, dans une recherche actuellement menée par mon équipe et moi-même (article en cours d’écriture, « La personne de confiance en Ehpad : perspectives des professionnels de santé », Faye-Ropaul et Khalil), nous montrons que la désignation est généralement proposée lors de l’admission en Ehpad, comme la loi y invite (CASF art. D. 311-0-4 al.1). Cela ne nous dit pas quel est le taux effectif de désignation dans ces établissements. En effet, quand il s’agit de désigner une personne de confiance, plusieurs freins peuvent amener le patient à s’écarter de cet acte, même s’il a connaissance de ce droit et qu’il est invité à désigner un proche par son établissement d’accueil.

Quels sont les freins qui interviennent dans la désignation d’une personne de confiance ?

Les freins sont nombreux. Pour résumer, on pourrait les classer en quatre catégories, à savoir les freins informationnels, organisationnels, psycho-affectifs et culturels. Il s’agit là d’un résultat de notre revue de littérature.

L'information des patients sur le système de la personne de confiance peut avoir un impact positif sur le taux de désignation. Cependant, le corpus que nous avons rassemblé montre que la connaissance même de l'existence du dispositif de la personne de confiance est variable dans la population des patients. On pourrait, bien sûr, évoquer le rôle de sensibilisation des professionnels de santé. Il est vrai qu’une de leur mission est d’informer les patients sur leurs droits. Néanmoins, si je prends l’exemple de la médecine de ville, même si les médecins généralistes se considèrent comme des acteurs et des soutiens essentiels dans ce système, ils se sentent mal à l'aise avec ce sujet (Pavageau et al., 2019).

Les freins organisationnels, eux, sont variés. En milieu hospitalier, l'arrivée de patients présentant des troubles cognitifs importants ou en situation d'inconscience constitue une première contrainte organisationnelle (Azoulay et al., 2013 ; Douplat et al., 2019 ; Lesieur et al., 2015 ; Molli, Cadec et Myslinski 2007 ; Quenot et al., 2021 ; Trarieux Signol et al., 2021). Ce n’est pas à ce moment-là qu’une désignation de la personne de confiance peut se faire. Les professionnels indiquent aussi qu'ils n'ont pas nécessairement le temps de fournir des informations sur les droits des patients (Dumont et al., 2012). Cela peut se comprendre, dans le contexte d’établissements cumulant des problèmes d’effectifs et des pathologies complexes.

Par ailleurs, même si cela peut paraître très trivial, il y a le mot « confiance » dans personne de confiance. Des enjeux psychologiques et affectifs sont à l’œuvre ! Accorder sa confiance à une personne privilégiée est particulièrement difficile, en particulier lorsque le contexte familial est dégradé. S’il existe des conflits dans la famille, cela peut empêcher le patient de choisir une personne de confiance (Azoulay et al., 2003).

En outre, les jeunes patients valides peuvent avoir des difficultés à imaginer la survenue d'un accident entraînant une perte de connaissance, des choix thérapeutiques à effectuer pendant cette impossibilité de s’exprimer et un possible handicap à anticiper (Boyer et al., 2018).

La personne âgée, quant à elle, peut avoir des difficultés à imaginer la perte des capacités physiques et cognitives liées au vieillissement ainsi que la mort. Le patient peut alors se montrer évitant et ne pas souhaiter aborder les thématiques de la personne de confiance ou des directives anticipées (Molli, Cadec et Myslinski, 2007).

Pour certains patients, ne pas nommer une personne de confiance peut s’apparenter à un acte d’amour. Ces patients anticipent que la personne de confiance devra les représenter, prendre des décisions compliquées, et que cela pourrait provoquer chez la personne de confiance détresse et anxiété. En imaginant le poids de cette responsabilité, ils décident en conscience de ne nommer aucun proche à ce poste.

Enfin, concernant les freins culturels, la France est un pays où les relations patient-médecin sont traditionnellement paternalistes. Cela peut générer chez certains acteurs, patients, proches et professionnels, le sentiment que la décision appartient au médecin, avec une supériorité hiérarchique sur les patients et les familles. Les patients laissent alors de côté cet instrument de la décision médicale partagée. On peut toutefois noter que la propension des patients à vouloir être écartés ou impliqués de la décision médicale peut varier en fonction de nombreux facteurs, tels que l'âge, le nombre de personnes dans le foyer, le nombre d'enfants, le nombre de médicaments quotidiens ou le type de pathologie (Martinez-Tapia et al., 2018 ; Paillaud et al., 2007 ; Paillaud et al., 2017).

Je donne ici uniquement quelques exemples pour nos quatre catégories identifiées. Les facteurs limitants sont bien nombreux.

Les personnels de santé ont-ils recours à ce dispositif et si oui, quelle perception ont-ils des personnes de confiance ?

Tout dépend de ce qu’on entend par « recours ». Le rôle de porte-parole des volontés du patient, qu’assure la personne de confiance, est généralement bien connu par les professions médicales. On peut toutefois noter que les équipes médicales s'appuient aussi sur le témoignage d'autres membres de la famille, qu’il y ait une personne de confiance désignée ou non (Lesieur et al., 2015 ; Sarradon-Eck et al. ; 2016 ; Douplat et al., 2019 ; Quenot et al., 2021).

Dans une étude de 2019 portant sur 109 patients de services d’urgences dans la région Rhône-Alpes, on a pu voir que les proches ont été impliqués dans le processus décisionnel dans plus de 80% des cas (Douplat et al., 2019). Ce taux encourageant n’est peut-être pas une réalité nationale. Par exemple, en 2009, une étude portant sur 1770 professionnels de santé des hôpitaux toulousains indique que les soignants connaissent rarement le nom de la personne de confiance de leur patient, ce qui interroge sur la place de la personne de confiance dans le processus de décision médicale (Péoc'h et Ceaux, 2009).

Il ne faut pas non plus omettre la réalité des décisions médicales. Celles-ci peuvent être très techniques, et les personnes de confiance peuvent se retrouver démunies dans la compréhension des procédures. Les critères médicaux peuvent primer sur le témoignage non médical de la personne de confiance. Parmi les critères médicaux utilisés, on peut noter la notion de qualité de vie prévisible, le handicap prévisible, l'âge, la fragilité, la trajectoire de vie globale du patient, l’absence de stratégie curative, la non-réponse à la thérapie médicale, et bien d’autres encore.

Les professionnels ont bien souvent à cœur de recueillir les volontés du patient par tout moyen, témoignages des proches ou directives anticipées. Mais il arrive que ce recueil leur soit très compliqué. Il peut être fastidieux pour les professionnels d'aller chercher des informations sur l'identité de la personne de confiance, si ces informations ne leur sont pas directement accessibles. Dans des situations d’urgence vitale, de telles enquêtes ne peuvent se faire dans des délais raisonnables.

Evidemment, on pourrait se dire que la mise en place du dossier médical partagé depuis 2018, désormais intégré au nouveau service " Mon espace santé ", pourrait permettre de partager ces informations avec les professionnels, y compris en cas d'urgence. Cependant, d’après Ameli.fr, seulement 10 % de la population générale a activé son dossier médical partagé (DMP). Mon équipe n’a pas détecté d’études sur les motivations d'activation du dossier médical partagé et la propension à y déposer des informations sur les souhaits médicaux. Cela serait une piste de recherche pertinente pour le futur.

Et, enfin, il y a des cas où l’expression des volontés médicales du patient n’est pas respectée, même lorsqu’elle est a priori accessible. On peut se demander pourquoi. Pour illustration, on peut citer par exemple cette étude de 2008, qui dans 200 hôpitaux français, montre qu'au moment du décès, la réanimation a été tentée chez 542 patients, dont 98 avaient des ordres de ne pas réanimer ou des ordonnances de limitation de traitement dans leurs dossiers (Ferrand et al., 2008).

Est-il possible d’observer les effets du dispositif de la personne de confiance sur la qualité des soins prodigués aux patients ?

Je dirais oui, en partie. Mais nous manquons encore de données au niveau national, et c’est un de mes objectifs de participer à la collecte de données sur ce sujet.

Par exemple, l’étude de 2008 sur 200 hôpitaux français montre que la désignation par le patient d'une personne de confiance est significativement associée à la perception par les infirmières d'un décès acceptable (Ferrrand et al., 2008). D'autres facteurs significatifs sont la présence d'un protocole écrit pour les soins de fin de vie dans le service, la présence d’un ordre de ne pas réanimer ou une ordonnance de limitation de traitement inscrite dans le dossier médical du patient. On voit que finalement, du point de vue de ces professionnels de santé, avoir obtenu une expression des volontés du patient est associé à une meilleure perception de comment s’est déroulé le décès de leur patient.

Une étude de 2015 montre aussi que la perception d'un traitement disproportionné et non bénéfique exprimée par les proches du patient et le souhait de limiter le traitement exprimé par le patient peuvent avoir un effet sur les décisions d'abstention ou d'arrêt des traitements de maintien en vie (Lesieur et al., 2015).

Est-ce que ce dispositif vous semble aujourd’hui adapté ? Y aurait-il des changements à apporter pour améliorer le bien-être des patients et de leurs familles ? 

Il faudrait pour répondre à cette question avoir déjà une vision globale du comportements des acteurs en France. Une démarche d’évaluation interdisciplinaire, avec une dimension nationale, est essentielle pour y parvenir.

Par exemple, les données comparant choix de thérapies des personnes de confiance et choix des patients sont rares en France. Sur ce sujet, mon équipe et moi-même mettons en place ce printemps une expérimentation s’appuyant sur les couples (article en cours, « Décision médicale au nom d’autrui : une expérience en laboratoire sur les couples », Faye-Ropaul, Sicsic, Bienenstock). J’invite d’ailleurs tout couple intéressé par ce type de question à s’inscrire et à venir participer à notre enquête, réalisée en présentiel dans le 13ème arrondissement de Paris au printemps-été 2023. Le site d’information et d’inscription à l’expérience est www.demepeco.com

Le corpus d’articles de recherche que nous avons constitué va dans le sens, toutefois, non pas d’une quelconque modification du dispositif existant, mais déjà de son application ! Il faut, à mon sens, aller vers une véritable « culture de l’accompagnement » des patients et des proches pour favoriser l’exercice de ce droit des patients et son respect par les soignants.

Il s’agit de renforcer l’accompagnement psychologique tant au moment de la désignation de la personne de confiance, que de la décision médicale. Compte tenu de l’anxiété et de la détresse que génèrent ces deux moments clés, un exercice plein et entier du dispositif ne pourra être constaté que si des professionnels formés à la gestion de la souffrance psychique, tels que les psychologues, sont réellement mis à disposition des patients fragiles.

La culture de l’accompagnement ne peut émerger que par une plus large formation des soignants aux problématiques liées aux droits des patients et à la fin de vie. Un article du Monde.fr daté de mars 2023, indique par exemple qu’ en formation initiale, les questions relatives à la fin de vie occupent entre six et dix heures dans le deuxième cycle des études médicales, selon les facultés. Un vrai virage doit être opéré dans la dissémination de l’information sur les droits auprès de tous les acteurs et dans une redéfinition de l’acte de soin, non pas comme un travail sur le corps, mais comme un accompagnement global du patient, tant psychologique que physique.

Propos recueillis par Ariane Lacaze.