Bagosora, Théoneste

Date: 
8 Mars, 2010
Auteur: 
Viret Emmanuel

Théoneste Bagosora est considéré comme le concepteur et le principal organisateur des massacres de 1994. Né en le 16 août 1941 à Giciye, dans le Bushiru dont Juvénal Habyarimana était également originaire, fils d’un enseignant, Théoneste Bagosora a fait toute sa carrière dans l’armée. Diplômé en 1964 de l’Ecole des Officiers de Kigali avec le grade sous-lieutenant, titulaire du brevet d’études militaires supérieures de l’Ecole de guerre en France (+TPIR, ICTR-96-7-I, 1999, 16), il est d’abord nommé commandant en second de l’Ecole Supérieure Militaire de Kigali, puis dirige jusqu’en 1992 l’importante base militaire de Kanombe (+TPIR, ICTR-96-7-I, 1999, 16). Mais la mise en place du multipartisme est un frein à sa carrière : l’entrée en fonction du gouvernement de coalition entraîne en 1992 la modification de l’organisation de l’armée. Les colonels Laurent Serubuga et Pierre-Célestin Rwagafilita, proches de l’Akazu, sont poussés vers la retraite et Juvénal Habyarimana ne parvient pas à imposer Théoneste Bagosora, qui a grade de colonel, comme Chef d’Etat Major des FAR.

Il dirige à partir du 4 décembre 1991 une commission militaire mise en place par Juvénal Habyarimana, chargée de répondre à la question suivante : « Que faut-il faire pour vaincre l’ennemi sur le plan militaire, médiatique et politique ? » (+TPIR, ICTR- 96- 7- I, 1999, 19), et demande en 1992 la préparation de listes de noms identifiés comme représentant « l’ennemi et ses complices » (+TPIR, ICTR- 96- 7- I, 1999, 27) Malgré sa mise à la retraite de l’armée le 23 septembre 1993, Bagosora devient finalement directeur de cabinet au ministère de la défense poste dont le caractère anodin n’est qu’apparent, puisqu’il sert à la surveillance du ministre James Gasana, opposé à l’Akazu, dont Bagosora est l’un des plus importants relais dans l’armée (+Reyntjens, 1995, 52).

Il occupe cette même fonction jusqu’à son départ du Rwanda en juillet 1994. Opposant aux accords d’Arusha, le colonel en quitte la table de négociation et déclare qu’il rentre au Rwanda pour « préparer l’apocalypse ». Au cours des mois suivants, il déclare publiquement à plusieurs reprises, notamment le 4 avril 1994, qu’une solution à la guerre consisterait en l’extermination des tutsis rwandais (+TPIR, ICTR-96-7-I, 1999, 20- 22), et organise à plusieurs reprises des distributions d’armes, notamment aux bourgmestres de la préfecture de Gisenyi, en février 1993 (+TPIR, ICTR-96-7-I, 1999, 25).

Toutefois, Théoneste Bagosora n’est pas seulement l’homme de Juvénal Habyarimana. Ce dernier se méfie de lui, qui s’estime capable de diriger seul le Rwanda et peut à cette fin compter notamment sur le soutien de son petit frère Pasteur Musabe, directeur de la Banque Continentale Africaine. La nuit du 6 avril 1994, Bagosora dirige la réunion du « comité de crise » organisée à l’Etat- Major. S’il parvient à éliminer politiquement le premier Ministre Agathe Uwilingiyimana en refusant fermement tout contact avec elle, quelques heures avant son assassinat, Bagosora ne parvient pas à imposer ses proches membres de l’Akazu (Laurent Serubuga et Pierre- Célestin Rwagafilita) à la tête de l’Etat Major, du fait de l’opposition de Léonidas Rusatira, et propose finalement la nomination de Marcel Gatsinzi (++TPIR, ICTR-96-7-I, 1999, 32 ; Reyntjens, 1995, 52-53).

Il aurait, au cours de cette même réunion donné les premières directives par téléphone concernant les massacres des tutsis de Gisenyi, ainsi qu’au groupe Interahamwe INYANGE à Remera (++TPIR, ICTR-96-7-I, 1999, 41 ; Reyntjens, 1995, 57- 58) Les jours suivants, il participe la désignation du nouveau président de la république, théodore Sindikubwabo, et à la mise en place du gouvernement intérimaire (+TPIR, ICTR-96-7-I, 1999, 35). Disposant d’un réseau radio parallèle en liaison directe avec les membres de l’Etat Major et de nombreuses personnalités dont Tharcisse Renzaho, préfet de Kigali, Théoneste Bagosora semble avoir assumé l’effectivité du pouvoir (il décide ainsi du transfert des fonds de la Banque Nationale de Kigali à Gitarama, ainsi que des achats d’armes au cours du mois d’avril) au Rwanda entre avril et juillet 1994 ainsi que la conduite des massacres à la même période (+TPIR, ICTR-96-7-I, 1999, 50-52)

Arrêté le 9 mars 1996 à Yaoundé (Cameroun), transféré devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda à Arusha le 23 janvier 1997, son procès pour génocide, complicité, incitation et entente en vue de commettre un génocide, a commencé le 2 avril 2002. Théoneste Bagosora y a plaidé non coupable.

Citer cet article

Viret Emmanuel, Bagosora, Théoneste, Mass Violence & Résistance, [en ligne], publié le : 8 Mars, 2010, accéder le 17/05/2021, http://bo-k2s.sciences-po.fr/mass-violence-war-massacre-resistance/fr/document/bagosora-tha-oneste-0, ISSN 1961-9898
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