Un groupe féminin d'autodéfense en Inde : Le « Gang du sari rose »
Le New York Gazettedu 18 décembre 1752 relatait l'apparition dans le New Jersey d'une « étrange secte d'individus ». Baptisés les « Réguliers », ils se déguisaient en femmes et se couvraient le visage de peinture avant de se rendre chez des hommes connus pour maltraiter leurs épouses. Ils déshabillaient les maris brutaux et les fouettaient en scandant : « Malheur aux hommes qui battent leurs femmes. » L'auteur de l'article poursuivait : « Il semble que plusieurs personnes de la municipalité (et pour certaines, dit-on, de façon parfaitement méritée) ont subi cette punition, pour la plus grande terreur de ceux qui sont d'une manière ou d'une autre conscients de mériter le même châtiment. » (Cutler, 1969)… L'année suivante, la New York Gazettepubliaitla lettre d'une certaine « Prudence Goodwife » dont le mari s'était ainsi attiré les foudres des « Réguliers » : « Ils ont appliqué la règle à mon cher mari et aux autres Méchants des alentours pour qu'ils craignent désormais d'agir avec pareille barbarie et je dois reconnaître avec plaisir que depuis que mon mari a senti le fouet, il a entièrement cessé de me fouetter et promet loyalement de ne plus jamais recommencer. » (Cutler, 1969, cité dans Law, 2010).
Banwari Devi (52 ans) : « Allez, déshabille-toi (chalkapdeutaar) », m'a crié mon violeur. C'était un homme de haute caste, je ne veux pas donner son nom, il m'a suivie dans le champ. C'était ma faute, je n'aurais pas dû me diriger seule vers les pâturages, d'autant plus que la moisson était déjà faite. Mais j'avais tellement envie de faire pipi.
AS: Vous ne pouviez pas vous cacher au milieu des cultures, c'est ça ?
BD: Les filles de la ville ne savent vraiment rien ! Quand on fait la récolte, les plants sont coupés à la faucille, ils ne sont pas déracinés, et les extrémités sèches des tiges fauchées sont comme un lit de clous répandus sur la terre ; essayer de courir là-dedans pieds nus ou même avec des galoches, c'est comme courir sur un champ de pointes en fer, j'aurais eu la plante des pieds lacérée et j'aurais fini par tomber par terre.
AS: Vous avez couru ?
BD: Oui… mais j'ai essayé de courir sur le sentier de terre, pas à travers champ. L'homme m'a rattrapée et m'a frappé la tête contre un arbre. J'ai failli m'évanouir. Alors il m'a prise. Quand il a eu fini, il m'a craché dessus. Je n'avais que dix-huit ans. Je suis allée voir la police, les hommes politiques locaux. Ils m'ont tous dit que je l'avais cherché, à aller dans les champs comme ça, toute seule. Mon mari n'a pas supporté la honte. J'ai beaucoup pleuré, j'avais mal au ventre et à la tête à force de pleurer. Je ne voulais plus retourner aux champs pour les travaux agricoles et pourtant, c'était notre seule source de subsistance. Mon mari a fini par me quitter en emmenant nos deux fils. Je me suis retrouvée sans rien, j'étais encore très jeune. J'ai 52 ans maintenant. Oui, je vais battre les hommes qui agressent les jeunes villageoises. Après toutes ces années, j'ai enfin la possibilité d'essayer d'obtenir justice pour des femmes comme moi. Vous voulez savoir pourquoi j'ai rejoint le Gulabi Gang ?
… pour qu'après moi, les femmes puissent se promener dans les champs à grands pas, sans crainte…
Entretien personnel avec Banwari Devi, membre du Gulabi Gang, lors d'une manifestation publique à Delhi, le 17 septembre 20091
Historiquement, la création de groupes d'autodéfense dans les quartiers a été une stratégie efficace à court terme contre les formes localisées de violences subies par les femmes (Sen et Pratten 2007, Oomen 2004). Pourtant, ces actes de représailles ont souvent constitué un dilemme moral pour les femmes universitaires et activistes de différentes régions du monde (Baccheta et Powers, 2002). De nombreuses publications consacrées aux femmes des ghettos américains qui combattent le crime en employant des méthodes illégales ont ainsi révélé que certaines femmes pauvres ont suivi des cours d'autodéfense et se sont organisées en bandes armées dans l'objectif premier de lyncher publiquement les hommes coupables de violences sexuelles (Rutter 2008, Cutler 1969). Ces recherches ont éclairé les raisons pour lesquelles il était impossible de se féliciter sans réserve de l'existence de ces groupes d'intervention féminins illégaux (en dépit de leurs succès limités) ; en effet, leur résistance aux cultures patriarcales n'était pas liée aux objectifs ou à l'esthétique d'une action féministe à long terme (Parashar 2010, Ayyildiz 1996). Par ailleurs, certains groupes féminins d'autodéfense, comme les commandos anti-immigration qui patrouillent dans les régions frontalières entre les États-Unis et le Mexique ou les militantes anti-avortement, n'hésitent pas à s'en prendre à des femmes, quelle que soit leur appartenance religieuse et ethnique (CNN Wire Staff 2011, Mason 2000). Malgré les maximes alambiquées des groupes féminins d'autodéfense, leurs détracteurs eux-mêmes admettent que les actes collectifs d'agression créent des liens sociaux inédits entre les femmes, qui permettent à de nouveaux groupes féminins d'accéder à une certaine mobilité physique et sociale (Blee 2008, Sen 2006).
En Inde, les groupes féminins actuels d'autodéfense qui luttent contre le système des dots, les mauvais traitements et autres actes d'oppression dont les femmes sont victimes se rattachent généralement à des idéologies de gauche (Shah 2010) ou à des associations d'extrême droite (Sarkar et Butalia 1995), ce qui rend leur positionnement social relativement précaire. S'il est facile pour les fonctionnaires, les universitaires et les travailleurs sociaux de critiquer les milices masculines même lorsque leurs actions profitent aux communautés démunies, les femmes armées qui se battent pour défendre les droits de leurs soeurs impuissantes sont à l'origine de profonds dilemmes dus à la longue histoire de silence imposé aux femmes dans cette région du monde. Et pourtant en 2004, quand Akku Yadav, un voyou qui avait violé plusieurs femmes dans un bidonville de Nagpur,2 a été castré, énucléé et tué par un groupe de femmes persécutées qui s'étaient rassemblées devant le tribunal, les comptes-rendus de presse de ce lynchage spontané ont suscité des réactions très positives de la part de l'opinion publique, d'autant plus que cette action n'entretenait aucun lien direct avec la politique des partis (Banerjee 2006). Le Gulabi Gang ou la Brigade du Sari Rose (ainsi baptisée à cause du sari rose fluo qui sert d'uniforme à ses membres) dans le nord de l'Inde fait partie des rares groupes d'autodéfense à n'avoir pas été créé dans un cadre politique mais en réaction aux besoins criants des villageoises illettrées sur le terrain. Basé dans l'une des régions les plus pauvres de l'Uttar Pradesh, le Gang rose est considéré comme le plus important groupe féminin d'autodéfense du monde, avec 20 000 recrues en Inde auquel s'ajoute un réseau récemment créé en France.
Cette étude de cas explore la philosophie quotidienne et la logique sociale des groupes féminins d'autodéfense à travers l'analyse des activités du Gulabi Gang. Elle montre comment des femmes marginalisées, qui ont recouru à la violence organisée pour essayer d'obtenir justice, se livrent à un périlleux numéro d'équilibrisme entre action légalement répréhensible et action socialement admise. Ma théorie est que les brigades de femmes qui opèrent à l'extérieur du système légal finissent par recourir au langage de la politique et du pacifisme pour acquérir une certaine pérennité en tant que mouvement social. En s'appuyant sur les témoignages oraux de membres du Gulabi Gang (recueillis par l'auteur pour certains, tirés de comptes-rendus de recherches et d'articles de presse pour d'autres), cette étude éclaire la manière dont les mouvements féminins d'autodéfense acquièrent un espace légitime lorsqu'ils sont observés et examinés dans le contexte de la « violence éthique » et des interprétations connexes de punition proportionnée en cas de crimes commis contre des femmes (White et Rastogi 2009). « Depuis que je suis membre du gang, nous avons seulement battu des gens, nous n'avons jamais assassiné personne », m'a déclaré Shanti, qui a rejoint le gang en 2007.3
« Être une Dalit, c'est une malédiction » : violence domestique, politique de caste et apparition de l'autodéfense féminine dans le district de Banda
Le siège officieux du Gang Rose se situe dans la ville agricole poussiéreuse de Badausa au coeur du Banda, une région misérable de l'Uttar Pradesh, l'un des États les plus peuplés de l'Inde. À en croire les rapports économiques sur cette région, le district de Banda a tout particulièrement souffert de plusieurs années de sécheresse qui ont brûlé des terres déjà arides, ne portant qu'une récolte par an. Classé parmi les districts les plus pauvres de l'Inde, il a été choisi pour faire partie des bénéficiaires du vaste programme d'aide à l'emploi lancé par le gouvernement national.4 Plus de 20% des 1,6 millions d'habitants des 600 villages du Banda se situent à l'échelon inférieur de la rigoureuse hiérarchie des castes.5 Ces groupes appartenant à la caste la plus basse sont appelés les Dalits (ou Intouchables) et la Constitution indienne interdit désormais toute forme de discrimination à leur encontre. Mais les mesures législatives n'ont guère eu d'effet sur les pratiques sociales et les membres des castes supérieures continent à réprimer les communautés dalits qui subsistent tant bien que mal à la périphérie d'une économie agricole en difficulté (Ciotti 2006). Les femmes des zones rurales subissent de plein fouet les conséquences de la pauvreté, de l'illettrisme et de la discrimination qui règnent dans la société fortement féodale du Banda. Au cours de ces dernières années, l'Uttar Pradesh a enregistré les taux les plus élevés de revendications et de morts liées à des affaires de dot, ainsi que de violences conjugales et sexuelles contre des villageoises (Srivastava 2003). Et il ne s'agit là que des chiffres officiels. La région est également connue pour continuer à pratiquer le mariage des enfants, l'infanticide des filles et la préférence pour les fils ; elle se signale aussi par son taux élevé de mortalité des jeunes femmes en couches (Arnold et al 1998). « Ce n'est pas seulement une malédiction d'être une Dalit, a déclaré Chanda Devi (46 ans), membre du gang, c'en est aussi une d'être femme. »6
http://www.linktv.org/programs/al-jazeera-english-gulabi-gang Aussi, quand les médias ont interrogé des habitants du Banda, la plupart des villageois ne se sont-ils pas montrés surpris qu'un groupe féminin d'autodéfense ait vu le jour dans ce paysage rural affecté par la pauvreté et par les préjugés patriarcaux.
Khan, qui écrit actuellement un livre sur la Brigade du Sari rose, décrit le siège du groupe comme un « bâtiment en béton en forme de boîte, qui appartient à [Sampat Pal->http://news.bbc.co.uk/2/hi/7068875.stm], commandante en chef autoproclamée du Gulabi Gang. »7
Sampat est une femme tout en nerfs, mariée à un vendeur de glaces, mère de cinq enfants, ancienne employée des services de santé du gouvernement, qui a joué un rôle de pionnière en créant le Gang. Elle s'est rebellée dès son plus jeune âge contre les inégalités de caste et de genre. Ses parents refusant de la laisser étudier, elle s'est mise à dessiner sur les murs, les sols et dans les rues poussiéreuses du village. Ses parents ont fini par céder et par l'envoyer à l'école, mais elle a dû interrompre sa scolarité à neuf ans parce qu'on l'a mariée, et elle a eu son premier enfant à treize ans. Pour compléter le maigre revenu de sa famille, Sampat a commencé à travailler comme employée des services de santé du gouvernement, ce qui lui a fait découvrir de près les problèmes socio-économiques des femmes de la campagne. Elle a quitté son emploi, exaspérée par le peu d'énergie que mettait le gouvernement national à améliorer les conditions de vie misérables des communautés villageoises réduites au silence.
Rentrant chez elle un soir de 2002, Sampat a entendu dire qu'une de ses amies s'était fait battre par son mari alcoolique et que la police locale, notoirement indifférente aux violences faites aux femmes, avait détourné les yeux. Quand elle s'est rendue seule au domicile de son amie pour la secourir et la réconforter, Sampat s'est fait insulter et chasser par le mari ivre. Elle est allée chercher plusieurs voisines qui l'ont accompagnée chez son amie et elles ont rossé le mari brutal devant tout le quartier. Cet événement a redoublé l'envie de Sampat de créer un groupe de combattantes. « Dans nos villages où la nourriture est rare et où la sécheresse règne depuis dix ans, explique-t-elle, ce sont les femmes les principales victimes. J'ai compris que dans ces conditions, un femme doit se battre pour survivre. »8
http://www.mid-day.com/news/2009/sep/180909-Gulabi-Gang-Pink-Sareers-Protest-Bundelkhand-corruption-Delhi-news-Sampat-Pal.htm
Dans un premier temps, le gang ne rassemblait que cinq femmes qui se connaissaient bien. Peu à peu, les modestes succès remportés par Sampat dans son combat contre les violences conjugales ont réussi à convaincre plusieurs dizaines d'autres voisines. Les membres du Gang se sont formées aux techniques de riposte aux agressions — barbouiller les maris brutaux de poudre de piment, par exemple. Mais l'entraînement le plus populaire a été celui du maniement des lathis, les grandes cannes de bambou dont sont équipés les patrouilles de policiers. « Je voulais travailler pour les gens, commente Sampat, pas pour moi toute seule. J'ai organisé des réunions, créé un réseau de femmes disposées à se battre pour une cause, et finalement, j'ai réussi à mettre sur pied un groupe de femmes. »9 En l'espace de cinq ans, le Gang s'est développé pour constituer un détachement de 20 000 femmes, dont dix commandantes de districts dirigeant des antennes à travers tout le Bundelkhand (une subdivision de l'Uttar Pradesh) — une région qui couvre presque 100 000 kilomètres carrés.
Les locaux du Gang Rose, parmi lesquels la maison de Sampat, servent de lieux de réunion où les femmes peuvent se retrouver pour discuter de leurs problèmes. Chez elle, Sampat offre à profusion thé et samossas à toutes celles qui se présentent à sa porte. Certaines de celles qui demandent de l'aide hésitent à rejoindre le Gang, mais ces simples sympathisantes jouent un rôle majeur en faisant circuler les informations dans leurs villages. D'autres parcourent de longues distances pour adhérer au Gang, car elles ont fait l'expérience personnelle des résultats positifs immédiats des actions violentes collectives. Certaines aussi, comme Tara (22 ans), se sont laissées entraîner par d'autres. « Il y a eu une vraie épidémie d'adhésions. Et j'ai suivi le troupeau. » 10 Malgré l'arrivée de ces renforts, Sampat continue à travailler sept jours sur sept, du matin au soir, conseillant les femmes, organisant des sit-in et présidant des rassemblements, avec pour tout équipement sa bicyclette rouillée et un vieux portable Nokia.
Agresser les maris, attaquer l'État : la vie de l'autre côté de la loi
Tous les jours, près d'une demi-douzaine de femmes en détresse se présentent dans les locaux du Gang pour demander de l'aide. La plupart ont appris son existence par le bouche à oreille, ou ont lu des articles sur ses victoires dans la presse en langue vernaculaire. Certaines femmes seules parcourent de longues distances dans des autobus bringuebalants, ou n'hésitent pas à faire du stop sur des routes peu sûres, parfaitement conscientes des risques qu'elles courent en voyageant sans accompagnateur dans les zones rurales. À leur arrivée, elles livrent de terribles récits de mauvais traitements, de discriminations et de violences sexuelles dont ni la police, ni les « décideurs » de leurs communautés n'ont accepté de s'occuper ouvertement. Selon plusieurs membres du Gang, quand une plainte est déposée, les Gulabis décident collectivement d'un plan d'action. « D'abord, raconte Chamania (40 ans), nous allons voir la police et nous lui demandons d'agir. Mais l'administration n'écoute jamais les pauvres, alors nous finissons par prendre les choses en mains. » 11 Dans le cas d'une femme battue, par exemple, si la police refuse d'intervenir, les membres du Gang s'adressent directement au mari et lui demandent de changer d'attitude. S'il ne se laisse pas fléchir, les membres du Gang invitent son épouse à les rejoindre pour lui administrer une bonne correction. « Le taux de succès de nos missions est de 100 %. Nous avons toujours réussi à faire justice quand il s'agit de problèmes domestiques », a déclaré Sampat.12 Deux ans seulement après avoir adopté un nom et un costume, les femmes en rose avaient déjà corrigé plusieurs centaines d'hommes coupables d'avoir abandonné ou maltraité leurs femmes.
Bien que la majorité des interventions du Gang concernent des violences conjugales, des exigences exorbitantes en matière de dot et/ou le comportement abusif des belles-familles, la Brigade règle également des querelles de terres ou des disputes de voisinage et aide les femmes pauvres à obtenir des aides sociales, par exemple pour inscrire leurs enfants à l'école ou obtenir des cartes d'alimentation. « Bien que je n'aie pas de fonction attribuée dans le gang, raconte Kamat Devi (48 ans), je finis par régler des disputes entre voisins, au village. Quand nous entendons parler d'un désaccord, nous nous réunissons avec Sampat Devi et essayons de trouver une solution à l'amiable. Ce n'est pas toujours facile, mais les gens respectent le Gulabi Gang parce que nous sommes toujours neutres. »13 Dans son exposé des services rendus par Sampat, Khan a évoqué une rencontre entre cette dernière et Soman, une femme menue qui était arrivée chez elle, traînant son mari et son fils derrière elle. Enlevé par une bande de truands locaux à la suite d'une querelle de propriété, le mari de Soman avait été récemment libéré après trois ans de captivité. Cette femme angoissée prétendait que la police avait touché de copieux pots-de-vin pour ne pas intervenir dans l'enquête. Durant l'absence de son mari, Soman n'avait pu compter que sur la protection de Sampat. Celle-ci avait fait une collecte de céréales et de légumes secs pour aider Soman à surmonter cette période difficile et avait organisé des manifestations pour faire pression sur la police et la convaincre de rechercher son mari.14
Le Gang essaie aussi de procurer aux villageoises sans emploi ou propriétaires de très petits lopins des cartes rouges (réservées aux Indiens qui vivent sous le seuil de pauvreté), donnant droit aux céréales subventionnées distribuées dans des centres publics locaux. Ces différentes actions donnent à penser que le Gang ne se contente pas d'assumer des missions difficiles, mais offre un soutien général à toute la population rurale, hommes et femmes, veillant à ce que leurs besoins fondamentaux soient satisfaits et cherchant à leur rendre un sentiment de sécurité dans leur vie quotidienne.
Ceci dit, le groupe d'autodéfense version Sampat ne diffère pas spectaculairement des expériences de femmes qui exercent une justice brutale dans les communautés marginales d'autres régions d'Inde. Les recherches que j'ai effectuées auprès de groupes d'autodéfense des bidonvilles de Bombay ont révélé que, si les gangs féminins locaux défendent les droits des femmes, leurs actions collectives relèvent, il faut bien l'avouer, d'une version « soft » du féminisme (Sen 2007). À l'image des groupes de femmes de Bombay, les membres du Gulabi Gang rossaient les maris mais n'exhortaient pas les femmes maltraitées à quitter le domicile conjugal. Khan raconte ainsi l'arrivée chez Sampat d'une mère accompagnée de sa fille en larmes, jetée à la porte par son mari qui réclamait 20 000 roupies à sa belle-famille. « Il m'a épousée par amour de l'argent », sanglotait Malti, la jeune épouse affligée. Sampat a rassemblé ses disciples pour se rendre à la maison de la jeune femme et exiger une explication du mari. « S'ils ne la reprennent pas et ne s'occupent pas bien d'elle, nous recourrons à d'autres mesures », a-t-elle dit, laissant entendre que le mari serait probablement remis au pas.15 Il semblerait donc que les membres du Gang s'abstiennent de toute prise de position radicalement libératrice et évitent de désunir les familles rurales ; elles préfèrent « redomestiquer » les villageoises en leur permettant de mener une vie conjugale plus satisfaisante et d'accomplir leurs devoirs familiaux en toute sécurité. Les adhérentes les plus engagées elles-mêmes n'ont pas abandonné leur foyer, mais ont négocié avec leurs familles pour pouvoir participer aux activités du Gang. Banhari Devi (21 ans) déclarait ainsi : « Cela ne faisait pas longtemps que j'étais mariée et ma famille trouvait que c'était une idée ridicule. Elle était farouchement hostile à l'idée que je mette le nez hors de la maison. Mon mari ne m'a pas du tout soutenue, mais j'étais sûre de moi, je voulais rallier le Gang et je l'ai fait. Il m'a fallu des mois de persévérance, mais mon mari a fini par accepter. »16 Les militantes instruites ont joué un rôle essentiel en forgeant des slogans sur le travail et l'éducation des femmes (nous y reviendrons plus loin), sans élaborer pour autant une rhétorique d'émancipation à l'égard des hommes et du mariage. Dans l'ensemble, les groupes féminins d'autodéfense ne finissent par obtenir que des libertés sociales partiellespour les femmes, tout en continuant à opérer au sein des contraintes et des constantes des structures patriarcales (Sen 2007).
Chose intéressante, dans le Banda, la notoriété du Gang a dépassé les limites de l'opposition entre sexes, car ses actes d'autodéfense violente ont remis directement en cause l'autorité des fonctionnaires de l'État et de la machine gouvernementale. En juin 2007, des gens sont venus se plaindre aux Gulabis qu'un magasin gouvernemental à prix réglementé ne vendait pas de céréales. Sampat et son gang ont discrètement surveillé le propriétaire du magasin. Le Gang a fini par intercepter deux chargements de céréales étiquetées « Au-dessous du seuil de pauvreté » au moment où ils étaient détournés pour être écoulés sur le marché libre. Munis de cette preuve, les membres du Gang ont fait pression sur l'administration locale pour qu'elle confisque les céréales et livre le boutiquier à la police. Quand les autorités locales ont refusé d'enregistrer la plainte, des membres du Gang en colère ont agressé les policiers.17
http://www.guardian.co.uk/lifeandstyle/2008/feb/15/women.india Cet incident a beaucoup fait pour augmenter la crédibilité du Gang dans la région. Plus tard au cours de la même année, ses membres ont donné l'assaut à un poste de police où un intouchable était en garde à vue depuis deux semaines sans le moindre chef d'accusation. En 2008, les membres du Gang ont fait irruption dans un bureau des services de l'électricité du district de Banda et ont obligé les fonctionnaires à rétablir l'électricité coupée pour racketter les villageois locaux.18
http://www.indianexpress.com/news/power-of-pink/11871/0 En janvier 2011, le Gang a aidé une jeune fille de 17 ans, victime d'un viol collectif perpétré par un groupe d'hommes, dont un membre du parlement local. Quand la victime, Sheelu Nishad, est allée porter plainte, elle a eu la désagréable surprise de se faire arrêter sur des accusations forgées de toutes pièces. En fait, ses agresseurs avaient déjà appelé la police pour l'accuser de vol. Le père de la jeune fille a demandé l'aide du Gang et les Gulabis sont allées manifester devant le poste de police, puis devant le domicile du député. L'intervention du Gang a permis l'arrestation des violeurs et Rahul Gandhi, héritier du trône politique de la famille Gandhi en Inde, a fait six cents kilomètres depuis New Delhi pour rencontrer la victime.19 Le Gang a ainsi fait trembler les hommes brutaux, tout en s'attirant la colère mais aussi le respect de l'administration locale.
Dans les interviews que j'ai menées, aussi bien que dans les comptes-rendus de presse consacrés à la Brigade des saris roses, mon attention a été attirée par la problématique de la terminologie de gang employée par les villageoises armées. La Fondation porte officiellement le nom d'Adivasi Mahila Utthan Gram Udyog Seva Sansthan (Organisation de service pour la promotion des femmes tribales et le développement villageois) et pourtant très peu de gens (a) connaissent le Gang sous une quelconque appellation officielle et (b) évoquent le « service » (seva) qui serait assuré par des femmes. Les membres du Gang, pour leur part, soulignent qu'elles ne respectent aucune hiérarchie, sont traitées en égales, poursuivent l'objectif commun de mettre fin à la corruption et ne peuvent être qualifiées d'« antisociales ». « Vous savez, a commenté Banwari Devi après m'avoir fait un récit émouvant de son voyage avec le Gang, nous ne formons pas un gang au sens habituel du terme. Nous sommes un gang qui se bat pour la justice. »20 Bhagwati Devi (45 ans) précise : « Le mot de «gang» ne désigne pas forcément des criminels. On peut aussi l'utiliser pour parler d'une équipe. »21 Mais une autre Gulabi que j'ai interrogée à la manifestation de Delhi m'a dit : « Nous sommes une équipe de femmes (elle a employé le mot anglais «team») en rose. Gang veut dire équipe. » Pour les Gulabis, il est essentiel que le grand public saisisse l'importance et la dynamique du travail collectif ; il faut accroître l'estime de soi des campagnardes, tout en luttant contre les ripostes brutales de maris furieux et de fonctionnaires corrompus. Les femmes du Gang se font régulièrement menacer, quelquefois même avec des armes à feu ; voilà pourquoi elles emploient le vocabulaire de l'autodéfense plutôt que celui de l'agression quand elles apprennent aux femmes le maniement des cannes de combat. Bien que les femmes aient attaqué un certain nombre de villageois et de fonctionnaires gouvernementaux hostiles aux pauvres de la région, le Gang se défend de se livrer à des actes de violence autrement qu'en dernier recours. Les femmes commencent toujours par essayer d'organiser des discussions pour essayer d'apaiser les choses, généralement suivies en cas d'échec de « rituels d'humiliation », c'est-à-dire de manifestations devant la maison des coupables. Selon Sampat, « Nous n'aimons pas employer la violence, mais dans certains cas, c'est la seule méthode que les gens comprennent. »22 L'emploi du terme de « Gang », les cannes qu'elles brandissent et leurs saris rose vif étaient destinés à leur donner plus de visibilité. « Dans les rassemblements et les manifestations à l'extérieur de nos villages, et surtout dans les villes très peuplées, explique Sampat, nos membres se perdaient au milieu de la foule. Nous avons décidé de nous habiller toutes de la même couleur, une couleur facile à identifier. Les autres couleurs ne convenaient pas, car elles étaient associées à des groupes politiques ou religieux. Nous nous sommes décidées pour le rose, couleur de la vie. »23 La plupart des Gulabis soulignent que la notion de « gang de femmes » provoque invariablement la perplexité des campagnards, pour qui le terme de « gang » évoque des groupes de bandits locaux. L'idée d'une politique identitaire violente des femmes a tout de même fini par s'imposer, et les boutiques de la région ont été incapables de faire face à la demande de saris roses, que certaines ne portent que par solidarité avec la Brigade. Les journaux en langue vernaculaire ont cessé de présenter les Gulabis comme un gang brutal et violent et emploient désormais d'autres formules pour les désigner — héroïnes populaires, groupe de citoyennes engagées, soeurs roses, patrouilles de défense civile, communauté féminine du Banda, entre autres. Ses membres ont ainsi pu se défaire de l'image de justicières brutales et illégales pour se rapprocher de celle de femmes rurales annonciatrices d'une transformation de la société.24
Des avenirs féministes ? Assimiler le langage de l'activisme et du développement
Sampat participe régulièrement au sommet annuel du Women's Forum de Deauville, en France. À chaque session, cette villageoise à demi instruite s'adresse (avec l'aide d'interprètes) à un public international et prononce un discours sur l'avenir des communautés ostracisées à travers le monde ; elle affirme haut et clair que la violence de masse pratiquée par des femmes pauvres est une nécessité sociale, et non une expression insolite de justice sommaire. Au fil du temps, elle a cherché à modifier l'image du Gang, considéré comme une bande de femmes violemment hostiles aux hommes, pour le présenter sous le jour plus positif de groupe précurseur d'une évolution sociale. « Nous n'employons plus beaucoup la violence, a-t-elle déclaré. Notre nom et notre présence suffisent maintenant. »25
Pour justifier et pérenniser l'existence du Gang, Sampat et ses disciples ont adopté un nouveau discours, celui de l'éducation, de la stabilité et de l'emploi (par opposition à celui de la guerre et de la résistance armée). Sampat a souvent affirmé dans les médias que le nombre de viols a diminué dans sa région, tandis que celui des filles scolarisées augmentait. Pour encourager l'éducation des enfants, le Gang s'est régulièrement rendu dans les familles pour expliquer aux parents l'intérêt d'instruire les filles. Certains villages n'avaient que des écoles primaires délabrées sans instituteurs. Grâce à l'initiative de Sampat, les écoles ont engagé du personnel et les enfants ont été encouragés à venir en classe. Au lieu de rosser les hommes, le Gang s'est mis à recourir au théâtre de rue, un moyen populaire permettant de toucher un plus vaste public. Les femmes ont aussi envisagé de créer des centres de désintoxication pour alcooliques. Les Gulabis ont entrepris de donner des conseils gratuits sur l'aide sociale accordée aux familles en général et parcourent la campagne pour informer de leurs droits les Dalits comme les non Dalits26: « J'ai rencontré Sampat Devi quand elle est venue dans notre village et a pris la parole à une assemblée publique, m'a raconté Parvati (24 ans). J'ai été surprise de voir une petite femme aussi déterminée. Tout le monde l'a écoutée en silence. J'ai su alors que je voulais faire partie de son Gang. »27 Dans les villages où règnent la faim et le chômage, le Gang a conçu des projets expérimentaux de création de centres de production textile, destinés tout particulièrement aux femmes. Selon Sampat, « Je travaille à la base et je veux créer une industrie à petite échelle pour les villageois pauvres. Nous avons des jeunes gens et des jeunes femmes de talent capables de fabriquer des engrais biologiques, des bougies, des remèdes ayurvédiques, des conserves au vinaigre. Ils pourraient gagner leur vie décemment. Si j'obtiens un financement, je serai en mesure de créer un centre de couture pour les femmes qui pourront ainsi faire vivre leurs familles. L'avenir du Gulabi Gang est radieux. »28
Disposant de peu de ressources, Sampat a fixé le tarif d'adhésion au groupe à trois euros environ, un prix qui comprend celui du sari rose que les membres arborent fièrement. Au cours des premières années, les Femmes Roses du Banda ont fui les partis politiques et les ONG parce que, pour reprendre les propos de leur chef de file pugnace, « ils s'attendent toujours à toucher des pots-de-vin quand ils proposent de nous financer. »29 Dans plusieurs autres interviews, les femmes au Sari Rose ont affirmé être hostiles aux donations ou aux subventions. « Nous ne voulons pas de mesures d'apaisement ni de discrimination positive, a expliqué une sympathisante. Donnez-nous du travail, versez-nous des salaires corrects et rendez-nous notre dignité. »30 L'ambition de Sampat de transformer un important groupe de femmes qui maniaient des cannes de combat en un mouvement social cohérent a cependant obligé le Gang à revenir sur son refus de tout financement extérieur. Dans un certain nombre d'interviews récentes, Sampat a ainsi affirmé : « Je veux que ce mouvement dure et j'aimerais bien obtenir le soutien d'organismes internationaux ou locaux. »31 Dans une interview qu'elle m'a accordée, une de ses disciples m'a confié : « Il nous faut un système de soutien. Je n'ai aucun moyen de transport ; je n'ai même pas de quoi me payer un ticket de bus, alors je finis par aller à pied. Si nous ne demandons pas d'aide aux organisations nationales, nous disparaîtrons. » Sur un certain nombre de sites internet créés par le Gang,32 ainsi que sur ses pages Facebook, le Gulabi Gang fait des demandes de dons à l'administration ou à des organisations humanitaires.
Jusqu'à une date récente et pour des raisons stratégiques, le Gang Rose avait également agi à l'extérieur du système politique, ce qui contrariait fort les politiciens locaux qui avaient monté leurs propres milices privées pour réduire les villageois pauvres au silence. « Faire de la politique n'est pas mon moyen de prédilection pour aider les gens. Nous allons poursuivre le bon travail que nous faisons, pour que l'État ne se croie pas tout permis », a déclaré Sampat.33 Les autorités de police locales sont allées jusqu'à traiter les membres de Gang de « maoïstes militantes » et les ont accusées à maintes reprises d'agression et de diffamation. Si Sampat a réchappé à plusieurs tentatives d'assassinat, un certain nombre de responsables des Gulabis ont été menacées de représailles par des dirigeants politiques et par la police, bien décidés à les dissuader de lutter contre la collusion entre policiers et politiciens, véritable fléau des régions rurales. Mais, dans une nouvelle tentative pour se défaire de l'étiquette grossière de groupe d'autodéfense, des membres du Gulabi ont fini par descendre dans l'arène politique. En 2006, Sampat s'est présentée aux élections de l'État comme candidate indépendante, et n'a réuni que 2 800 voix. Mais en 2010, la remarquable popularité du Gang Rose leur a permis d'acquérir une influence politique non négligeable et en octobre de cette année-là, un chiffre record de 21 membres du Gang Rose a remporté les élections au niveau des panchâyat. Les élues du Gang Rose sont chargées de superviser les travaux de construction et de réfection des routes locales, d'assurer l'hygiène publique et l'approvisionnement en eau potable, et de faire appliquer des programmes de développement agricole. « Avant, les chefs de village refusaient d'écouter nos problèmes, mais maintenant que le Gang Rose est au pouvoir, la vie va être plus facile », a déclaré Usha Patel, qui a passé de longues journées à mobiliser des soutiens pour la commandante de son district.34 Sampat espère que ces victoires marquent le début de l'avenir politique du Gang Rose — et qu'elles lui conféreront une plus grande autorité que les démonstrations de force collective. En 2009, quand les femmes du Gulabi se sont rendues à pied à Delhi, capitale de l'Inde, prétendûment pour réclamer la création d'un État indépendant au Bundelkhand, elles se sont contentées de manifester dans les rues. Sans qu'il ait eu besoin de se livrer au moindre débordement violent, le Gang et son témoignage de colère rose fluo ont su attirer l'attention médiatique recherchée. « Nous voulons un État séparé pour que notre population dispose de meilleures installations », a expliqué Sampat pour justifier le voyage du Gang à Delhi. Elle a proposé d'offrir des saris roses à la présidente indienne, Pratibha Patil, et à la présidente du Congrès, Sonia Gandhi, pour que ces femmes puissantes, qui ont si bien réussi bien dans la sphère de la politique officielle et constitutionnelle, puissent manifester elles aussi leur solidarité avec la Brigade. Pendant que les commandantes de district scandaient des slogans contre le crime et la corruption, Neetaa, une militante de base, avouait être venue à Delhi dans l'espoir de rencontrer la ministre des chemins de fer, Mamata Banerjee, et de porter plainte contre son mari, Sanjay, employé des chemins de fer. Neetaa avait été abandonnée avec ses deux enfants après quatorze ans de mariage et voulait obtenir de la ministre des sanctions contre son mari.35 Alors que Sampat cherchait à prêter une voix politique à ses troupes, les entretiens avec les femmes présentes à la manifestation révélaient que c'étaient les besoins réelsde femmes réelles(formulés dans le contexte d'une volonté d'engagement dans la politique parlementaire) qui avaient conduit certaines Gulabis à Delhi.
Malgré ses interventions violentes contre les maris brutaux et contre les fonctionnaires corrompus (des hommes généralement), le Gang s'est acquis la solidarité de la majorité des villageois. Il compte dans ses rangs quelques hommes comme Jai Prakash Shivhari, qui l'a rejoint pour aider à régler les problèmes de diminution des ressources en eau ainsi que de détournement de subventions et de financements de projets du gouvernement.36 Certains hommes de la communauté locale comparent Sampat à la légendaire reine combattante de Jhansi, Laxmibai. Un villageois, Babloo Mishra, est allé jusqu'à mettre ses locaux à la disposition du Gang pour lui servir de bureau. « Ce qu'il y a de vraiment bien, c'est que ces femmes défendent la cause de n'importe qui, pourvu qu'elle soit sérieuse, et pas seulement celle de ses membres », a-t-il expliqué.37 Le Gang a également obtenu le soutien d'hommes liés à des femmes secourues par les Gulabis. Quand le père de Sheelu Nishad, victime d'un viol, s'est rendu compte que sa fille avait été incarcérée sur de fausses accusations, il s'est affolé. « J'étais inquiet, je pleurais et quelqu'un m'a conseillé de m'adresser au Gang », a raconté ce frêle vieillard.38 Le soutien inconditionnel que celui-ci lui a accordé lui inspire une reconnaissance éternelle. Aarti Devi (22 ans) raconte, « Mon père est un homme instruit. Il est titulaire d'un double master de l'université, bien qu'il soit un Dalit. Il a toujours dû se battre pour défendre ses droits et la dignité des villageois locaux. Il y a environ six mois, un homme de la caste supérieure a violé une Dalit. La police a refusé d'enregistrer la plainte. Quand mon père a protesté, il a été mis en détention avec deux autres hommes. Je suis allée voir Sampat Devi pour lui demander de l'aide. Le jour même, j'ai rejoint le gang et conduites par Sampat Devi, nous avons donné l'assaut au poste de police, réclamant la libération de mon père et des autres villageois. La police a continué à refuser d'enregistrer la plainte contre le violeur. Nous avons fini par rosser un policier avec nos lathis et par le couvrir de bleus. Je ne peux pas supporter l'injustice sans réagir. Mon père est une grande source d'inspiration pour moi, il a été très fier quand il m'a vue en sari rose en train de manifester et de crier des slogans, coude à coude avec les autres membres du Gulabi Gang. »39 D'autres villageois qui ont bénéficié socialement et financièrement des activités du Gang soutiennent désormais ouvertement leurs épouses, soeurs et grands-mères Gulabis, tantôt en payant les tickets de bus des femmes obligées de parcourir de longues distances pour participer aux activités du Gang, tantôt en les accompagnant quand elles ont une affaire difficile à traiter.
Dans son étude approfondie des pratiques contemporaines d'autodéfense en Inde, Sundar (2010) affirme : « Une longue tradition d'écrits sur la résistance paysanne et ouvrière aborde les questions de moralité, de culpabilité des gens dans les cas de violence et de notions de justice dans des situations où la protection de la loi est inégalement accessible à différentes classes de citoyens. » Elle poursuit en expliquant que ces modestes formes de lutte soulignent l'atteinte portée par les hiérarchies de genre, de caste et de classe à l'exercice formel du droit. Cependant, si une communauté présumée rebelle prend les armes pour lutter contre les injustices locales, l'État, malgré toutes ses carences législatives, cherchera à réaffirmer sa position de seul dispensateur légitime d'un châtiment violent (Anderson 2006). Bien que les controverses sur la torture d'État dans les pays du Proche et du Moyen Orient ainsi que sur les techniques d'interrogatoire humiliantes pratiquées sur les bases américaines fassent puissent faire les gros titres des journaux, le rôle suprême de l'État dans l'administration de la justice punitive n'a pas encore fait l'objet d'une négociation politique mondiale. Même si dans le monde entier, des institutions liées à l'État sous-traitent ouvertement les tâches de protection à des services de sécurité, en définitive, ces derniers continuent à devoir rendre des comptes à la machine de l'État (Sen et Pratten 2007). Ces rapports de pouvoir placent les groupes féminins d'autodéfense dans une position singulière : non contents d'exister hors du champ de compétence de l'État, ils contribuent encore à affaiblir celui-ci en dénonçant ses dysfonctionnements et en mettant en lumière son impuissance à assurer une protection paternelle aux femmes vulnérables. Selon Sundar (2010), les différentes formes d'insurrections mineures ou de groupes d'autodéfense à la Robin des bois cherchent moins à réorganiser l'État qu'à l'obliger à tenir ses promesses. Ces activités de pure autodéfense n'en mettent pas moins le Gang dans une position vulnérable parce que (a) si l'État intervient, s'il assure aux pauvres approvisionnement et services et exerce ses responsabilités légales, les Gulabis risquent de devenir inutiles et d'être finalement dissoutes, tandis que (b) si les femmes défient la machine de l'État au point que la police locale interdit le Gang et réprime les femmes de basse caste, les Gulabis risquent d'être condamnées à se transformer en société secrète.40 D'où les pressions qui s'exercent sur les membres de ces groupes pour qu'elles donnent une image de militantes modérées et de femmes politiques « propres », seul moyen de rester visibleset indispensablesau sein des sociétés rurales.
La violence et ses limites : quelques commentaires en guise de conclusion
Attirer exclusivement l'attention des médias et des chercheurs sur les opérations sensationnelles du Gang tend à réduire l'importance des actes de résistance cachée, quotidienne, contre les discriminations sexuelles auxquels se livrent les femmes pauvres des sociétés rurales d'un bout à l'autre de l'Inde. Ceci dit, la popularité des Gulabis illustrée dans cette étude de cas suggère les limites de la tolérance des femmes, aussi soumises soient-elles, à la violence sexuelle et aux catégorisations sociales. Bien que la plupart des chercheurs et des activistes estiment que les systèmes patriarcaux ruraux répressifs « normalisent » la violence intime contre les femmes, l'étude de cas du Gang témoigne du pouvoir de collectifs féminins informels de changer les choses en se passant de toute intervention/direction de l'élite. Dans ses recherches sur les groupes d'autodéfense dans le Guatemala d'après le conflit, Giron (2005) affirme que l'essentiel des populations vivant dans des conditions de tyrannie brutale ne comprennent ni n'imaginent l'existence d'une structure qui permettrait d'obtenir justice sans recourir à la violence armée. C'est pourquoi, face à une administration d'État corrompue et au clientélisme politique, les communautés fragiles à la recherche d'une forme de contrôle social se tournent bien souvent vers les groupes d'autodéfense. Dans ce contexte, il importe de souligner que les groupes d'autodéfense ont probablement représenté la solution immédiatement disponible aux femmes du Banda qui survivent dans des sociétés rurales enclines à la violence mais que, grâce à leurs actions publiques, les femmes ont également découvert d'autres possibilités et d'autres espaces ouverts à l'activisme militant. Et malgré l'échec initial de leur tentative d'entrée en politique, elles ont réessayé et ont fini par occuper un certain nombre d'autres espaces démocratiques.
Cela me conduit à la question de la violence illégale et de ses limites. Selon un certain nombre de psychologues féministes (Meth 2004, Grindstaff 1998, Barnard 1993), l'autodéfense féminine dans les pays non occidentaux a pu être interprétée dans une optique d'opposition féministe tant que les membres de ces groupes n'ont pas franchi les limites de la violence éthique, extraconstitutionnelle. La légitimité de la violence collective à des fins politiques s'inscrit dans un modèle de justice punitive ([Gelles->http://www.amazon.co.uk/s/ref=ntt_athr_dp_sr_1?_encoding=UTF8&search-alias=books-uk&field-author=Richard J. %28James%29 Gelles] et [Loseke->http://www.amazon.co.uk/s/ref=ntt_athr_dp_sr_2?_encoding=UTF8&search-alias=books-uk&field-author=Donileen R. Loseke] 2005), un modèle qui met l'accent sur une punition « proportionnée », présentée comme une réaction moralement acceptable aux crimes contre les femmes (White et Rastogi 2009). Ce point de vue contraste avec les modèles de justice réparatrice qui insistent sur la coopération et sur les relations d'apaisement entre auteurs de crimes et victimes (White et Rastogi 2009). Bien que White and Rastogi (2009) laissent entendre que les actions violentes du Gulabi Gang peuvent être interprétées comme une fusion des deux modèles (dans la mesure où elles administrent une justice brutale tout en s'engageant dans le redéveloppement social), je tiens à faire remarquer que les patriarcats complexes ont limité la tolérance à l'autodétermination féminine. Même si les Gulabis n'ont jamais tué personne, il était essentiel que le Gang prenne partiellement ses distances avec la violence, recoure au langage laïque des droits de l'homme et accepte l'aide des hommes des zones rurales pour apporter une légitimité éthique à ses actions collectives. Je souhaite aussi rappeler qu'à travers l'histoire, l'image de femmes ordinaires, extérieures à l'armée, se livrant à des actes de violence et de persécution contre les hommes a toujours fait l'objet d'une forme de tabou. Dans son étude sur les témoignages de soldats blessés brutalisés par des infirmières pour des raisons de vengeance féministe au cours de la Première Guerre mondiale, Carden-Coyne (2008) suggère qu'après des manifestations initiales d'approbation à l'égard de ces femmes, leurs actes ont fait l'objet d'une amnésie générale. Les femmes qui se conduisent ainsi en bonnes « mauvaises citoyennes » occupent une position inconfortable dans l'imaginaire collectif (Sharma 2011). Sans soutien institutionnel ni accusations récentes de viol ou d'intimidation contre des membres du gang,41 il était aussi essentiel pour les femmes du Gang très connues désormais de conserver la sympathie des gens ordinaires. Aussi leur éventail d'actions (au-delà de l'autodéfense violente) souligne-t-il la vision collective à long terme des femmes rurales pour se positionner et se repositionner entre différents discours de justice, et pour rester vivantes dans la mémoire publique. « Nous ne voulons pas être oubliées », déclarait ainsi Banwari Devi.42
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Documentaires :
Pink Saris, documentaire, 2010, hindi, réalisation Kim Longinotto
Witness-Gulabi Gang, Al-Jazeera English, 4 mars 2010, réalisation Ian Pritchard
- 1. Tous les noms des interviewées ont été changés pour préserver leur anonymat.
- 2. Ville du centre de l'Inde
- 3. Interview personnelle, Delhi, 2009
- 4. Public Report on Basic Education (PROBE) with the Centre for Development Economics, 1998
- 5. Report on drought mitigation strategy for Bundelkhand region of Uttar Pradesh and Madhya Pradesh, Inter-Ministerial Central Team, 2008
- 6. Ian Pritchard dr, Al-Jazeera English, Witness-Gulabi Gang
- 7. Amana Fontanella-Khan, « Meet the Woman Behind India's Pink Vigilantes », The Daily Beast, Banda, 2011 http://www.thedailybeast.com/articles/2011/02/26/meet-the-woman-behind-indias-pink-vigilantes.html
- 8. Rajiv Tyagi, « Gulabi Gang comes to Delhi », Mid-Day,Delhi, 2009
- 9. Soutik Biswas, « India's 'Pink' Vigilante Women », BBC News, Banda, 2007 http://news.bbc.co.uk/1/hi/7068875.stm
- 10. Interview personnelle, Delhi, 2009
- 11. Interview personnelle, Delhi, 2009
- 12. Sanjit Das, « A Flux of Pink Indians: The Gulabi Gang Hate Men, and Rightfully So », Banda, 2008, http://www.vice.com/read/flux-pink-indians-v15n2
- 13. Sanjit Das, « A Flux of Pink Indians: The Gulabi Gang Hate Men, and Rightfully So », Banda, 2008, http://www.vice.com/read/flux-pink-indians-v15n2
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- 19. Amana Fontanella-Khan, « Meet the Woman Behind India's Pink Vigilantes », The Daily Beast, Banda, 2011
- 20. Interview personnelle, Delhi, 2009
- 21. Sanjit Das, « A Flux of Pink Indians : The Gulabi Gang Hate Men, and Rightfully So », Banda, 2008, http://www.vice.com/read/flux-pink-indians-v15n2
- 22. Amana Fontanella-Khan, « Meet the Woman Behind India's Pink Vigilantes », The Daily Beast, Banda, 2011
- 23. Sanjit Das, »A Flux of Pink Indians: The Gulabi Gang Hate Men, and Rightfully So », Banda, 2008, http://www.vice.com/read/flux-pink-indians-v15n2
- 24. Jan Goodwin, « Vigilantes in Pink », 2009, http://www.marieclaire.com/world-reports/news/gulabi-gang-poor-indian-women
- 25. Jan Goodwin, « Vigilantes in Pink », 2009, http://www.marieclaire.com/world-reports/news/gulabi-gang-poor-indian-women
- 26. « Pink Saris », documentaire, 2010, hindi, Dr Kim Longinotto
- 27. Interview personnelle, Delhi, 2009
- 28. Sanjit Das, « A Flux of Pink Indians: The Gulabi Gang Hate Men, and Rightfully So », 2008, http://www.vice.com/read/flux-pink-indians-v15n2
- 29. Soutik Biswas, « India's «Pink»Vigilante Women », BBC News, Banda, 2007, http://news.bbc.co.uk/1/hi/7068875.stm
- 30. Soutik Biswas, « India's «Pink» Vigilante Women », BBC News, Banda, 2007 http://news.bbc.co.uk/1/hi/7068875.stm
- 31. Sanjit Das, « A Flux of Pink Indians: The Gulabi Gang Hate Men, and Rightfully So. » 2008. http://www.vice.com/read/flux-pink-indians-v15n2
- 32. http://www.gulabigang.org/en/index.html;http://www.gulabigang.in/about.html
- 33. Soutik Biswas, «India's «Pink» Vigilante Women», BBC News, Banda, 2007, http://news.bbc.co.uk/1/hi/7068875.stm
- 34. Amana Fontanella-Khan, « Meet the Woman Behind India's Pink Vigilantes », The Daily Beast, Banda 2011
- 35. Interview personnelle, Delhi, 2009
- 36. SoutikBiswas, « India's «Pink» Vigilante Women », BBC News, Banda, 2007 http://news.bbc.co.uk/1/hi/7068875.stm
- 37. Sanjit Das, « A Flux of Pink Indians: The Gulabi Gang Hate Men, and Rightfully So » , 2008. http://www.vice.com/read/flux-pink-indians-v15n2
- 38. Amana Fontanella-Khan, « Meet the Woman Behind India's Pink Vigilantes », The Daily Beast, Banda 2011
- 39. Sanjit Das, « A Flux of Pink Indians: The Gulabi Gang Hate Men, and Rightfully So », 2008, http://www.vice.com/read/flux-pink-indians-v15n2
- 40. Voir http://www.guerrillagirls.com/ pour un exemple de groupe d'autodéfense féminin et masqué.
- 41. « Rape at woman vigilante's house », Express News Service, Indian Express, Banda, 2011 http://www.indianexpress.com/news/rape-at-woman-vigilantes-house/815794/
- 42. Interview personnelle, Delhi, 2009