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06.03.2025
Parcours pédagogique arts et philosophie : comment faire monde commun ?
Comment faire monde commun ? Telle était la question posée aux élèves du lycée Jacques Brel de La Courneuve, dans le cadre d’un parcours philosophique et pédagogique élaboré par Esther Rogan, responsable académique de la MAC et enseignante en philosophie. Ce projet réunissait une vingtaine d'élèves de Terminale, accompagnés par leur enseignant d’histoire, Steven Lemoine. Il était organisé avec le Pôle Égalité des chances de Sciences Po, dans le cadre des Conventions Éducation Prioritaire, un programme d’ouverture sociale à destination des élèves issus de milieux modestes et de territoires éloignés de l’enseignement supérieur. Ce parcours a également permis à la MAC de diffuser, hors les murs de Sciences Po, son modèle de réflexion sur les enjeux des sciences humaines et sociales à travers les arts, en s’associant à la Maison de la Philo de Romainville, véritable laboratoire philosophique ouvert à tous, et au Pavillon, théâtre local.
Ce parcours philosophique et pédagogique s’est structuré autour de trois temps forts :
- Une conférence philosophique : Le 11 janvier 2025, les lycéens ont assisté à une conférence d'Esther Rogan intitulée “Résonner avec le monde : exploration conceptuelle et philosophique, à la Maison de la Philo de Romainville.
- Une pièce de théâtre : Cette conférence était conçue comme un prélude à la pièce musicale Orpheus Groove d’Annalisa D’Amato au théâtre Le Pavillon (Romainville), qui explore la perte de sens et d’harmonie.
- Un atelier pédagogique : Le 21 janvier 2025, le groupe d’élèves s’est réuni à Sciences Po pour une séance de restitution et d’échange animée par Esther Rogan. Cet atelier a permis de revenir sur les thèmes abordés lors de la conférence et de la pièce, mais aussi de se questionner sur les liens entre les arts et l’intelligence artificielle, et ce que l’I.A fait aux arts.
Résonner avec le monde : une exploration de la pensée de Hartmut Rosa
Pour débuter ce parcours pédagogique, Esther Rogan a donné une conférence sur les concepts d’accélération et de résonance, développés par le philosophe et sociologue Hartmut Rosa. Le point de départ de cette exploration était l'idée que notre époque moderne, marquée par l'accélération, engendre souvent solitude et atomisation, notamment car les écrans et autres obstacles entravent une relation authentique et incarnée. Les lycéens ont ainsi été invités à interroger leur rapport au temps, à la relativité de ce dernier et à l’accélération qui caractérise nos vies contemporaines, jusqu’au risque d’aliénation. Comment alors prendre le temps de penser et de cultiver une relation vivante avec le monde qui nous entoure ? Cette question a conduit les élèves à explorer la « résonance », un concept central chez Hartmut Rosa, qui propose une manière de s’engager avec le monde permettant une véritable connexion entre les individus et, ainsi, la possibilité de construire un monde commun. Selon Rosa, « ce n’est pas le fait de disposer des choses, mais l’entrée en résonance avec elles, le fait d’être en mesure de susciter leur réponse [...] et de s’engager ensuite dans cette réponse qui constitue le mode fondamental pour l’humain de l’être-au-monde dans sa forme vivante ». Cette conférence a constitué un prélude à la représentation théâtrale qui a suivi.
Une pièce de théâtre pour penser l'harmonie en musique
Les lycéens ont ensuite assisté à la représentation d'Orpheus Groove, une pièce de théâtre musicale d'Annalisa D’Amato, interprétée par la compagnie D'Amato Stahly. À travers cette œuvre, la metteuse en scène propose une expérience : retrouver l’harmonie du monde grâce à la musique, une idée qui fait écho au concept de résonance théorisé par Hartmut Rosa. Elle imagine alors le personnage d’Orfeo Shivandrim, un scientifique et physicien du son, qui lance un projet ambitieux de ré-harmonisation de la Terre, dont l'énergie vitale se dissipe de façon inquiétante. Son hypothèse est que chaque chose possède sa propre fréquence et il ambitionne de raviver, par la musique, la vibration de la planète et de ses habitants. Dans cette pièce, Annalisa D’Amato transforme le son en remède aux souffrances du monde, créant un spectacle captivant, aux frontières de la science-fiction.
Un atelier pour partager ses réflexions et ouvrir de nouvelles perspectives
Quelques jours plus tard, les lycéens se sont réunis à Sciences Po pour un atelier de restitution et d’échanges animé par Esther Rogan. L’objectif était de revenir sur les concepts explorés lors de la conférence et sur les impressions ressenties pendant la représentation. Les élèves ont ainsi pu structurer leur pensée et organiser leur discours en proposant chacun une réponse personnelle à différentes questions qui leur avaient été posées à Romainville : que retenez-vous de la conférence et de la pièce de théâtre ? Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué et pourquoi ? Ou bien encore quelles émotions et sensations avez-vous ressenti ? En plaçant les lycéens au cœur du dispositif de transmission, il s’agissait ainsi de revenir sur les émotions suscitées par la représentation, telles que la perplexité et l’inquiétude, mais aussi de réfléchir aux perspectives ouvertes par l’expérience : la possibilité d’une reconnexion à soi et aux autres, notamment à travers le concept de résonance. Cet atelier, fondé sur une pédagogie active, a ainsi encouragé les lycéennes et lycéens à exprimer leurs impressions et à débattre des questions soulevées. Parmi celles-ci : qu’est-ce que la vie bonne ? Comment le bonheur, souvent perçu comme un phénomène individuel, pourrait-il être aussi une question collective, voire politique ? L’enjeu était également de réfléchir aux conditions nécessaires à la création d’un monde commun, en abordant ces thèmes par le prisme des arts et de la philosophie. Dans un second temps, les lycéens ont exploré un sujet d’actualité : la relation entre les arts et les technologies, en particulier l’intelligence artificielle. La discussion a porté sur plusieurs interrogations : en quoi l’IA modifie-t-elle les pratiques artistiques et redéfinit-elle les critères de l’art ? Si ces technologies transforment la pratique artistique, impactent-elles aussi la définition même de l’art et ses frontières ? Finalement, qu’est-ce que l’art aujourd’hui ?