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09.06.2022

La « Santé dans toutes les politiques », une démarche encore trop rare en France

Lauréate 2021-2022 du programme de soutien à la jeune recherche en évaluation des politiques publiques du LIEPP, Laurence Warin est docteure en droit d'Université Paris Cité (Institut Droit et Santé), où elle a soutenu le 30 mars 2022 une thèse sur l'approche « Santé dans toutes les politiques ».

En quoi consiste l'approche « santé dans toutes les politiques » ?

La « santé dans toutes les politiques » est une approche transversale des politiques publiques qui promeut la prise en compte des enjeux sanitaires dans la prise de décision publique de l’ensemble des secteurs. Selon François Bourdillon, ancien directeur de Santé publique France, le Nutriscore est l’un des meilleurs exemples de l’intégration de la santé dans une autre politique en France. En effet, en accord avec la réglementation européenne, et suite à l'adoption de la loi de modernisation de notre système de santé en 2016, le législateur français a mis en œuvre un dispositif complémentaire d’information nutritionnelle facultatif mais dont la forme est unifiée par la loi. Il s’agit du Nutriscore, une pastille composée d’une lettre et d’une couleur, qui informe les consommateurs sur la qualité nutritionnelle d’un produit. Le produit est ainsi classé sur une échelle à cinq niveaux allant du plus favorable (A) au moins favorable (E) sur le plan nutritionnel. Ce logo a été conçu par l’agence Santé publique France, qui en protège la marque au niveau français et européen et en a établi ses règles d’utilisation. L’objectif est d’améliorer l’information nutritionnelle placée sur les produits pour aider les consommateurs à acheter des aliments de meilleure qualité nutritionnelle, mais on peut aussi s’attendre à ce que ce dispositif incite les industriels à revoir la composition de leurs produits afin de pouvoir apposer un meilleur score sur leur emballage et ainsi attirer les clients. Nous avons là un exemple où deux secteurs sont mobilisés : celui de la santé et celui de la consommation, en vue d’atteindre un objectif commun, l’amélioration de la santé des consommateurs.

  • D'où vient cette démarche ?

L’approche « santé dans toutes les politiques » est le fruit d’une longue réflexion menée au niveau mondial par l’OMS et la plupart des États. Depuis les années 1970, la santé est progressivement appréhendée de façon globale, en lien avec les facteurs qui l’influencent : l’environnement dans lequel on vit, l’emploi que l’on occupe, le réseau social, le logement, mais aussi les comportements que chacun adopte (alimentation, tabagisme, sédentarité, etc.). Avec le développement de diverses notions telles que celle d’environnement favorable à la santé, et celle de promotion de la santé, émerge aussi l’idée selon laquelle on ne peut atteindre un bon niveau de santé de la population uniquement grâce aux soins médicaux ; il apparaît nécessaire d’intégrer les questions de santé dans la conception et l’élaboration des politiques des autres secteurs : éducation, alimentation, transports, etc. C’est en 2006, lors de la Présidence finlandaise de l’Union européenne, que le terme de « santé dans toutes les politiques » est avancé. Puis, plusieurs conférences mondiales chapeautées par l’OMS précisent cette approche, en particulier la Déclaration d’Helsinki sur la « santé dans toutes les politiques », adoptée en 2013. Certains États ont adopté cette approche dans leur législation nationale ou au niveau infranational, par exemple la Californie, l’Australie-Méridionale, le Québec.

  • Quelles sont les limites à sa mise en œuvre en France ?

En France, il n’y a pas de cadre juridique mis en place pour intégrer la santé dans les autres politiques publiques. En effet, aucune règle de droit ne prévoit de prendre en compte, de façon obligatoire ou non, cette question lors de la mise en place des politiques publiques d’autres secteurs. Certes, un principe transversal d’intégration de la santé est inscrit en droit de l’Union européenne, dans le Traité pour le fonctionnement de l’Union européenne, et fait, à ce titre, partie du système juridique français, mais le manque de précision de cette disposition donne peu de résultats concrets au niveau européen, et a fortiori en France.

D’autre part, la France manque de moyens financiers et opérationnels pour mettre en œuvre la « santé dans toutes les politiques ». Par exemple, le Comité interministériel pour la santé, qui existe depuis 2014, présente un potentiel intéressant pour affirmer la place des questions de santé dans d’autres politiques, mais il reste encore très effacé et peu productif.

  • Quel bilan dressez-vous de votre participation au programme jeune recherche du LIEPP ?

Le programme jeune recherche du LIEPP présente de nombreux avantages : faire découvrir les sujets de recherche d’autres jeunes chercheurs, ouvrir à d’autres méthodes de recherche et d’autres disciplines, et parfois échanger sur les éventuelles difficultés que l’on peut rencontrer pendant la thèse. Par exemple, j’ai trouvé très intéressante la démarche qui consiste à ce que chacun donne son avis et ses conseils sur un projet de publication que l’un de nous a choisi de présenter aux autres.

  • Dans les démarches universitaires en évaluation des politiques publiques, la voix des juristes n'est pas forcément très présente. Quelle peut être selon vous leur apport à la démarche d'évaluation ?

Que ce soit au cours d’une évaluation a priori, in itinere ou a posteriori, des questions portant sur la ou les normes impliquées peuvent se poser. Il peut donc être intéressant d’avoir le regard du droit sur les enjeux juridiques qui jalonnent les différentes étapes d’évaluation.