Défendre les civils contre les bombardements aériens : histoire comparative et transnationale des fronts intérieurs au Japon, en Allemagne et en Grande-Bretagne, 1918-1945
RÉSUMÉ
Cet article montre le rôle capital des enseignements transnationaux dans l’organisation de la défense antiaérienne au Japon, en Allemagne et en Grande-Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale et compare la manière dont chaque régime a défini les grandes lignes de la mobilisation de son front intérieur. Dans l’entre-deux-guerres, les États ont pris une conscience accrue de la nouvelle menace des bombardements aériens contre les villes et ont étudié de près les mesures de « défense civile » et de « guerre totale » prises par les autres pays. Cette observation s’est poursuivie pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans les pays qui ont subi des bombardements, les programmes de défense civile ont pesé sur la vie quotidienne et ont mobilisé la population plus fortement que tout autre impératif de guerre. Chose remarquable, les mesures de défense civile du Japon impérial, de l’Allemagne nazie et de la Grande-Bretagne démocratique ont été très semblables – recrutement ou conscription de millions d’hommes, de femmes et de jeunes comme chefs d’îlots, « guetteurs d’incendies », secouristes et membres des associations de défense civile à l’échelle des quartiers. En même temps, les différences de régimes politiques et de circonstances affectèrent le degré de contrainte appliqué dans ces trois pays.
MOTS-CLÉS
Enseignements transnationaux, fronts intérieurs, bombes incendiaires, défense civile, associations de quartiers, évacuations, mobilisation des femmes et des jeunes en temps de guerre, travail forcé.
Dans les dernières années de la Seconde Guerre mondiale, la destruction de villes entières était devenue « normale ». Cette situation s’inscrit dans une histoire transnationale, impliquant la circulation mondiale des idées de « bombardement stratégique ». 1Ce caractère transnational se retrouve dans le processus qui conduisit de nombreux pays à reconnaître la nécessité de protéger les villes, les usines et les habitations des bombardements aériens. La « défense civile » s’imposa comme un élément vital du concept évolutif de « front intérieur ». Cherchant à tirer les leçons de la Première Guerre mondiale, des stratèges du monde entier affirmèrent que la guerre à venir ne se gagnerait ni ne se perdrait exclusivement sur le champ de bataille, mais également à l’intérieur des pays. Les civils devaient continuer à produire ; il fallait les nourrir malgré les blocus ; ils devaient payer leurs impôts et épargner pour l’effort de guerre ; et il fallait que leur moral résiste. En 1942, on aurait pu voyager de front intérieur en front intérieur – de l’Allemagne nazie et du Japon autoritaire et bureaucratique à la Russie soviétique et à la Grande-Bretagne libérale – et relever un certain nombre de similitudes de la vie en temps de guerre : on retrouvait partout les mêmes chefs d’îlots, les même blackout, les évacuations, les tickets de rationnement, les succédanés alimentaires peu appétissants. Malgré des structures politiques extrêmement différentes, la vie quotidienne dans le monde en guerre se caractérisa partout par une discipline inconnue jusqu’alors. Ces points communs n’ont, selon moi, rien d’une coïncidence. Les planificateurs de toutes les nations belligérantes avaient étudié de très près leurs politiques respectives de mobilisation du front intérieur à l’approche de la Seconde Guerre mondiale, et continuèrent à le faire pendant la guerre elle-même.
Une grande partie de l’historiographie comparative sur les États en guerre met l’accent sur le phénomène du « fascisme » – plus particulièrement en Italie, en Allemagne et au Japon. 2 Il est peut-être plus productif pourtant de se pencher sur la Seconde Guerre mondiale du point de vue historique transnational de la « guerre totale ». Cet impératif n’a pas seulement transformé les relations entre l’État et la société dans les pays de l’Axe mais dans tous les États belligérants. De fait, le développement de la défense civile a été en grande partie une histoire connectée et globale. En même temps, il faut se garder de « niveler » les différences entre les cas nationaux. Cet article révélera le rôle capital des enseignements transnationaux dans la structuration de la défense civile au Japon, en Allemagne et en Grande-Bretagne, tout en comparant la manière dont chaque régime politique a défini le profil de sa défense civile et de la mobilisation de son front intérieur. On peut considérer ces trois cas comme des fronts intérieurs en situation de stress, les bombardiers ennemis transportant le front militaire jusqu’au front intérieur. Le contraste était vif avec le front intérieur américain, qui n’a subi aucun bombardement aérien après l’agression initiale contre Pearl Harbor.
La mondialisation de la « défense civile »
L’histoire commence dans les dernières années de la Première Guerre mondiale et dans l’entre-deux-guerres. De l’Europe au Japon, les autorités civiles et militaires s’accordèrent à reconnaître que le « moral » civil avait joué un rôle capital pour soutenir ou briser la capacité d’une nation à mener l’interminable guerre de 1914-1918. Selon les conclusions de la plupart des experts, l’Allemagne impériale avait perdu celle-ci quand les pénuries alimentaires – exacerbées par le blocus allié – avaient affaibli et démoralisé la population. Des mères, des travailleurs, des marins et des soldats organisèrent des manifestations réclamant la fin de la guerre. 3 Le développement spectaculaire de la puissance aérienne pendant la Première Guerre mondiale offrait un moyen encore plus puissant de porter un coup au moral sur le front intérieur. L’aéroplane permettait de survoler les tranchées et de bombarder les villes à l’intérieur du pays ennemi. En 1917 et 1918, des bombardiers allemands visèrent délibérément à démoraliser les civils britanniques en lançant des raids contre Londres et d’autres villes. La nouvelle RAF donna elle aussi instruction aux équipages britanniques de bombarder des « centres industriels densément peuplés » d’Allemagne afin de « détruire le moral des ouvriers. » La puissance aérienne ne fut cependant pas déterminante pendant la Première Guerre mondiale. Après celle-ci, cependant, dans le monde entier, des stratèges visionnaires formulèrent bientôt des doctrines de bombardements stratégiques de plus grande ampleur, convaincus que la puissance aérienne pourrait à elle seule gagner des guerres futures en attaquant les villes et les usines de l’ennemi. Le défenseur le plus influent de cette thèse, l’officier italien Giulio Douhet, proposa en 1921 de bombarder impitoyablement les villes, et surtout les quartiers ouvriers, afin d’inciter les travailleurs terrifiés à quitter leurs usines et à obliger leurs dirigeants à réclamer la paix. Songeant à Londres et à Paris, Douhet prophétisa qu’avec « un nombre proportionné de bombes explosives, incendiaires et à gaz toxique, il serait possible de détruire intégralement de grands centres de population. » 4
Pendant les années 1920 et 1930, alors que la perspective de bombarder des villes fascinait les stratèges aériens, elle incita en même temps les États à mettre au point de nouvelles méthodes de défense. Le gouvernement britannique prit la tête de ce mouvement, et son influent Sub-Committe on Air Raid Precautions [Sous-comité chargé des mesures de précaution contre les raids aériens] commença à se réunir en secret en 1924. Les autorités étaient plutôt pessimistes quant à la capacité des civils à se protéger des attaques aériennes. Elles étaient particulièrement soucieuses d’éviter la « panique », le « chaos » et l’« effondrement moral », notamment au sein de la population ouvrière. Le Home Office rappela la « démoralisation » des civils londoniens lorsque les Allemands avaient bombardé la capitale pendant la Première Guerre mondiale. Le Sous-comité ne s’intéressa guère à la construction d’abris antiaériens ni au recrutement de volontaires chargés d’assurer la défense civile dans les quartiers. Les débats se concentrèrent bien davantage sur les mesures à prendre pour éviter que des travailleurs indispensables à l’économie ne fuient les villes bombardées et sur l’évacuation préventive de femmes, d’enfants et d’autres « bouches inutiles », dont la présence compromettrait l’approvisionnement alimentaire urbain à la suite des raids. Ce que les autorités redoutaient le plus était un « exode massif et désorganisé vers la campagne », qui risquait d’entraîner la « famine ». 5
C’est pourquoi, dans bien des pays, les planificateurs de l’entre-deux-guerres présentèrent leurs contremesures sous l’appellation de défense antiaérienne « passive », afin de la distinguer de la défense antiaérienne « active » incluant batteries antiaériennes, chasseurs et systèmes d’alerte précoce. La défense antiaérienne passive regroupait les évacuations organisées, l’assistance aux civils pour qu’ils se mettent à l’abri pendant les raids et la fourniture de logements et de nourriture après les attaques aériennes. Cependant, vers le milieu des années 1930, plusieurs États avaient adopté la notion moins passive de « défense civile ». Ils n’envisageaient pas seulement de protéger les civils, mais de les faire participer activement à leur propre défense. Des milliers d’hommes et de femmes ordinaires seraient recrutés à l’échelle des quartiers pour servir de chefs d’îlots, de pompiers auxiliaires, de « guetteurs d’incendie », de secouristes et de membres de groupes de défense civile sur les lieux de travail. Dans les pays qui affrontèrent la menace imminente de bombardements aériens pendant la Seconde Guerre mondiale, les programmes de défense civile pesèrent sur la vie quotidienne davantage que tout autre impératif, distribution alimentaire et campagnes d’épargne comprises.
Cette mobilisation sans précédent des civils était due dans une large mesure aux nouvelles technologies de destruction mises en œuvre dans le monde entier. Le spectre des gaz toxiques incita plusieurs pays européens ainsi que le Japon à former les civils à la décontamination dès le début des années 1930. 6 Lorsque les grandes puissances ratifièrent le protocole de Genève de 1925 interdisant les armes chimiques et biologiques, la menace des bombes au gaz recula. De nouveaux types de bombes incendiaires – à la thermite, au phosphore et au magnésium – étaient plus menaçants. Il était possible de larguer des dizaines de milliers de ces petites bombes en forme de bâtons, qui pesaient entre un et 2,7 kilos. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les bombardiers Superfortress B-29 de l’U.S. Army Air Force pouvaient lâcher chacun 1520 bombes au napalm M-69.
Figure 1. La revue du Reichsluftschutzbund présente des Allemandes qui s’entraînent pendant la guerre à éteindre les petites bombes incendiaires britanniques en les arrosant d’eau ou de sable.
Dès 1932, le ministère de l’Intérieur de l’Allemagne de Weimar reconnut que, dans l’éventualité de raids aériens, les pompiers professionnels ne suffiraient pas à venir à bout des feux déclenchés par les innombrables bombes incendiaires qui traverseraient les toits des immeubles. Aussi les autorités entreprirent-elles de créer des unités d’« auto-protection » (Selbstschutz) à l’échelle des quartiers, chaque rue constituant une Luftschutzgemeinschaft (« communauté de défense aérienne »). Chaque immeuble d’habitation mobiliserait certains ses occupants pour former une « brigade de pompiers » (Hausfeuerwehr) – comprenant certaines « femmes courageuses » – qui serait supervisée par le chef d’îlot. 7 En 1934, des chercheurs de l’armée japonaise conclurent, eux aussi, que la seule méthode efficace pour éviter que les multiples bombes incendiaires ne provoquent un immense incendie consistait à expliquer à chaque foyer comment repérer et éteindre les engins qui risquaient de tomber. Dans le cadre d’entraînements de masse à la lutte contre les raids aériens, les habitants apprirent ainsi qu’ils avaient exactement cinq minutes pour arroser d’eau les matériaux inflammables entourant la bombe avant que les flammes n’engloutissent la maison et le quartier. 8 Dans la Grande-Bretagne en guerre, le gouvernement encouragea également chaque foyer à s’équiper d’un « seau-pompe », un simple seau d’eau muni d’une pompe à main et muni d’un tuyau de 9 mètres, dont le jet était censé accélérer la combustion d’une bombe incendiaire en la faisant passer de dix minutes à une. Comme le déclarait un manuel britannique, « lutter contre les bombes incendiaires – et éviter ainsi les incendies – est essentiellement l’affaire du citoyen ordinaire. » 9
Figure 2. Une brochure japonaise d’avant-guerre sur la « défense antiaérienne domestique » explique elle aussi aux femmes comment éteindre les bombes incendiaires à l’aide d’eau, de sable et de pompes à main.
Source : Kokubō shisō fukyūkai, Katei bōkū, Osaka, Ōsaka kokubō kyōkai, 1937.
Les campagnes de défense civile et d’autoprotection des citoyens reflétaient aussi des évolutions spécifiques à chaque nation. Dans l’Allemagne de Weimar, la politique de défense civile se développa en réaction directe aux injustices présumées du règlement de paix de Versailles. En 1927, des nationalistes conservateurs persuadèrent le ministère de l’Intérieur d’assumer la responsabilité de la « défense antiaérienne passive ». Comme l’expliquèrent au cabinet des fonctionnaires du ministère de la Défense, la France possédait alors plus de 500 bombardiers. À elles seules, deux escadrilles étaient en mesure de larguer sur l’Allemagne plus de bombes que l’intégralité des 800 raids ennemis de la Première Guerre mondiale. Tout en reconnaissant que la meilleure défense serait « active », ils n’ignoraient pas que le traité de Versailles (1919) interdisait à l’Allemagne de s’équiper d’avions de combat et de bombardiers, et ne l’autorisait à posséder que 135 batteries antiaériennes pour défendre ses côtes. Sans « violer les traités internationaux, seules des mesures de défense antiaérienne passives sont possibles. » En 1932, les partisans de la défense civile rappelaient inlassablement à l’opinion publique l’extrême vulnérabilité du Volk allemand, affirmant que les pays voisins possédaient 10 000 avions prêts à décoller pour frapper des villes au cœur de l’Allemagne. 10
Figure 3. Commandées par le Home Office britannique, ces cartes illustrées contenues avant-guerre dans les paquets de cigarettes montrent aux femmes comment neutraliser les bombes incendiaires qui pourraient traverser le toit de leurs maisons. L’utilisation de seaux-pompes et de sable est très proche des techniques allemandes illustrées à la figure 1.
Source: W.D. & H.O. Wills, Air Raid Precautions: An Album to Contain a Series of Cigarette Cards of National Importance [Grande-Bretagne], W.D. & H.O. Wills, 1938, n° 13-15.
L’État japonais fut encore plus prompt à mettre en place un dispositif de défense civile. En juillet 1928, les autorités militaires et civiles organisèrent à Osaka les tout premiers exercices de défense antiaérienne de masse du monde. Deux millions de citoyens – parmi lesquels des membres d’associations de jeunes, de femmes et d’anciens combattants organisées par l’État – participèrent à une simulation d’attaque au gaz et de blackout à l’échelle de la ville. Cet entraînement était le résultat d’informations transnationales et de l’influence d’une récente catastrophe naturelle. Des officiers de l’armée japonaise avaient observé de près les fronts intérieurs européens pendant la Première Guerre mondiale et en étaient revenus avec des embryons d’idées de guerre totale. Le plus grand spécialiste militaire de l’aviation, Kusakari Shirô, avait assisté personnellement à un raid aérien sur Paris en 1916. 11 En 1923, le violent séisme de Kantô détruisit une grande partie de Tokyo et de Yokohama. Une centaine de milliers de personnes trouvèrent la mort dans ce tremblement de terre et dans l’incendie qui suivit. Les autorités militaires et civiles furent consternées par la panique massive que provoqua cette catastrophe. Des groupes d’autodéfense massacrèrent plusieurs milliers de migrants coréens et des centaines de Chinois. Le général Ugaki Kazushige, futur ministre de l’Armée et influent partisan de la théorie de la guerre totale, nota dans son journal : « J’ai froid dans le dos en pensant que la prochaine fois que Tokyo subira un incendie catastrophique et une tragédie de cette ampleur, cela pourrait être à cause d’une attaque aérienne ennemie. » Ce séisme permit à Ugaki et à d’autres responsables de convaincre le gouvernement de préparer les civils à des raids aériens contre les grandes villes japonaises. Les hostilités en Manchourie et en Chine du Nord après 1931, puis la guerre tous azimuts contre la République de Chine en 1937, accélérèrent encore les efforts japonais. À l’occasion du onzième anniversaire du séisme de Kantô, le 1er septembre 1934, les autorités organisèrent des exercices de défense antiaérienne dans les trois villes de Tokyo, Yokohama et Kawasaki, auxquelles participèrent cinq millions d’habitants. 12
Réseaux transnationaux
Les expériences allemandes et japonaises mettent en lumière le rôle majeur des enseignements transnationaux dans la diffusion rapide des idées et des pratiques de défense civile. Dès la fin des années 1920, le gouvernement allemand surveilla de près les dispositifs de défense antiaérienne en Grande-Bretagne, en France, en Italie, en Union soviétique, en Pologne, dans les pays scandinaves, aux États-Unis et jusque dans le lointain Japon. Comme c’est habituellement le cas des recherches transnationales, les partisans allemands de ce type de défense ne s’efforçaient pas seulement de tirer des enseignements de l’expérience d’autrui, mais aussi de convaincre leurs propres décisionnaires politiques que l’Allemagne était à la traîne par rapport à ses ennemis potentiels et ferait bien de combler rapidement son retard. Le ministère allemand des Affaires étrangères servit de relais dans ce processus, en réclamant des rapports à ses ambassades et en s’appuyant en particulier sur ses attachés militaires. La prise de pouvoir par les nazis en 1933 accéléra les efforts de l’Allemagne pour compiler des informations sur les pratiques de défense civile dans le monde entier. Prenant le contrôle de la défense civile, le nouveau ministère de l’Aviation collabora avec celui des Affaires étrangères pour étudier les dernières évolutions dans un certain nombre de pays, parmi lesquels la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, l’Union soviétique, les Pays-Bas, la Belgique, la Tchécoslovaquie, le Danemark, le Japon et la Chine (soumise à de lourdes attaques aériennes de la part du Japon à partir de 1937). Les rapports allemands étaient établis tous les quelques mois. Pendant la deuxième moitié des années 1930, Berlin attira de nombreuses délégations étrangères curieuses de s’informer du système de défense antiaérienne si vanté de l’Allemagne. En règle générale, les délégués visitaient les abris des bâtiments gouvernementaux, une école de défense contre les attaques au gaz et rendaient visite à l’Association de défense antiaérienne du Reich (Reichsluftschutzbund ou RLB) dont les antennes s’étendaient à travers tout le pays. 13
Rien n’illustre mieux la nature circulaire de ces échanges transnationaux que la tournée de haut niveau des installations de défense antiaérienne de l’Allemagne entreprise en janvier 1938 par le sous-secrétaire britannique aux Home Affairs, Geoffrey Lloyd, et par son chef du Renseignement étranger. Cette visite eut lieu quelques semaines seulement avant l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne et moins d’un an avant la crise de Munich. Bien que le gouvernement britannique ait été le premier à envisager dès 1924 des mesures de protection contre les raids aériens, il avait hésité à prendre des mesures concrètes pour éviter de paniquer la population. Cependant, en 1930-1931, le Sub-Committee on Air Raid Precautions passa en revue les programmes de plusieurs pays européens. Les autorités en conclurent que les Allemands, les Soviétiques, les Tchèques et les Français étaient très en avance sur les Britanniques dans la formation des civils à se prémunir contre les attaques au gaz, les bombes hautement explosives et les incendies. 14 Le gouvernement britannique créa en 1935 son propre Air Raid Precautions Department au sein du Home Office. La visite en Allemagne du sous-secrétaire Lloyd en 1938 se termina par une grande opération de collecte de renseignement sur les efforts allemands en matière de défense civile depuis l’année précédente. Les autorités britanniques furent impressionnées par le succès du RLB dans la formation de millions de civils – dont 800 000 chefs d’îlots – chargés d’éteindre les incendies d’immeubles, d’évacuer les matériaux inflammables des greniers et de repeindre les logements avec de la peinture ignifugée. Elles faisaient état de fréquents exercices de blackout dans les villes et les bourgades de toute l’Allemagne. Certains responsables britanniques remarquèrent également que les autorités allemandes concentraient prudemment leurs préparatifs de défense civile sur l’extinction des bombes incendiaires plus que sur la neutralisation de bombes à gaz. Les Allemands, selon les rapports, étaient conscients que leurs ennemis étaient peu susceptibles de faire un ample usage de gaz toxiques, alors que le gouvernement britannique était obnubilé par la distribution de masques à gaz à tous les habitants – une précaution inutile, s’avéra-t-il, car aucun camp ne largua de bombes chimiques. Lorsque la guerre éclata en septembre 1939, le gouvernement britannique avait mis sur pied un système comparable de chefs d’îlots, de brigades de pompiers locales et de directives de blackout. À partir de 1940, le ministère de la Sécurité Intérieure réorganisé consacra des ressources considérables à la collecte de renseignement sur la défense civile allemande afin d’améliorer les défenses britanniques, mais aussi de permettre à la RAF de bombarder plus efficacement des cibles en Allemagne et dans d’autres pays de l’Axe. 15
Figure 4. « Les installations allemandes de défense antiaérienne sont exemplaires ». À la veille de la guerre entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne, Geoffrey Lloyd (au centre), sous-secrétaire d’État britannique aux Affaires intérieures, et le commandant F. L. Fraser (à droite) inspectent les installations de défense antiaérienne allemandes, à l’invitation du Dr. Kurt Knipfer, chef du Département allemand de la défense civile.
Source : Wochenschau Westdeutsche Illustrierte Zeitung, 30 janv. 1938, in « Visit to Berlin & Paris with Mr. Geoffrey Lloyd », 10 mars 1938, HO 45/17627, TNA
Au Japon, les autorités et les experts civils continuèrent eux aussi à surveiller de près les préparatifs des autres pays pour se protéger des raids aériens pendant les années 1930, puis pendant les années de guerre. Ils prêtèrent une attention toute particulière au système qui se mettait en place dans l’Allemagne nazie et à l’organisation de la défense civile à l’échelle de la nation entreprise par le RLB. Plusieurs délégations influentes d’officiers de l’armée japonaise et de responsables civils visitèrent les installations de défense antiaérienne allemandes au milieu des années 1930 puis à nouveau en 1940-1941 (après la signature du pacte de l’Axe en 1940). Les responsables japonais calquèrent leur Loi sur la Défense aérienne (1937) sur la Loi sur la Défense aérienne (1935) de l’Allemagne nazie, les deux obligeant les citoyens à prendre part à des activités de défense civile. Les attachés militaires et navals des ambassades japonaises à Berlin et dans la Suisse voisine envoyaient des rapports détaillés sur les bombardements alliés contre l’Allemagne de plus en plus meurtriers à partir de 1943. Les récits de première main du largage de bombes incendiaires sur Hambourg (juillet-août) et des raids aériens de grande envergure sur Berlin persuadèrent les autorités militaires, le ministère de l’Intérieur et le premier ministre Tôjô Hideki de moderniser le système de défense civile du Japon en prévision de raids américains contre des villes japonaises. Des urbanistes japonais, dont certains s’étaient récemment rendus en Allemagne lors des premières phases de bombardements britanniques, recommandèrent que le régime prenne des mesures extraordinaires pour ignifuger les villes japonaises, dont les bâtiments étaient majoritairement en bois. À partir de janvier 1944, le gouvernement ordonna la démolition d’un grand nombre de logements et de bâtiments de bois afin de créer des coupe-feux contre les attaques incendiaires. Quelque 55 000 habitations et immeubles furent détruits à Tokyo entre février et juillet 1944. Les autorités imitèrent aussi l’Allemagne en dispersant les services gouvernementaux et les industries loin des zones de concentration urbaine. 16
En même temps, les autorités japonaises chargées de la défense antiaérienne continuèrent à étudier les méthodes de défense civile britanniques, même une fois que les deux pays furent en guerre. Le Japon était officiellement resté neutre à l’égard des Alliés occidentaux jusqu’en décembre 1941, ce qui permit à des fonctionnaires japonais en poste à l’ambassade de Londres d’envoyer de longs rapports sur la mobilisation du front intérieur et sur la défense civile britannique contre les raids aériens allemands pendant le « Blitz » (septembre 1940 - mai 1941). Durant toute la guerre, les planificateurs japonais s’intéressèrent de près aux techniques britanniques de lutte contre le feu dû à des bombes incendiaires, à l’emploi de femmes dans la défense civile de quartiers et à l’évacuation massive des écoliers de Londres et d’autres villes vulnérables. 17 Le Japon – comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne – continua à adapter ses programmes de front intérieur en s’inspirant de l’observation de ses ennemis aussi bien que de ses alliés.
Coercition et organisation des quartiers
Les théories et pratiques transnationales de défense civile eurent tendance à uniformiser à un point rarement perçu les méthodes de mobilisation des citoyens, et ce malgré la disparité des régimes politiques. En 1933, le parti nazi qui venait d’arriver au pouvoir créa le Reichsluftschutzbund (RLB, Association de Défense antiaérienne du Reich) sous l’égide d’Hermann Göring et de son ministère de l’Aviation. Le RLB était une organisation nationale mais ses antennes s’étendaient jusqu’au niveau des quartiers. Il se flattait de son grand nombre de membres : 13 millions en 1939, 22 millions en 1943. Cette vaste structure hiérarchique, relève Detlev Peukert, favorisa le soutien au régime, même parmi ceux qui n’étaient pas des nazis convaincus, en offrant localement à des millions d’Allemands une « réserve à peu près inépuisable d’insignes, de fonctions et de sous-fonctions. » 18 Comme de nombreuses organisations nazies, le RLB est généralement présenté comme la création exceptionnelle d’un régime totalitaire. De fait, il présentait un certain nombre de caractéristiques radicalement national-socialistes, ne fût-ce que l’exclusion des Juifs d’une association par ailleurs très ouverte, chargée de défendre tous les foyers contre les bombes incendiaires.
Pourtant, on peut également voir dans le RLB une des nombreuses structures de mobilisation de l’époque, reflétant des tendances mondiales. Il intégrait deux organisations de défense antiaérienne de l’époque de Weimar qui avaient elles-mêmes pris pour modèles les associations de défense antiaériennes mises en place par l’État en Union soviétique (l’Osoaviakhim, créée en 1927) et en Pologne (la Ligue pour la Défense contre l’aviation et les gaz, créée en 1929). La ligue polonaise, notaient ses admirateurs allemands en 1931, avait rassemblé un million de membres, et l’Osoviakhim en revendiquait plusieurs millions. 19 Les fonctionnaires allemands rédigèrent aussi des rapports sur les campagnes visant à organiser la défense civile de masse en Tchécoslovaquie, en Suède, au Danemark, en Finlande et en Italie.
Pendant les années 1930, ce type d’organisation connut un essor rapide, les pays mobilisant leur population civile en prévision de la « guerre totale » qui ne manquerait pas de prendre les villes pour cibles. Ces modèles mondiaux encouragèrent les autorités japonaises de la fin des années 1930 à renforcer le système existant d’organisations soutenues par l’État. Il en existait plusieurs à l’échelle nationale, dont chacune était placée sous l’autorité d’un ministère particulier et dont les branches s’étendaient jusqu’au niveau des quartiers, à travers des associations de jeunes, de femmes, d’anciens combattants et d’associations d’épargne. En pleine guerre contre la Chine et alors que les tensions avec les États-Unis et la Grande-Bretagne s’aggravaient, le ministère de l’Intérieur fusionna les différentes associations locales sous le chapeau d’une unique association villageoise (burakukai) ou, en ville, d’associations de rue (chônaikai). Les associations de village ou de rue furent encore subdivisées en associations de voisinage (tonarigumi), rassemblant une dizaine de ménages chacune. Les associations de rue s’inspiraient manifestement de leurs homologues allemandes, dirigées par le responsable de rue du RLB ou par le chef d’îlot (Blockwart) du parti nazi, les associations japonaises de voisinage correspondant, quant à elles, aux unités de « maisons » allemandes. Les associations de rue et de voisinage japonaises devinrent après 1940 des unités polyvalentes de mobilisation du front intérieur – chargées de la défense civile, du rationnement alimentaire, de la collecte de l’épargne nationale et de la surveillance mutuelle. L’adhésion était obligatoire. Les responsables des associations de voisinage, qui étaient également chefs d’îlots, étaient, au départ, généralement des hommes. Dans les faits, les femmes furent cependant de plus en plus nombreuses à diriger ces structures, dont elles étaient les membres les plus actifs. 20 Les Américains n’ayant pas infligé de bombardements intensifs aux villes japonaises avant les cinq derniers mois de la guerre, en 1945, les associations de voisinage organisèrent des manœuvres pendant des années pour apprendre aux gens à utiliser seaux et pompes à main contre les bombes incendiaires que l’on attendait.
Nous avons tendance à associer les « organisations de masse » sous contrôle de l’État comme le RLB ou les associations de voisinage japonaises à des régimes autoritaires. 21 En réalité, la crainte des bombardements aériens – à laquelle s’ajoutait l’étude des modèles étrangers – incita également les démocraties européennes à mettre en place des systèmes de mobilisation nationale. En mars 1938, le Comité de défense impériale du gouvernement britannique envisagea même de suivre l’exemple du RLB de l’Allemagne nazie pour instituer sa propre organisation de défense antiaérienne. Finalement, la Grande-Bretagne renonça à la création d’une organisation de masse, et l’État n’obligea même pas tous les citoyens à rejoindre des associations de défense civile de voisinage comme en Allemagne et au Japon. Le Home Office imposa tout de même à toutes les autorités locales la création de services d’Air Raid Precautions (ARP) sous contrôle centralisé, avec des chefs d’îlots, des équipes de décontamination, de secourisme, de sauvetage et des pompiers auxiliaires. 22 Lors de l’intensification des raids aériens en 1940-1941, on réquisitionna un nombre plus important d’habitantes et d’habitants locaux pour participer à la défense civile dans les quartiers et sur les lieux de travail. Parmi les dispositions prises contre les raids aériens figurait également la création en 1938 du Women’s Voluntary Service, le Service Volontaire féminin, qui recruta en définitive plus d’un million de membres. Malgré l’adjectif « volontaire », la création de cette organisation se fit sur ordre du gouvernement dans le cadre des ARP et ses branches devaient travailler sous les ordres des autorités locales. À l’image des associations japonaises et allemandes, le Women’s Voluntary Service accorda la priorité au recrutement de « ménagères » des quartiers sur celui de « femmes actives » plus jeunes, qui risquaient d’être « appelées par les forces armées ou l’industrie ». 23
Autoritaire ou démocratique, et malgré la diversité des méthodes employées, chaque État soumit la population civile à des niveaux de coercition sans précédent. La loi allemande sur la défense aérienne de 1935 obligeait tous les citoyens allemands à participer à des activités de défense civile. Lorsque l’Allemagne subit des raids plus meurtriers, cette loi fit l’objet d’une « radicalisation constante » et l’éventail des sanctions s’accrut, note Dietmar Süss. Les habitants étaient condamnés à de lourdes amendes voire à des peines de prison s’ils enfreignaient les réglementations sur le blackout, négligeaient de se débarrasser des matériaux inflammables qu’ils avaient chez eux ou se dérobaient à d’autres obligations de protection contre les raids aériens. Les récidivistes du non respect du blackout étaient parfois livrés à la Gestapo, et les branches locales du parti nazi se chargeaient de patrouiller les quartiers à la recherche de contrevenants qu’elles réprimandaient et condamnaient à des amendes. 24
Inspirée par la loi allemande, la loi japonaise sur la défense aérienne (1937 ; révisée en 1941) prévoyait elle aussi toute une panoplie d’amendes ou de peines de prison pour ceux qui cherchaient à se dérober à leurs responsabilités en matière de défense civile. Peu de contrevenants japonais, cependant, se virent imposer les peines radicales ou la terreur de l’État nazi. Dans les faits, c’était plutôt le responsable de l’association de voisinage et ses adjoints qui se chargeaient d’admonester leurs voisins qui ne respectaient pas le blackout ou se dérobaient à leurs devoirs de défense civile. Il n’en demeure pas moins que les réglementations de temps de guerre accordaient à l’État des armes juridiques puissantes contre les habitants qui fuyaient leurs quartiers sans autorisation face aux raids aériens. La loi de défense aérienne révisée de 1941 imposait aux civils le « devoir de lutter contre les incendies en tant que suppléants lors d’attaques aériennes ». Par ailleurs, si le ministre de l’Intérieur ou les gouverneurs de préfectures le jugeaient nécessaire à la défense antiaérienne, ils pouvaient interdire ou limiter les déplacements hors des quartiers. Les contrevenants risquaient jusqu’à un an de prison avec travaux forcés, ou une amende maximum de 1000 yen.
Mais les autorités japonaises préféraient généralement des sanctions extralégales, recommandant aux associations locales de rue de refuser leurs rations alimentaires aux habitants qui n’accomplissaient pas leurs devoirs de défense civile ou qui prenaient la fuite. C’était une menace efficace car les Japonais souffrirent de graves pénuries alimentaires lorsque les Américains bombardèrent lourdement les îles en 1945. Au cours d’un épisode tragique des derniers jours de la guerre, de nombreux habitants d’Aomori terrifiés fuirent la ville après que des avions américains eurent lâché des tracts annonçant que celle-ci risquait fort d’être une des prochaines cibles de bombardements. Le gouverneur de la préfecture promulgua alors une ordonnance annonçant que « si [les habitants] n’ont pas regagné Aomori avant le 28 juillet, ils seront radiés des registres de leur association de rue et ne recevront plus de produits rationnés [essentiellement des denrées alimentaires]. » Un avis officiel publié dans le journal local comparait les fuyards à des « déserteurs » de l’armée, leur reprochant d’avoir « laissé leurs foyers pratiquement vides » et leur ville sans défense. De nombreux civils affamés regagnèrent alors Aomori, juste à temps pour assister dans la nuit du 28 juillet au raid de 100 bombardiers qui fit 728 morts. 25
La Grande-Bretagne appliqua elle aussi des degrés croissants de coercition au cours des premières années, durant lesquelles la menace de raids aériens fut la plus grande. En 1940, près de 300 000 cas de violation des réglementations sur le blackout furent déférés aux tribunaux, et l’État appliqua avec rigueur les autres dispositions concernant la défense civile. 26 Malgré une nette préférence pour le volontariat, le gouvernement britannique finit par recourir à la conscription pour mobiliser hommes et femmes au profit de la défense civile. Le besoin le plus pressant concernait les Fire Guards, les « guetteurs d’incendie » dont la mission essentielle était de s’asseoir sur les toits et de signaler immédiatement au voisinage et aux pompiers le point de chute des bombes incendiaires. Ils étaient aussi censés éteindre ces bombes lorsque c’était possible. Le largage massif de bombes incendiaires à la fin de 1940 persuada le cabinet de guerre que le nombre de guetteurs d’incendie volontaires était insuffisant. Au début de 1941, le gouvernement obtint de pouvoir obliger les citoyens britanniques de sexe masculin âgés de 18 à 60 ans à servir comme Fire Guards pendant jusqu’à 48 heures par semaine sur leur lieu de travail si les volontaires n’étaient pas assez nombreux. Une autre ordonnance exigeait que tous les Britanniques de sexe masculin âgés de 18 à 60 ans se fassent enregistrer pour des missions de prévention des incendies dans les quartiers résidentiels de districts vulnérables. Un grand nombre d’hommes furent ainsi réquisitionnés. En novembre, le ministère de la Sécurité intérieure proposa qu’une « équipe de pompe à main » ou au moins trois Fire Guards couvrent tous les tronçons de rues longs de 150 mètres ou regroupant 30 maisons. En août 1942, évoquant de « graves pénuries d’effectifs de Fire Guards dans les zones cibles », le gouvernement alla bien au-delà des dispositifs de l’Allemagne nazie en élargissant l’enrôlement obligatoire aux femmes de 20 à 45 ans, qui pouvaient être recrutées comme guetteuses d’incendie sur les lieux de travail ou dans les quartiers. Les femmes mariées vivant au foyer n’étaient soumises à ces mesures de prévention des incendies que dans leur quartier, alors que les célibataires pouvaient être appelées à servir dans n’importe quel secteur résidentiel sous le contrôle des autorités locales. 27 Faisant appel au langage transnational utilisé par les puissances de l’Axe aussi bien que par les Alliés, le secrétaire d’État au Home Office, Herbert Morrison, présenta la mobilisation des équipes féminines de Fire Guards comme « un signe supplémentaire de notre effort de guerre total. » 28
En outre, à l’image de leurs homologues des pays de l’Axe, les Fire Guards britanniques mobilisés ne pouvaient pas refuser de servir. En octobre 1943, les tribunaux jugèrent des Fire Guards accusés d’avoir refusé d’accomplir leur devoir, et en condamnèrent au moins un à trois mois de prison. 29 Faisant remarquer qu’un faible nombre de bombardiers « est en mesure de déverser plusieurs milliers de petites bombes incendiaires sur une ville en l’espace de quelques minutes », le manuel des Fire Guards de 1941 expliquait qu’il était désormais « du devoir de tous les hommes et femmes valides de rendre tous les services qu’ils peuvent dans l’armée à temps partiel qui rassemble des millions de citoyens formés à venir rapidement à bout de bombes incendiaires. » 30Aujourd’hui, les chercheurs condamnent catégoriquement l’État japonais pour avoir obligé les civils à lutter contre les bombes incendiaires. 31 Mais, non sans ironie, la propagande de guerre allemande faisait presque le même reproche aux autorités britanniques. La « conscription » de civils anglais « quel que soit leur sexe » dans la lutte contre les incendies, vitupérait une émission de radio allemande, prouvait « la terrible insensibilité du gouvernement britannique qui précipite des citoyens sans défense au milieu des bombardements. » 32 Influencés par les enseignements transnationaux, les programmes obligatoires de défense civile mobilisèrent plusieurs millions de Britanniques, d’Allemands, de Japonais, hommes et femmes, sur leurs lieux de travail et dans leurs quartiers, et de façon remarquablement comparable.
Évacuations : organisées et spontanées
Les trois pays durent faire face aux problèmes de l’évacuation des civils en cas de raids aériens. Les politiques transnationales de défense civile élaborées dans les années 1930 reposaient sur la volonté de maintenir les habitants les plus indispensables dans les villes attaquées. Il ne s’agissait pas seulement des ouvriers de l’industrie et des employés des services publics, mais aussi des centaines de milliers d’hommes et de femmes ordinaires censés protéger leurs foyers et leurs quartiers des bombardements. L’Allemagne nazie, l’Union soviétique aussi bien que le Japon cherchèrent à empêcher les civils valides de fuir les villes bombardées. Mais cette politique n’était pas, et de loin, l’apanage des États autoritaires. Le gouvernement britannique prit différentes mesures (vaines pour la plupart) pour décourager les habitants terrifiés de certaines petites villes de partir nuitamment « en randonnée » dans la campagne pour échapper aux raids aériens allemands. Durant l’été 1941, plusieurs milliers d’habitants de la ville portuaire de Hull lourdement bombardée dormirent régulièrement dans des fermes des environs ou dans des centres d’accueil gouvernementaux. Les autorités s’inquiétaient de la baisse de productivité d’ouvriers somnolents. Si le gouvernement encourageait ces « excursions », déclarait le ministère de la Santé, « nous perdrons la guerre. » 33
L’évacuation des enfants britanniques était, en revanche, une tout autre question. L’évacuation de civils non indispensables fut un élément majeur des précautions contre les raids aériens dès le début des délibérations secrètes du gouvernement en 1924. S’attendant à ce que les bombardiers ennemis effectuent des frappes décisives dans les premiers jours de la Seconde Guerre mondiale, l’État entreprit d’évacuer 1,4 millions d’enfants et de mères de famille de Londres et d’autres villes le 1er septembre 1939, avant même la déclaration de guerre à l’Allemagne qui eut lieu deux jours plus tard (826 959 étaient des écoliers non accompagnés, et 523 670 des mères et des enfants accompagnés). Les résultats ne furent pas pleinement satisfaisants. Les parents refusaient souvent de se séparer de leurs enfants ; les enfants pauvres issus de milieu ouvrier étaient en butte à l’hostilité et aux préjugés des familles de la classe moyenne qui les hébergeaient dans les petites bourgades ; et au moment de la drôle de guerre de 1939-1940, de nombreuses familles réclamèrent le retour de leurs enfants, qui furent ainsi en péril au moment du Blitz de septembre 1940, quand l’Allemagne bombarda Londres et d’autres villes anglaises. L’État britannique n’en organisa pas moins d’autres évacuations d’enfants de grande envergure lors des périodes de bombardements intenses. 34
Les responsables nazis n’ignoraient rien des mesures prises en Grande-Bretagne, mais pendant les premières années de la guerre, ils virent plutôt d’un mauvais œil les évacuations organisées et durables de petits citadins. Avant 1943, les bombardements britanniques furent largement inefficaces, et Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande, préférait ne pas inquiéter l’opinion publique allemande. Hitler n’autorisa aucune évacuation avant la fin septembre 1940, six mois après le début des bombardements britanniques. Il envoya alors des enfants de 10 à 14 ans habitant dans des villes vulnérables faire de brefs séjours en colonies de vacances et dans des auberges de jeunesse. Il accepta finalement que des classes entières situées dans des régions dangereuses soient évacuées en février 1943, mais les parents étaient libres de refuser le départ de leurs enfants, et les effectifs concernés demeurèrent modestes. Le largage dévastateur de bombes incendiaires britanniques sur les villes de la Ruhr et de Rhénanie, puis sur Hambourg (juillet-août 1943) réduisit en miettes ce qui restait de la politique d’évacuation organisée des nazis. Entre 1943 et 1945, plusieurs millions de civils allemands fuirent les villes bombardées, et le régime nazi lui-même fut impuissant à les en empêcher. En 1945, Berlin avait perdu 40 % de sa population d’avant-guerre, Munich 41 %, et Hambourg 35 %. À Cologne, qui essuya des bombardements réitérés, il ne restait que 20 000 habitants sur les 770 000 présents au début de la guerre. 35
Au Japon, les plans d’évacuation des enfants se heurtèrent à une très vive résistance en haut lieu et ne réussirent à s’imposer que sous l’effet, en grande partie, des observations transnationales. En mai 1940, l’état-major général s’opposa aux évacuations massives de la majorité des femmes et des enfants. Si, en présence de raids aériens, les gens « abandonnent les villes et prennent la fuite, les villes s’effondreront et notre défense nationale échouera », affirmait-il. 36Un an plus tard, le lieutenant-colonel Nanba Sanjûshi, spécialiste de la défense aérienne, refusa l’évacuation des femmes et des enfants en alléguant que la main-d’œuvre nécessaire à pareille entreprise était excessive. Jurant que les Japonais défendraient les villes bombardées « jusqu’à la mort », il cita élogieusement l’injonction des autorités soviétiques aux civils face à l’attaque allemande en cours : « Si vous abandonnez Moscou, on ne vous autorisera pas à y revenir. » 37 Le premier ministre Tôjô s’opposa aux évacuations d’enfants pendant la plus grande partie de la guerre, craignant qu’elles n’affaiblissent le « système familial » japonais. Comme d’autres, il affirma avec insistance que les enfants devaient rester dans les villes pour aider à éteindre les bombes incendiaires et participer à d’autres tâches de défense civile. En revanche, de nombreux responsables des milieux de l’éducation exhortaient le gouvernement à imiter le programme britannique d’évacuation massive des enfants et rallièrent à leur cause des diplomates et un ancien attaché militaire influent qui avait travaillé à l’ambassade du Japon à Londres au moment du Blitz. D’autres experts suivaient de près les programmes allemands d’évacuation. En juin 1944, anticipant les effets destructeurs de raids aériens imminents contre des villes japonaises au vu de rapports en provenance d’Europe, le gouvernement décida d’organiser l’évacuation à la campagne d’enfants d’école primaire (CM1 et au-delà) de treize villes. Les responsables tirèrent aussi les leçons des expériences difficiles de l’hébergement de petits Anglais dans des foyers d’inconnus en province. L’État japonais préféra donc transférer un grand nombre d’écoliers avec leurs camarades de classe et leurs instituteurs dans des zones rurales où ils vivaient en collectivité. Au cours du mois d’août 1944, plusieurs mois avant les grands bombardements américains, les autorités évacuèrent environ 337 000 écoliers avec leurs classes, tandis que 459 000 autres partaient vivre auprès de membres de leurs familles. 38
Figure 5. « Les leçons de Londres ». Dans cet article publié en 1944 dans la revue de défense civile du gouvernement japonais, un diplomate précédemment en poste à l’ambassade du Japon à Londres explique les enseignements que ses compatriotes pourraient tirer de l’évacuation des enfants des villes britanniques au début de la Seconde Guerre mondiale.
Source : Tobe Toshio, « Rondon no kyōkun », Kokumin bōkū 6, n° 7 (juillet 1944), p. 37.
En même temps, le gouvernement japonais chercha à limiter les évacuations désorganisées, surtout d’hommes et de femmes valides jugés indispensables au travail de guerre et aux services municipaux. Dans cette entreprise, l’État mena une bataille perdue d’avance – et entravée par des politiques souvent contradictoires. Dans les six villes principales et ailleurs, la démolition en 1944 et 1945 de plusieurs centaines de milliers de logements pour créer des coupe-feux contraignit des masses de nouveaux sans-logis à quitter les villes. Lors de l’épouvantable bombardement incendiaire subi par Tokyo les 9 et 10 mars 1945, des Superfortresses B-29 causèrent la mort de quelque 100 000 habitants. L’US Army Air Force exploita son succès en lançant des raids répétés contre les grandes villes. Entre juin et la mi-août, les Américains élargirent leur campagne de bombardements à 58 villes de petite et moyenne importance à travers tout le Japon. Des civils paniqués fuirent les agglomérations en masse et les autorités civiles ne firent pas grand-chose pour les en empêcher. Au contraire, les responsables encouragèrent fréquemment cet exode, reconnaissant que les villes bombardées ne pouvaient plus ni nourrir ni héberger leurs populations. À la suite du raid des 9 et 10 mars, les autorités municipales de Tokyo changèrent spectaculairement de politique, encourageant tous les habitants non indispensables à partir. Offrant des billets gratuits, elles affrétèrent quotidiennement plusieurs trains supplémentaires à destination de la campagne. Les wagons étaient bourrés de familles qui cherchaient désespérément à fuir. 39 Un peu comme en Allemagne, près de 8,5 millions de Japonais quittèrent les grandes villes, pour la plupart au cours des cinq derniers mois de la guerre. La population de Tokyo diminua de 63 %, tandis que 29% des habitants de Nagoya étaient évacués pendant la brève période qui suivit deux raids à la mi-mars. Bien que les autorités se soient engagées à empêcher les travailleurs de guerre de quitter les villes, ils furent en réalité nombreux à s’enfuir avec leurs familles. La Morale Division de l’U.S. Strategic Bombing Survey estimait qu’au moins 37 % des salariés japonais évacués avaient travaillé dans des industries de guerre. 40
Qui a déblayé les décombres ?
Les trois pays ont, nous l’avons vu, mobilisé les hommes, les femmes et les jeunes des quartiers pour des tâches élémentaires de défense civile, en tant que chefs d’îlots, guetteurs d’incendies, messagers et secouristes. Mais s’agissant de missions particulièrement dangereuses et physiquement éprouvantes, l’utilisation de la main-d’œuvre se distingua considérablement selon les régimes politiques. Dans la Grande-Bretagne en guerre, la défense civile reposait majoritairement sur des citoyens adultes de sexe masculin, chargés de lutter contre les grands incendies et de réparer les routes, les services publics et les bâtiments après les raids aériens. Les Britanniques ne mobilisèrent jamais dans leur armée plus d’une fraction des travailleurs de sexe masculin. De plus, les villes subirent les attaques aériennes les plus violentes en 1940-1941, à un moment où la mobilisation militaire commençait à peine. Le système de défense civile britannique put ainsi puiser dans un important réservoir d’hommes valides appelés à servir à plein temps ou à temps partiel dans la lutte contre les incendies, dans la surveillance des incendies sur leur lieu de travail et dans les tâches de reconstruction. Le gouvernement estimait la main-d’œuvre masculine (de 18 à 64 ans) à 14 millions d’individus en 1939. Or en 1942, quatre millions seulement de Britanniques servaient dans les forces armées, auxquels il convient d’ajouter les 1,75 millions de membres de la Home Guard. Le National Fire Service rémunérait environ 25 000 employées, mais ces femmes représentaient moins de 10 % des effectifs totaux de ce service. 41 À Londres, un grand nombre d’étrangers non britanniques étaient employés au déblaiement des gravats et à la démolition des bâtiments endommagés, mais les salaires relativement élevés attirèrent également de jeunes Britanniques, les détournant ainsi d’autres tâches de guerre. 42
Se battant sur plusieurs fronts et menant une guerre terrestre de plus en plus désespérée, l’Allemagne avait bien plus de mal à disposer de la main-d’œuvre indispensable aux missions de défense civile les plus dangereuses. Lors de l’intensification de la campagne de bombardements alliés contre les villes au cours des derniers mois de la guerre, le régime nazi transféra rapidement dans l’armée le maximum d’hommes valides. Créé en octobre 1944, le Volkssturm, la milice nationale, mobilisa plusieurs milliers d’hommes supplémentaires âgés de 16 à 60 ans. Pour lutter contre les sinistres provoqués par des raids incendiaires, l’État-parti en fut réduit à compter sur des hommes de plus en plus âgés. L’âge moyen des pompiers et des sauveteurs des bataillons de protection antiaérienne (Luftschutz Abteilungen) s’élevait à 52 ans à la fin de la guerre. 43 Dans les quartiers et les modestes établissements commerciaux, les femmes apprenaient à maîtriser les petits incendies. Un grand nombre d’entre elles devinrent chefs d’îlot d’immeuble ou de rue. Cependant, à en croire les services de renseignement britanniques et les autorités allemandes, les femmes pompiers étaient facilement terrorisées et généralement inefficaces en présence d’importants bombardements incendiaires alliés. 44 Idéologiquement, le national-socialisme encourageait les femmes et les jeunes filles à se cantonner dans des rôles féminins et maternels, et cherchait à les préserver des tâches éreintantes et dangereuses. Et, pragmatiquement, Hitler s’abstint d’imposer aux femmes des tâches physiquement astreignantes, espérant éviter ainsi de voir se reproduire ce qui s’était passé lors de la Première Guerre mondiale, quand des mères de famille affamées et démoralisées avaient réclamé la fin des hostilités. 45
La différence majeure entre la défense civile allemande et les mesures britanniques et japonaises était l’exploitation massive et raciste que fit l’État nazi d’une main-d’œuvre « non aryenne » à la suite des raids aériens. En comptant les travailleurs forcés, les prisonniers de guerre, les détenus de camps de concentration et les Juifs, l’Allemagne exploita pendant la guerre au moins douze millions d’étrangers comme travailleurs forcés ou asservis. 46 Organisés par Albert Speer, ministre des Armements et de la Production de guerre, des bataillons spéciaux de prisonniers de guerre furent envoyés dans les villes bombardées pour déblayer les décombres à partir de 1941. La SS coopéra également avec Speer pour envoyer dans les villes un grand nombre de détenus de camps de concentration et de condamnés pour dégager les gravats et réparer les services publics. Ces prisonniers étaient aussi obligés d’évacuer les bombes qui n’avaient pas explosé, pour éviter, selon les termes de Heinrich Himmler, que de « courageux pompiers » soient obligés de risquer leur vie. Un grand nombre de ces travailleurs forcés moururent dans des explosions, ou furent exploités jusqu’à l’épuisement. Après le bombardement meurtrier de Hambourg dans le courant de l’été 1943, des détenus de camps de concentration reçurent l’ordre de se rendre dans les « zones de mort » pour déblayer les milliers de cadavres, quand la police de la défense antiaérienne refusait de le faire. Anticipant le travail indispensable après les raids, les autorités allemandes hébergeaient souvent les détenus dans des camps de fortune aménagés dans les centres-villes très vulnérables avant les attaques aériennes, aggravant encore les risques qu’ils couraient. 47 Des générations ultérieures d’Allemands célébreraient la mémoire des Trümmerfrauen, littéralement les « femmes des décombres », qui, sous l’occupation alliée, rendirent laborieusement vie aux villes dévastées. Mais peu de femmes allemandes déblayèrent les gravats pendant la guerre elle-même, cette tâche leur étant épargnée par l’asservissement que le régime nazi imposait à ceux qu’il considérait comme étrangers à la Volksgemeinschaft, la communauté nationale.
Le Japon en guerre affronta, lui aussi, une pénurie de jeunes hommes adultes capables de lutter contre les incendies et de remettre les services municipaux en état après les raids aériens. En 1945, au moment où les villes japonaises furent lourdement bombardées, plus de six millions de Japonais étaient sous les drapeaux et plusieurs millions d’autres travaillaient de longues heures dans les industries de guerre ou étaient en poste à l’étranger dans des emplois civils. Cependant, à la différence de l’Allemagne nazie, l’État japonais fit appel aux femmes et aux adolescents, garçons et filles, chargés de supporter une large part du poids de la défense de leurs quartiers contre les attaques incendiaires. Le régime aurait pu obliger, lui aussi, des travailleurs étrangers à construire des coupe-feux ou à dégager les gravats, mais leurs effectifs étaient bien plus faibles qu’en Allemagne. La plupart furent affectés aux mines, aux industries de guerre et à d’autres programmes de construction. Les Coréens, habitants d’une colonie, constituèrent un réservoir de main-d’œuvre non négligeable dans le Japon en guerre. Entre 1939 et 1945, les entreprises et l’État recrutèrent ou enrôlèrent quelque 724 000 travailleurs de Corée. Bien que plusieurs milliers d’entre eux aient travaillé à la construction de bunkers et d’installations militaires en prévision d’une invasion alliée, peu participèrent aux activités de construction et de démolition liées à la défense des villes. Dans le chaos qui suivit le bombardement incendiaire des grandes villes en mars 1945, les autorités perdirent le contrôle des travailleurs coréens enrôlés, qui s’enfuirent en masse, à l’image des civils japonais. 48
Plutôt que de compter sur une main-d’œuvre d’étrangers ou de prisonniers, les autorités japonaises confièrent l’essentiel de la responsabilité de la lutte contre le feu, des démolitions et des réparations à leurs propres ressortissants, au sein des associations de rue et de voisinage. L’État s’appuya délibérément sur les traditions japonaises des débuts des temps modernes de brigades de pompiers volontaires et d’assistance mutuelle entre voisins. L’armée avait réquisitionné beaucoup de ressources et, dans les villes, les casernes de pompiers ne disposaient pas d’unités mobiles ni d’un équipement suffisants pour faire face à d’importants raids incendiaires. Elles souffraient aussi de graves pénuries de main-d’œuvre, l’armée mobilisant un nombre croissant d’hommes valides et de mécaniciens qualifiés. La lutte contre les incendies retombait invariablement sur les habitants – autrement dit sur des hommes âgés, des femmes et même des enfants rassemblés dans les associations de résidents. Contrairement à leurs homologues nazis, les dirigeants japonais n’avaient guère de scrupules à mobiliser des femmes pour des tâches dangereuses et pénibles. Une proportion non négligeable de la population urbaine du Japon en guerre avait grandi à la campagne, où femmes et filles étaient habituées aux travaux agricoles les plus durs. 49 Armées de seaux et de quelques pompes à main, de nombreuses femmes des associations de voisinage éteignirent, dit-on, des petits feux en périphérie des zones ciblées par les Américains – même si leur équipement et leur tactique rudimentaires se révélaient impuissants face aux enfers des centres-villes. 50
Il convient également de relever le rôle majeur des jeunes et des femmes dans la démolition de maisons et d’immeubles pour créer des coupe-feux et ménager des voies d’évacuation. En 1944 et 1945, tant avant qu’après les grands raids incendiaires, les autorités ordonnèrent à maintes reprises la démolition de plusieurs centaines de milliers de maisons. Une grande partie de ce travail fut confiée à des équipes d’« élèves mobilisés » (gakuto dôin). Au printemps 1944, pour faire face aux pénuries de main-d’œuvre, l’État commença en effet à enrôler les garçons et les filles de 14 ans et plus – avec leurs camarades de classe et leurs professeurs – pour travailler à l’usine et dans des programmes de construction liés à la guerre. Les élèves mobilisés démontaient régulièrement des habitations et des commerces dans la lutte désespérée pour réduire l’inflammabilité des villes. Par ailleurs, des armées de femmes et d’hommes âgés appartenant aux associations de résidents participèrent au déblaiement des gravats après les raids et les travaux de démolition. Pour ces adolescents très mal nourris, ces tâches n’étaient pas seulement épuisantes et dangereuses ; elles pouvaient être mortelles. Dans la matinée du août 1945, des milliers de filles et de garçons mobilisés étaient en train de démolir des bâtiments pour créer des coupe-feux au centre d’Hiroshima en prévision d’une attaque incendiaire imminente. C’est ainsi que 7 000 d’entre eux périrent dans le premier bombardement atomique de l’histoire. 51
Conclusions
Cet article cherche à associer analyse transnationale et analyse comparative. Les programmes de défense civile de l’Allemagne nazie se distinguaient de ceux des deux autres pays par certains éléments clés. Le radicalisme du national-socialisme alimenta le recours à la terreur contre les citoyens les moins coopératifs, et le parti nazi suppléa souvent aux services de l’État en sanctionnant arbitrairement ceux qui violaient les règles de la défense civile. Mais surtout, le régime nazi fit un emploi impitoyable de travailleurs étrangers, de prisonniers de guerre et de détenus des camps de concentration pour déblayer les villes bombardées. Les dirigeants nazis réussirent ainsi à faire face aux raids aériens dévastateurs et à préserver le moral de la population en épargnant au « peuple allemand » racialement défini les tâches les plus dangereuses après les bombardements. Par comparaison avec l’Allemagne nazie, les entreprises de défense civile britannique et japonaise se ressemblaient beaucoup, malgré des régimes politiques fort différents. Ces deux pays mobilisèrent leurs propres citoyens pour la plupart des missions de défense antiaérienne, et leurs systèmes centralisés de services de pompiers, de chefs d’îlots et de guetteurs locaux d’incendies fonctionnaient au sein des structures étatiques existantes, sans interférence d’un parti radical. Les sanctions en cas de violation des réglementations de défense civile n’étaient pas beaucoup plus strictes dans le Japon impérial qu’en Grande-Bretagne. Lorsque l’aviation américaine commença à larguer des bombes incendiaires sur les villes japonaises de province et des tracts au-dessus d’autres agglomérations menacées d’être les suivantes, la police japonaise aux effectifs trop peu nombreux perdit rapidement le contrôle de la population. Comme le reconnurent après la guerre les responsables de la Kempeitai (la police militaire) et de la police préfectorale, ils ne pouvaient pas faire grand-chose pour empêcher les gens de lire les tracts lâchés par les avions. Et les autorités japonaises ne pouvaient pas non plus empêcher les habitants paniqués de fuir massivement les villes. 52
Néanmoins, abstraction faite de l’important recours à la main-d’œuvre forcée après les raids aériens, les opérations allemandes de défense civile partageaient de nombreux points communs avec celles de Grande-Bretagne et du Japon. La construction transnationale évolutive du « front intérieur » fut à l’origine d’une histoire beaucoup plus connectée et plus commune que les spécialistes n’ont tendance à le croire. La plupart des belligérants de la Seconde Guerre mondiale adoptèrent les principes de la « guerre totale », considérant que la protection et la mobilisation des civils étaient vitales pour l’effort de guerre. En outre, l’Allemagne, le Japon et la Grande-Bretagne fonctionnèrent tous comme des fronts intérieurs sous tension, la menace de raids aériens meurtriers légitimant un embrigadement sans précédent de la société. Le contraste avec le front intérieur américain est instructif.
Avant d’entrer en guerre en décembre 1941, les autorités américaines s’étaient intéressées de près à la défense civile britannique et avaient occasionnellement mis en garde les Américains contre la menace d’attaques de bombardiers allemands depuis des bases potentielles situées dans l’Atlantique ou dans les Caraïbes. Mais en l’absence de toute attaque aérienne concrète contre les États-Unis continentaux, les Américains eurent du mal à se laisser convaincre que la guerre les obligeait à entreprendre de vraies modifications de leur vie quotidienne. Alors que les États japonais, allemand et britannique avaient formé depuis des années leurs civils à la défense antiaérienne, le gouvernement américain attendit la seconde moitié de 1941 pour créer un réseau fédéral de défense civile. Au début de 1943, le risque de raids aériens refluant, le Bureau de la Défense civile commença à réduire les mesures de défense antiaérienne dans la plupart des villes. L’insouciance de l’Amérique en guerre à l’égard du blackout représente sans doute sa différence la plus flagrante avec les autres pays. En Grande-Bretagne, au Japon et en Allemagne, le respect des réglementations en matière de blackout fut pendant toute la durée de la guerre une marque essentielle de solidarité et de discipline collective. Dans les localités américaines, en revanche, les habitants et les entreprises n’obéirent que mollement aux règles de blackout et à celles, plus limitées, de « dimout », un blackout partiel, se plaignant souvent de leurs effets négatifs sur le tourisme et sur les divertissements. Même au début de 1942, alors que le pays était le plus vulnérable, des sous-marins allemands purent couler plusieurs navires alliés au large de la côte est des États-Unis, guidés par les éclairages des bourgades et des villes littorales, dont Manhattan. 53
Revenons aux fronts intérieurs sous tension. À maints égards, ce qui distingua les systèmes de défense civile britanniques, japonais et allemands ne fut pas leurs régime politique, mais plutôt des différences de degrés et de chronologie de ces tensions. La Grande-Bretagne ne subit de lourds bombardements et ne vécut sous la menace d’une invasion allemande que durant un an, en 1940-1941. Vers la fin de la guerre, les bombes volantes V-1 et les fusées V-2 tuèrent de nombreux Britanniques, sans représenter pour autant une menace existentielle. Le front intérieur allemand, en revanche, subit des bombardements de plus en plus sévères pendant cinq ans. Les dirigeants japonais, quant à eux, passèrent la guerre à préparer leur population à des attaques aériennes alliées, qui finirent par se produire avec le largage concentré de bombes incendiaires américaines dans les cinq derniers mois de la guerre. La Grande-Bretagne démocratique elle-même créa un vaste réseau hiérarchisé de défense civile, exerçant sur sa population des niveaux de contrainte sans précédent, qui n’avaient pas grand-chose à envier à ceux du Japon et de l’Allemagne. La menace de bombardements allemands à saturation ayant reflué après 1941, la Grande-Bretagne put se permettre de réduire le degré d’embrigadement des civils, tout en diminuant la demande de travailleurs pour la défense civile. Néanmoins, si la Grande-Bretagne avait été obligée de se battre pour sa survie, à l’image du Japon et de l’Allemagne, une convergence intégrale du front intérieur britannique avec ceux de l’Axe aurait été tout à fait imaginable, conformément à la logique transnationale de la guerre totale.
- 1. Sheldon Garon, « Ursprünge und Entwicklung der Strategischen Bombardierung », in Gorch Pieken, Mathias Rogg, et Ansgar Snethlage, éd., Schlachthof 5: Dresdens Zerstörung in literarischen Zeugnissen, Dresde, Militär Historisches Museum, 2015, p. 29-41.
- 2. Dans l’histoire japonaise, notamment, les études du « fascisme » ont proliféré récemment. Par ex. Reto Hofmann, The Fascist Effect: Japan and Italy, 1915-1952, Ithaca, Cornell University Press, 2015.
- 3. Voir Sheldon Garon, « The Home Front and Food Insecurity in Wartime Japan: A Transnational Perspective », in Hartmut Berghoff, Jan Logemann, et Felix Römer, éd., The Consumer on the Home Front: Second World War Civilian Consumption in Comparative Perspective, Oxford, Oxford University Press, 2017, p. 29-53.
- 4. Richard Overy, The Bombing War: Europe 1939-1945, Londres, Allen Lane, 2013, p. 20-23 [Sous les bombes : nouvelle histoire de la guerre aérienne 1939-1945, trad. S. Weiss, Paris, Flammarion, 2014, p. 47-51] ; Giulio Douhet, The Command of the Air, trad. Dino Ferrari,1942; reprint Washington, DC, Office of Air Force History, 1983, p. 5-10, 20-23, 150, 182, 188, 195-96.
- 5. Air Raid Precautions Committee, 10th meeting, 1er décembre 1924, 17th meeting, 30 mars 1925, and « Air Staff Notes on Enemy Air Attack on Defended Zones in Great Britain » , A.R.P./5, 28 mai 1924, Memoranda, Records of the Cabinet Office, Committee of Imperial Defense, CAB 46/1 and 46/3, The National Archives of the UK [ci-après TNA].
- 6. Gennifer Weisenfeld, « Gas Mask Parade: Japan’s Anxious Modernism », Modernism/modernity 21, n° 1 (janvier 2014), p. 179-199.
- 7. Reichsminister der Innern, « Abschnitt VII: Brandschutz », 19 octobre 1932, Luftschutz für die Zivilbevölkerung, vol. 5, Mars 1932- juin 1933, R32816, IIF Luft, Politische Archiv, ministère des affaires étrangères, Allemagne, Berlin [ci-après PA].
- 8. Reichsminister der Innern, « Abschnitt VII: Brandschutz », 19 octobre 1932, Luftschutz für die Zivilbevölkerung, vol. 5, Mars 1932- juin 1933, R32816, IIF Luft, Politische Archiv, ministère des affaires étrangères, Allemagne, Berlin [ci-après PA].
- 9. Ministry of Home Security, Air Raids: What You Must Know, What You Must Do, éd. rev., Londres, H.M. Stationery Office, 1941, p. 9.
- 10. Reichswehrministerium, « Referentenaufzeichnung des Reichswehrministeriums. Unterlagen über Reichsluftschutz für Reichskabinnettsitzung am 12.9.27 » ; prospectus du Deutsche Luftschutz Verband, adressé au ministère allemand des Affaires étrangères, 29 octobre1932, Luftschutz für die Zivilbevölkerung, vol. 1, avril 1927-octobre 1928, R32812, et vol. 5, mars 1932- juin 1933, R32816, IIF Luft, PA.
- 11. Juergen Paul Melzer, « Assisted Takeoff: Germany and the Ascent of Japan’s Aviation, 1910-1937 », Thèse, Princeton University, 2014, p. 48. Conformément aux usages asiatiques, les prénoms japonais sont indiqués après les patronymes dans cet article.
- 12. 6 septembre 1923, Ugaki Kazushige, Ugaki Kazushige nikki, vol. 3, Tokyo, Misuzu shobō, 1971, p. 445-446; J. Charles Schencking, The Great Kantō Earthquake and the Chimera of National Reconstruction in Japan, New York, Columbia University Press, 2013, p. 76-77; Senda Tetsuo, Bōkū enshūshi, Tokyo, Bōkū enshūshi hensanjo, 1935, p. 5, 31.
- 13. Reichswirtschaftsministerium Kanzlei au Ministerialrat Wagner, « Der Luftschutzgedanke in Deutschland und im Ausland », 29 avril 1929, Luftschutz für die Zivilbevölkerung, vol. 2, octobre 1928-juin 1929, R32813, IIF Luft; pour un « communiqué de presse » périodique du ministère de l’Aviation sur l’évolution de la défense antiaérienne dans une vingtaine de pays, voir Reichsluftfahrtministerium, Luftschutz-Pressebericht, no. 17/37 (10 octobre 1937), in Gas- und Luftschutzfragen in Ausland, 1936-1938, R101487; les visites d’installations allemandes par des étrangers sont relatées dans Gas- und Luftschutzfragen in Deutschland, vol. 1, 1937-1938, et vol. 2, 1938-1939, R 101483-84, Pol. I-Luft, PA.
- 14. « Interim Report of Air Raids Precautions (Organisation) Sub-Committee », novembre1930, CAB 46/6, TNA.
- 15. « Report on the Visits to Berlin and Paris of the Parliamentary Under-Secretary of State for Home Affairs and Major Fraser, M.C., January 18-27, 1938 », 10 mars 1938, HO 45/17627; « Training of Civil Population in Passive Air Raid Precautions in Germany », 8 avril 1937, WO 190/535, TNA.
- 16. « Report on the Visits to Berlin and Paris of the Parliamentary Under-Secretary of State for Home Affairs and Major Fraser, M.C., January 18-27, 1938 », 10 mars 1938, HO 45/17627; « Training of Civil Population in Passive Air Raid Precautions in Germany », 8 avril 1937, WO 190/535, TNA.
- 17. Gaimushō Ō-A-kyoku, Senjika no Eikoku jijō, Tokyo, Gaimushō Ō-A-kyoku, daisanka, 1941 ; Kokumin bōkū, 5, n° 6, juin 1943, p. 20-25; 6, n° 7, juillet 1944, p. 18-21, 37.
- 18. Detlev J.K. Peukert, Inside Nazi Germany: Conformity, Opposition, and Racism in Everyday Life, trad. Richard Deveson, New Haven, Yale University Press, 1982, p. 73 ; voir aussi Dietmar Süss, Death from the Skies: How the British and Germans Survived Bombing in World War II, trad. Lesley Sharpe et Jeremy Noakes, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 38-39.
- 19. « Bericht der Deutschen Luftshutz Liga », pièce jointe à une lettre, Deutsche Luftschutz Liga, Direktorium [Geisler], au Geheimrat Frohwein, Auswärtiges Amt, 21 octobre 1931, in Deutsche Luftschutz Liga, août 1931-octobre 1932, R32823, IIF Luft, PA.
- 20. Fujii Tadatoshi, Kokubō fujinkai, Tokyo, Iwanami shoten, 1985, p. 198-203.
- 21. Fujii Tadatoshi, Kokubō fujinkai, Tokyo, Iwanami shoten, 1985, p. 198-203.
- 22. « Air Raid Precautions in Germany and France », Committee of Imperial Defence for its 316th meeting of 31 March 1938, HO 45/17627, TNA.
- 23. « Air Raid Precautions in Germany and France », Committee of Imperial Defence for its 316th meeting of 31 March 1938, HO 45/17627, TNA.
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- 28. New York Times, 8 août 1942, p. 4.
- 29. New York Times, 8 août 1942, p. 4.
- 30. New York Times, 8 août 1942, p. 4.
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- 38. Nanba Sanjūshi, « Toshi shishu wa gimu da! » Kokumin bōkū 3, n° 10, novembre 1941, p. 25.
- 39. Karacas, « Tokyo from the Fire », p.101-102.
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- 43. United States Strategic Bombing Survey, Civilian Defense Division, Civilian Defense Division Final Report, Washington, DC: USSBS, 1947, p. 74.
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- 45. Nicole Kramer, Volksgenossinnen an der Heimatfront: Mobilisierung, Verhalten, Erinnerung, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2011, p. 11-12; Süss, Death from the Skies, p. 37-38, 324-325.
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- 51. Kawaguchi Tomoko, Tatemono sokai to toshi bōkū, Kyoto, Kyōto daigaku gakujutsu shuppankai, 2014, p. 111-117; Karacas, « Tokyo from the Fire », p. 71; Hiroshima Peace Media Center, « Hiroshima: 70 Years After the A-bombing: Mobilized Students 3 », http://www.hiroshimapeacemedia.jp/?bombing=hiroshima-70-years-after-the-a-bombing-mobilized-students-3&query=mobilized+students+sixth+phase, consulté le 11 novembre 2016.
- 52. Par ex. « Morale », interview du Lt. Col. TSUNEYOSHI, Yoshitomo, Kempei-Tai (police militaire), 19 décembre 1945, p. 1-2, USSBS Transcripts of Interrogations and Interrogation Reports of Japanese Industrial, Military, and Political Leaders, 1945-46, Entry 43, Records of the U.S. Strategic Bombing Survey, RG 243, National Archives and Records Administration, College Park, MD.
- 53. Nehemiah Jordan, U.S. Civil Defense before 1950: The Roots of Public Law 920, Washington, DC, Institute for Defense Analyses, Economic and Political Studies Division, 1966, p. 70-76; Michael Gannon, Operation Drumbeat: The Dramatic True Story of Germany’s First U-Boat Attacks along the American Coast in World War II, New York, Harper & Row, 1990, p. 185-186, 344-345, 366; cf. Matthew Dallek, Defenseless under the Night: The Roosevelt Years and the Origins of Homeland Security, New York, Oxford University Press, 2016.