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02.01.2025

Trois rencontres artistiques avec Natalie Dessay de la Chaire Arts du vivant

Natalie Dessay et Yvan Cassar, 21 novembre 2024. (crédits : Soline Sénépart / Maison des Arts et de la Création)

Titulaire de la Chaire Arts du vivant pour l’année 2024, Natalie Dessay est une artiste-interprète aux multiples facettes : opéra, théâtre, comédie musicale, chanson française… Sa voix sillonne, traverse et rassemble des répertoires a priori hétérogènes, qu’elle parvient à faire siens en les incarnant de façon à la fois singulière et engagée. Comment ? À force de travail, de labeur et de persévérance - au point d’en oublier parfois son propre plaisir, quand le trac la submerge. Mais également par la force du collectif et des collaborations artistiques et amicales - l’un n’allant peut-être pas sans l’autre - que l’artiste-interprète a tissées tout au long de sa vie.

Après une rencontre inaugurale, seule en scène, Natalie Dessay a ainsi choisi d’inviter trois artistes de renom pour ces rencontres d’automne : le pianiste Philippe Cassard, la metteuse en scène Blandine Savetier et, enfin, le musicien, réalisateur et directeur musical Yvan Cassar

Violette Bouteloup, Elisa Carnevali, Agathe Giraud, Jeanne Perrin, Mérédith Piot, et Léonie Valois, étudiantes à l’École d’affaires publiques, à l’École des affaires internationales, à l’École urbaine ou à l'École de la recherche, et ambassadrices de la Maison des Arts et de la Création, ont participé à ces échanges. Elles reviennent ici sur leur expérience, partageant leurs observations, leurs réflexions, les idées et enjeux qu’ils ont soulevés ensemble.

24 octobre 2024 : échange de Natalie Dessay avec Philippe Cassard

Ce n’est pas à une masterclass ou à une conférence que nous avons assisté ce 24 octobre mais bien à un dialogue, une discussion entre deux artistes et, au-delà de cela, entre deux amis. Pour cette deuxième rencontre animée par Natacha Valla, doyenne de l’École du management et de l’impact, Natalie Dessay avait choisi de convier le pianiste de renom Philippe Cassard. Deux interprètes aux parcours bien différents, mais liés par des années de travail en duo, dont résulte une complicité artistique palpable.

Lorsqu’on interroge Natalie Dessay sur l’avenir du classique, elle avoue s’inquiéter pour les jeunes chanteurs qui lui disent vouloir suivre son exemple. L’éducation et la formation artistique ont été développées avec succès ces dernières décennies - on pense ici, par exemple, aux classes CHAM lancées en 1960 par lesquelles est passé Philippe Cassard. En revanche, le manque d’opportunité de travail pour les artistes classiques se fait de plus en plus ressentir, explique la soprano.

Philippe Cassard, au contraire, se décrit volontiers comme un optimiste. Il a confiance dans le renouvellement du public et dans la persistance d’un « noyau mélomane ». De nombreux pianistes professionnels vivent encore de leur art, nous rassure-t-il. Mais cela n’empêche pas la nécessité d’un élan porté par les politiques publiques. Car la difficulté de l’opéra et de la musique classique réside dans son exposition, bien moins évidente que pour le patrimoine tangible. « Plus facile de trouver des fonds pour Notre-Dame ! » lance ainsi le pianiste. Pour soutenir le classique, Philippe Cassard mentionne la piste du mécénat privé, que Jean-Pierre Raffarin tenta de développer par une loi d’encouragement et de simplification fiscale en 2003, sans pour autant que l’impulsion prenne véritablement.

Cette incertitude est liée à un renouvellement du genre d’autant plus complexe que sa pratique est un art d’une exigence rare. Proposer de nouvelles formes pour démocratiser l’opéra devient alors un exercice vertigineux. L’acoustique et l’émotion que celle-ci procure distingue la musique classique d'autres formes d’art, exception faite du théâtre dans lequel s’épanouit aussi Natalie Dessay.

Déplacer l’opéra hors de sa maison pour aller à la rencontre de nouveaux publics, c’est prendre le risque de perdre son essence, le son. Quant aux propositions, comme celle de la mairie de Bordeaux, de créer des orchestres mixtes entre amateurs et professionnels, les deux solistes se positionnent résolument contre. La pratique amatrice est évidemment à encourager, mais ce métier qu’ils décrivent comme un « sacerdoce » demande une rigueur qui ne peut être sacrifiée.

Tout en préservant cette rigueur indispensable dans la forme, le classique pourrait cependant connaître un renouveau grâce à la création contemporaine, bien que cela implique sans doute également une évolution du répertoire lui-même, encore largement tourné vers le passé - constate Natalie Dessay.

12 novembre 2024 : échange de Natalie Dessay et de Blandine Savetier

Pour cette troisième intervention, Natalie Dessay avait invité Blandine Savetier, metteuse en scène de la pièce Un pas de chat sauvage (2023) adaptée du récit de Marie NDiaye paru aux éditions Flammarion en 2019, pièce dans laquelle Natalie Dessay joue le rôle central. Animée par Frédéric Ramel, professeur de science politique à Sciences Po et chercheur au Centre de recherches internationales (CERI), cet échange a permis de plonger dans les enjeux de l’adaptation théâtrale d’un texte littéraire, d’évoquer l'interprétation et le jeu comme travail d’appropriation sensible du texte pour les acteurs. Cet échange a enfin permis de discuter du rôle éminemment politique du théâtre dans la société.

Interrogée sur le choix de Natalie Dessay pour interpréter le texte de Marie NDiaye, Blandine Savetier explique que ce choix s'est imposé de lui-même. Le parcours de Natalie Dessay, qui s’est reconvertie du chant vers le théâtre, résonne profondément avec l’histoire de la pièce et le personnage qu’elle interprète, une universitaire cherchant écrire son premier roman sur Maria Martinez (une cantatrice cubaine du XIXe siècle surnommée la « Malibran noire »), qui traverse de nombreux questionnements sur sa légitimité à écrire, s’interrogeant ainsi sur sa place. Pour Blandine Savetier, Natalie Dessay, avec son passé lyrique et son évolution vers le jeu théâtral, possède une compréhension intime des thèmes de la pièce, ce qui rend son interprétation d'autant plus juste.

Un point central de la discussion a porté justement sur la justesse des mots. Pour la metteuse en scène, il s'agit d’un défi d’adapter un texte littéraire pour la scène. Blandine Savetier souligne la complexité du texte de Marie NDiaye, une langue travaillée et subtile, qu’il fallait transcrire en une parole théâtrale capable d'être incarnée et transmise au public. Pour Natalie Dessay, cet exercice exige un travail particulier sur la matérialité des mots, l'acte de « dire » devant « faire voir » le mot. L’actrice insiste sur la différence fondamentale entre le chant et le théâtre : « Quand on chante, c’est la musique qui fait le travail », alors qu’au théâtre, c'est le texte seul qui soutient le jeu, créant ainsi une forme de solitude avec les mots que l’acteur doit rendre vivante.

Selon Natalie Dessay, dans Un pas de chat sauvage, le défi est double : il s’agit d’entrer à la fois dans l’univers de l’autrice Marie NDiaye, mais aussi dans celui de la metteuse en scène Blandine Savetier. Pour l’actrice, l'art de jouer repose ainsi sur la confiance en sa metteuse en scène et en son texte qu'il faut embrasser « avec enthousiasme et aveuglément, comme un mariage ».

La discussion s’est ensuite orientée vers une réflexion plus large sur le rôle du théâtre dans la société. Blandine Savetier a déploré l’uniformisation des programmations théâtrales actuelles, où le théâtre tend parfois à devenir un simple divertissement. Pour elle, l’importance du théâtre réside dans sa capacité à faire réfléchir, sans pour autant imposer des réponses ou se poser en donneur de leçons.

Le théâtre doit interroger subtilement et permettre de bousculer le spectateur, sans pour autant recourir à la provocation facile ou au vulgaire. Natalie Dessay et Blandine Savetier insistent également sur l’importance de voir des spectacles qu’on n’aime pas ou qu’on pense ne pas pouvoir aimer. Selon elles, ce sont souvent ceux qui nous déplaisent au premier abord qui laissent la plus grande trace, parce qu’ils nous obligent à sortir de nos habitudes, à être confrontés à des idées ou des esthétiques qui nous déstabilisent. 

Ainsi, à travers la transmission d’un texte complexe et subtil, et la réflexion politique inhérente à l’acte théâtral, Natalie Dessay et Blandine Savetier ont su rappeler que le théâtre reste un lieu essentiel de subversion, de questionnement, et de partage avec le public.

21 novembre 2024 : échange entre Natalie Dessay et Yvan Cassar

Pour clore son cycle de conférences à la Maison des Arts & de la Création de Sciences Po, Natalie Dessay, figure incontournable de l’opéra français, a convié son ami et collaborateur Yvan Cassar, compositeur et arrangeur de renom. Modérée par Marie Mawad, doyenne de l’École de journalisme, cette rencontre a exploré les notions d’éphémère et de persistant dans la musique et la scène, avec une question centrale : que reste-t-il de nos chansons ?

Dans l’amphithéâtre Simone Veil, l’échange, teinté à la fois de rires et de réflexions profondes, a révélé une complicité évidente entre deux artistes aux parcours apparemment opposés. Alors que Natalie Dessay a marqué l’histoire de l’opéra français, Yvan Cassar a accompagné des légendes comme Johnny Hallyday et Claude Nougaro jusqu’au Stade de France. Mais, au-delà de leurs différences, leur passion commune pour la musique et leur quête incessante de connexion avec le public sont apparues comme un fil conducteur à travers la discussion.  

Natalie Dessay confie, un sourire malicieux, préférer les dernières aux premières représentations, nous la croyons bien volontiers. Débarrassée de l’angoisse des débuts, elle est soulagée, détendue et peut savourer pleinement cet ultime moment de partage. Paradoxalement, et pour le moins surprenant pour une cantatrice qui a foulé les planches un nombre incalculable de fois, elle avoue être régulièrement traversée par une certaine anxiété. Pourtant, c’est précisément cette tension, mêlée à sa soif d’interaction avec le public, qui nourrit sa créativité.

À l’opéra, ce qu’elle perçoit dans le « grand écran noir » que forme le public lui permet de transfigurer sa performance, d’incarner ses rôles avec une vérité nouvelle à chaque représentation. Yvan Cassar a, lui aussi, partagé son expérience face au public. Curieusement, il avoue être plus détendu devant des milliers de spectateurs que lors de concerts intimistes. Pour lui, l’essence d’une performance réside dans la création d’un « moment suspendu », une communion fugace mais puissante entre l’artiste et le public.

Au cours de cette discussion, un thème récurrent a émergé : l’exigence quasi inhumaine, parfois écrasante, du public envers les chanteurs lyriques. Yvan Cassar y voit une forme d'approche très critique des chanteurs lyriques, alors même que la voix est un instrument profondément vivant et fragile. Natalie Dessay, pour sa part, choisit de s’affranchir de cette pression projetée par le public pour se concentrer sur la musique et sa capacité à unir les foules. Comme au théâtre, dit-elle, ce sont les moments vrais et puissants qui marquent, bien que plus que la quête de l’impeccable. 

Au-delà de leur expérience personnelle, les deux artistes ont abordé leur rôle dans la transmission de la beauté et de l’émotion. Natalie Dessay insiste sur l’importance de partager au public l'amour qu'elle a pour la musique, et de lui faire connaître des auteurs, des compositeurs ou des genres délaissés ou méconnus, comme certaines œuvres de Claude Nougaro. Yvan Cassar, quant à lui, appelle à susciter la passion chez les jeunes artistes, en leur offrant des opportunités et en leur inculquant le courage de persévérer, une sorte de pied de nez à ses professeurs de conservatoire classique. 

Alors « Que reste-il de nos chansons? ». C’est peut-être, au fond, la mémoire d’instants suspendus : ces performances qui résonnent longtemps après qu’elles se sont tues. Pour Natalie Dessay, ce sont avant tout des souvenirs, qu’ils soient doux, bouleversants ou éclatants. Ces instants suspendus, ces résonances persistantes constituent l’héritage immatériel mais durable que les artistes laissent dans le cœur du public. 

En somme, cette dernière intervention à Sciences Po a été un vibrant plaidoyer pour la musique comme vecteur d’émotions, de souvenirs secrets et de liens humains. À travers leurs mots, Natalie Dessay et Yvan Cassar ont su rappeler que l’art, dans son essence, est une conversation entre l’éphémère et le durable - un dialogue qui ne s’éteint jamais vraiment.

 

Natalie Dessay et Blandine Savetier, 12 novembre 2024. (crédits : Soline Sénépart / Maison des Arts et de la Création)

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