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Décarboner le système de santé

Intervention chirurgicale © Shutterstock / Komsan Loonprom

Comment les politiques publiques peuvent-elles orienter la transition écologique du système de santé ?

À l’instar de la quasi-totalité des activités humaines, les systèmes de santé contribuent à la production de gaz à effet de serre. Si quantifier l’impact carbone de leurs émissions s’avère complexe, de premières estimations aboutissent à des chiffres significatifs. Dans le cadre de sa stratégie « Delivering a Net Zero National Health Service  », adoptée dès 2020, le Royaume-Uni estime que son système de santé est responsable d’environ 4 % des émissions de CO2 du pays. En France, la dernière estimation réalisée par le Shift project (2023), établit à environ 8 % la contribution du secteur de santé à l’empreinte carbone nationale. Mais engager sa décarbonation pose une série de questions fondamentales :

  • Quelles sont les émissions de GES produites par le système de santé et par quels acteurs ?
  • Comment les mesurer ?
  • Que faut-il prioritairement mettre en œuvre et comment ?
  • Comment les politiques publiques peuvent-elles accompagner ce processus ?

C’est pour répondre à ces questions que le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) a lancé le projet de recherche « Décarboner le système de santé : quels enjeux pour les politiques publiques ? », au croisement de ses axes « Politiques environnementales » et « Politiques de santé », en partenariat avec l’École des hautes études en santé publique (EHESP), la Faculté de Santé d’Université Paris Cité, et avec le soutien de la Chaire santé de Sciences Po.

La première étape de ce projet a consisté à réunir une vingtaine de praticiens et de chercheurs, pour faire le point sur les travaux et initiatives existants et les questions qu’ils soulèvent. Présentation.

Quelles émissions et comment les compter ?

Toutes les composantes d’un système de santé émettent du CO2 : production et transports des médicaments, consommation d’énergie, transport des employés, des patients, usagers, etc. Tous les travaux se rejoignent sur le fait que définir des plans d’action exige tout d’abord d’identifier la source de chaque composante émettrice de GES et d’en dresser un inventaire le plus précis possible.
Plusieurs estimations concernant le système de santé français aboutissent au constat que plus de 80 % de ses émissions sont dites indirectes, c’est-à-dire qu’elles proviennent d’acteurs et d’activités qui ne sont pas produites sur les lieux du soin. C’est notamment le cas de la production et du transport des médicaments, des dispositifs médicaux, de leur transport, etc. Cela signifie, par exemple, que le bilan carbone d’un établissement de santé reposant sur sa seule activité en établissement — consommation d’énergie, flotte interne de véhicules, gaz anesthésiants, etc. — ne reflète qu’une petite partie de sa véritable empreinte carbone.

Répartition des émissions de gaz à effet de serre du secteur de la santé (MtCO2e) – Calculs The Shift Project 2023

Deuxième constat : les méthodes de bilan carbone intègrent tous les gaz à effet de serre (méthane [CH4] et le protoxyde d’azote [N20], etc.) convertis en CO2eq. D’autres indicateurs peuvent s’ajouter comme les quantités ou la toxicité des déchets ou de l’eau dans une vision plus ACV (analyse de cycle de vie).
Troisième constat : les pollutions autres que les émissions de gaz à effet de serre telles que les pollutions de l’eau et de l’air engendrées par les déchets, la consommation de plastique ou de produits chimiques ne sont pas prises en compte dans un bilan carbone classique.
Enfin, les méthodes de mesure de ces différents impacts environnementaux évoluent, selon la définition du périmètre par exemple, ce qui rend parfois difficile le suivi des progrès effectués, car les valeurs carbone de références peuvent avoir changé ou les périmètres étudiés peuvent sembler incomparables.
L’harmonisation des méthodes de mesures constitue donc un premier enjeu à prendre en compte par les politiques publiques. Il s’agirait par exemple de standardiser certaines approches ayant fait leurs preuves, de mettre en place des systèmes de conversion ou une base de données harmonisée.

Quelles échelles et quels acteurs ?

Se pose ensuite la question du poids des différents acteurs du système de santé et de leurs responsabilités. Que se passe-t-il à une échelle « micro » (médecins de villes, établissements de soins, pharmacie), « macro » (acteurs de dimensions nationales, comme les branches de la Sécurité sociale) ainsi qu’aux niveaux intermédiaires (méso), villes ou régions ? Ce niveau de connaissance est un préalable nécessaire à la mise en place d’actions de décarbonation, par tel ou tel acteur à différentes échelles.

Au niveau des établissements de santé, deux leviers sont souvent pointés du doigt, comme l’usage des gaz anesthésiants. Si un hôpital peut difficilement se passer d’anesthésie, il peut envisager d’en réduire la consommation au travers de protocoles de soin adaptés. D’autres voies s’offrent aux hôpitaux pour réduire leur empreinte carbone, comme végétaliser l’alimentation dans les repas servis sur place lorsque cela est possible, améliorer le tri des déchets, proposer des modalités de déplacements décarbonés pour les salariés, les patients et leurs familles, etc.

D’une façon générale, au niveau des acteurs de terrain, il semble prioritaire de sensibiliser et former le personnel tant soignant, qu’administratif, et ce pour faire tomber les résistances au changement, partager les retours d’expériences entre établissements.

Une étude de l’Académie suisse des Sciences médicales(1)Pour des services de santé suisses durables dans les limites planétaires : feuille de route de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) met en évidence que le principal enjeu se situe à l’échelle méso du système de santé national et d’adaptation des soins, davantage qu’aux niveaux micro, où l’on voit fleurir les initiatives, et macro, où de nombreux concepts et prises de position ont été développés. Si cette conclusion s’applique tout particulièrement à la Suisse, elle peut s’appliquer ailleurs, en fonction du degré de centralisation/décentralisation des systèmes de santé.

L’importance de l’échelle territoriale

Image générée par IA © Shutterstock

La mobilisation des systèmes de santé au niveau territorial s’avère pertinente pour repenser des schémas sensibles (comme celui des mobilités) et s’appuie aussi sur des acteurs volontaires, ainsi que l’ont démontré certaines collectivités telles que le Grand Manchester, pour prendre le cas du Royaume-Uni, le Grand Paris, ou à un moindre échelle la Ville de Paris, pour ne citer que les cas abordés pendant cette première journée.
C’est notamment à ce niveau que l’on peut prendre conscience des difficultés de coordination, voire de cohérence, et de la nécessité d’agencer les complémentarités. Par exemple, certaines politiques de la Ville de Paris peuvent apparaître contradictoires, avec d’un côté celles qui visent à répondre aux risques caniculaires en renforçant l’offre de soins et soutenant l’installation des professionnels de santé et de l’autre côté, la nécessité de conduire une politique de prévention, visant à contenir la demande de soins. De manière générale, au niveau territorial, il semble nécessaire de rapprocher les politiques du climat et de la santé, notamment en matière d’amélioration de la qualité de l’air et de mobilité.

Nouvelles recherches en cours

Plus complexe à résoudre semble être la voie à suivre pour aller vers une offre de santé ajustée, à savoir repenser l’offre de soins en réduisant la demande, dans un contexte de vieillissement de la population. De la même manière, les marges de manœuvre semblent étroites pour renforcer la capacité de pilotage des transformations à venir et mettre en place une approche intégrée à l’échelle du système de santé. Les recherches des membres de l’équipe se poursuivent dans différentes directions, que ce soit la déprescription, pour limiter ou cesser l’usage de médicaments qui ne représentent plus un bénéfice ou qui pourraient s’avérer préjudiciables ; ou la réduction de la demande de transport dans les systèmes de santé locaux comme levier de décarbonation.

Auteurs : Matthias Brunn (LIEPP, axe Politiques de santé), Anneliese Depoux (Université Paris Cité, LIEPP), Charlotte Halpern (Sciences Po, CEE et LIEPP, axe Politiques environnementales), Laurie Marrauld (EHESP)

Les auteurs remercient Hélène Naudet, ​​responsable de la communication de la recherche, direction de la communication de Sciences Po, et Ariane Lacaze, chargée de communication au LIEPP, pour le soutien apporté lors de la rédaction de ce texte.