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13.05.2022
Retour sur la Masterclasse Culture autour du roman S’adapter avec Clara Dupont-Monod et Manuel Carcassonne
Un article de Lucie Grandjean
Le 9 mars 2022, les étudiants de la spécialité Culture / Cultural Policy & Management de l'École d’affaires publiques de Sciences Po ont accueilli la romancière Clara Dupont-Monod et son éditeur Manuel Carcassonne, directeur de la maison d’édition Stock, pour discuter du dernier roman de l’autrice S’adapter ainsi que des enjeux et défis du monde de l’édition aujourd’hui.
S’adapter au processus de création d’un roman
Représenter la différence et donner une voix à ceux qui vivent en marge de la société, c’est la « grande obsession littéraire » de Clara Dupont-Monod autour de laquelle elle a construit toute son œuvre, et S’adapter ne déroge pas à ce principe. En effet, entremêlant subtilement fiction romancée et détails autobiographiques, le dernier roman de l’autrice dépeint la relation et l’adaptation des membres d’une famille à l’arrivée d’un enfant handicapé.
Malgré la difficulté du sujet et la forme complexe du roman à trois voix et aux personnages sans noms, la puissance des émotions que Clara Dupont-Monod partage, à la fois universelles et accessibles grâce à l’intimité du cadre, touche profondément les lecteurs et leur permet de s’approprier l’histoire. En effet, pour Clara Dupont-Monod, qui assure actuellement la promotion de son roman et prétend avec humour vivre dans un train corail et en connaître tous les horaires, une œuvre vraiment réussie entre dans des histoires personnelles de chacun et échappe complètement à l’écrivain : il est donc de son devoir d’écouter et d’échanger avec ses lecteurs.
L’écriture est pour la romancière un grand bonheur et un véritable jardin secret, mais elle nécessite aussi une lutte et un acharnement constant, en même temps qu’elle représente un risque car l’auteure se dévoile et s’expose au jugement parfois violent du public.
S’adapter au fonctionnement du secteur de l’édition
Si selon l’autrice, « écrire est un risque », publier en est également un qu’il faut être prêt à prendre. En effet, reprenant la célèbre citation de l’éditeur Jean-Claude Fasquelle « il faut savoir mourir sur un texte », Manuel Carcassonne soutient qu’un éditeur doit toujours assumer complètement ses choix et ainsi être en mesure de défendre les textes qu’il publie. Il est ainsi primordial de créer une relation de confiance solide entre l’éditeur et son auteur et développer une connaissance intime de son univers afin de pouvoir soutenir ses textes et petit à petit construire son succès. Pour Manuel Carcassonne, cela peut se révéler complexe avec certains auteurs, mais heureusement pour lui, Clara Dupont-Monod est « une crème » !
Cependant, nos deux intervenants ont rappelé plusieurs fois que le succès d’un roman est complètement imprévisible et aléatoire, et il est ainsi très difficile d’établir à l’avance une stratégie commerciale pour promouvoir un roman. Le plus important est donc d’entretenir de bonnes relations avec les personnes qui peuvent participer au succès du livre tels que les critiques et les libraires, et affiner la stratégie au fil de l’évolution de la réception du roman.
S’adapter aux nouveaux enjeux du monde éditorial
Pour Manuel Carcassonne, les nouvelles formes de consommation de la littérature représentent un enjeu émergent dans le secteur éditorial français mais le numérique ne constitue pour l’instant qu’une toute petite part du chiffre d’affaires global des maisons d’éditions qui ont volontairement freiné son développement en France pour protéger les librairies. Selon Clara Dupont-Monod, la littérature est « une affaire de corps » et l’objet livre et toutes les pratiques qui lui sont associées ne peuvent pas être remplacés numériquement. Cependant, Manuel Carcassonne n’hésite pas à rappeler l’essor spectaculaire de l’audiobook en France et dans le monde, et le voit comme une solution à la diminution de la vente de livres à condition d’en augmenter le nombre et la diversité.
Concernant le projet de fusion des groupes Hachette et Editis, dirigé par l’homme d’affaires controversé Vincent Bolloré, Manuel Carcassonne relativise mais appelle néanmoins à la vigilance sur la protection de la diversité éditoriale qui est pour lui essentielle non seulement à la culture mais aussi au débat public. Cela passe par le maintien d’un équilibre entre petites maisons d’édition et géants du secteur, mais également par la défense de la diversité d’opinions dans les textes publiés. Clara Dupont-Monod est en accord avec cette vision et continue à défendre son choix d’avoir publié Le Premier Sexe d’Éric Zemmour, qui permettait alors de vocaliser les « peurs outrancières » des hommes et ainsi de nourrir le débat féministe, tout en condamnant son auteur et ses positions.
Finalement, Manuel Carcassonne résume ces positions en décrivant l’édition comme « un miroir qui doit refléter son époque ».
>Pour conclure cet article, nous proposons de partager avec les lecteurs « Le Mot de la Fin » de la Masterclasse, qui a été proposé par Chloé Le Rille, à l’issue de cette discussion passionnante, sous la forme d’une très belle liste d’infinitifs :
Accepter le risque d’un nouveau livre
Accepter que les adaptations sont infidèles
Accepter le mystère du succès et le mystère de l’échec
Assumer de défendre l’œuvre mais qu’elle n’est plus à nous
Assumer le service après vente de l’émotion, y compris pour les auteurs que l’on défend
Assumer d’éditer sans forcément assumer les positions de celui qu’on édite
Attendre le moment de la maturité
Attendre l’envoi du manuscrit
Attendre dans les trains Corail
Partager une complicité et une confiance entre managers et artistes
Partager la jubilation autour de l’œuvre et autour du travail
Partager une connaissance intime de l’univers de l’auteur et de l’univers de l’artiste que l’on défend.