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18.03.2022
Retour sur la Masterclasse de Steve McCurry
>Article d'Emma Duquet, étudiante de la spécialité Culture à l'École d'affaires publiques
À l’occasion de l’exposition « Le monde de Steve McCurry » au Musée Maillol, l ’artiste lui-même et la commissaire d’exposition Biba Giacchetti, partenaires et amis depuis plus de vingt-cinq ans, ont rencontré les étudiants de l’École d’Affaires Publiques de Sciences Po le 9 décembre 2021.
C’est la quatrième fois que le musée Maillol ouvre ses portes à la photographie. Après Frank Horvat en 1999, Bert Stern en 2006 et Weegee en 2007, c’est au tour de Steve McCurry de voir une sélection de cent-cinquante de ses clichés orner les murs de l’institution, au plus grand bonheur d’Olivier Lorquin, Président de la Fondation Dina Vierny – Musée Maillol, qui a ouvert l’événement et qui voit en lui « un très grand photographe et un peintre qui, à travers l’objectif de son appareil, exprime une sensibilité hors du commun ».
L’exposition, que les étudiants des spécialités Culture et Cultural Policy & Management ont eu la chance de voir pour son inauguration, est l’occasion de proposer un panorama des quelque cinquante ans de carrière du désormais célèbre photographe de guerre. Celle-ci a réellement débuté en 1980 lorsqu’il franchit la frontière avec le Pakistan et accompagne des réfugiés afghans au cœur de leurs villages bombardés alors que la guerre fait trembler le pays. Ses images sont alors publiées dans la presse du monde entier ; Steve McCurry rejoint l’agence Magnum à partir de 1992 et reçoit le Prix de l’excellence de la part de The National Press Photographer Association. Ses multiples photo reportages en Inde et, plus largement, en Asie du Sud-Ouest, aboutissent en 2000 à la publication de son ouvrage South-Southeast. La décennie suivante est marquée par son travail sur les attentats des tours jumelles à New York, premier conflit documenté dans son propre pays, et par son projet The last roll of Kodachrome présentant 36 photographies iconiques capturées sur la dernière pellicule du modèle. Depuis lors, Steve McCurry n’a cessé de voyager dans de nouvelles contrées, explorant l’Éthiopie, Cuba, ou encore l’Antarctique, parmi d’autres destinations. Il explore parallèlement d’autres manières d’exposer et de présenter ses images, via le monde du numérique et du virtuel notamment.
Si les images du photographe ont fait le tour des journaux à travers le monde, à l’instar du portrait de la jeune afghane aux yeux perçants, c’est également pour leur portée esthétique. Steve McCurry a notamment évoqué l’importance de la couleur dans ses photographies, celle de la post-production et du travail de retouche, et de leur capacité à toucher le spectateur : « chaque photographie a son histoire propre, et nous y ajoutons la nôtre » (Steve Mc Curry). « Parfois, ce qui est intéressant en regardant une photographie est que notre imagination peut s’évader dans plusieurs directions. Tout ne doit pas être expliqué » (Steve McCurry) : le photographe souligne l’importance de laisser leur part de mystère aux clichés, tandis que Biba Giacchetti insiste sur celle de l’art de les exposer afin d’orchestrer “une symphonie” curatoriale.
Steve McCurry a été confronté à l’horreur de la guerre ; ses images en témoignent. Si Susan Sontag suggère dans Regarding the pain of others que “la photographie esthétise et annihile la réponse morale à ce qui est montré »*, le photographe apporte un tout autre point de vue sur la question. Il évoque la mission confiée aux reporters de guerre de lutter contre l’aveuglement et l’ineptie de l’opinion publique : « Devons-nous être informés de ce qui se passe dans le monde ? Ou devrions nous attendre que nos gouvernements nous le disent ? Je pense que cette deuxième option est une très mauvaise idée. […] Quelqu’un doit bien nous donner son avis. Nous avons besoin de quelqu’un qui aille là-bas et trouve la vérité » (Steve McCurry). Toutefois, la violence de certaines images considérées comme choquantes requiert une attention toute particulière de la part de la curatrice et de l’artiste qui préfèrent ne les montrer que lors de rares occasions, de peur de rompre le dialogue avec le spectateur : « Nous devons faire attention à ne pas heurter la sensibilité des gens. Certains photographes le font. Steve McCurry a ce genre d’images horrifiantes, mais il est trop douloureux de les regarder » (Biba Giacchetti). Biba Giacchetti porte d’ailleurs une attention toute particulière à rendre le travail de Steve McCurry accessible, tentant d’endosser au mieux le rôle du spectateur lorsqu’elle construit ses expositions.
« Dans le monde de Steve McCurry » se tient au Musée Maillol jusqu’au 29 mai : une exposition qui, nous l’espérons, marquera les esprits par la force d’images à garder en mémoire : « Une bonne photographie a une mémoire. Nous pouvons nous souvenir d’une photographie. Elle reste en nous. Les mauvaises photographies tombent dans l’oubli » (Steve McCurry).
* Sontag Susan, Regarding the pain of others, Farrar, Straus et Giroux, New York, 2003. Sauf mention contraire, nous traduisons : [la photographie] “beautifies” and “bleaches out a moral response to what is shown”.
EN SAVOIR PLUS
- La spécialité Culture de l'École d'affaires publiques ("French track")
- La spécialité Cultural Policy and Management de l'École d'affaires publiques ("English track")
Vidéo © Thomas Arrivé / Sciences Po - Photos © SM / EAP