Créer de nouvelles agences, fusionner des services, mettre en place des guichets uniques : pourquoi, en France comme à l’étranger, les gouvernants ne cessent-ils de modifier les périmètres et les juridictions des bureaucraties bouleversant ainsi la division du travail étatique ? C’est à ces questions que cherche à répondre le numéro de la Revue française de science politique “Politiques de l’organisation. Les nouvelles divisions du travail étatique”*, dirigé Philippe Bezes et Patrick Le Lidec, tous deux chercheurs au Centre d’études européennes de Sciences Po
Les réorganisations comme technologie de gouvernement
L’introduction met l’accent sur l’importance des « politiques de l’organisation », au cœur des transformations contemporaines des formes des États. Depuis les années 1980, en effet, les gouvernements ont multiplié les initiatives visant à « manipuler la machine » et à ainsi construire et reconstruire les structures des administrations publiques à la manière d’un jeu indéfiniment reconduit de Lego© bureaucratique. Deux formes organisationnelles, souvent opposées de manière schématique, caractérisent ces interventions : la création d’« agences » promouvant la spécialisation, d’un côté ; de l’autre, les fusions, manifestant la lutte contre l’excessive fragmentation organisationnelle et militant en faveur d’organisations intégrées. Agir sur la division du travail administratif constitue désormais une technique rationalisée de gouvernement, un instrument à part entière de l’exercice du pouvoir.
Les formes variées du politique dans les réorganisations
L’argument central est de montrer que cette « approche organisationnelle » de l’État ne se traduit pas par la mise de côté du politique ou l’oubli des phénomènes de domination. Elle permet au contraire d’explorer l’importance et la variété des stratégies et jeux politiques qui sont au cœur des réformes.
Après une revue des multiples travaux internationaux sur les agences et les fusions, et une lecture critique des théories sur lesquelles ils s’appuient , l’introduction met en évidence quatre dimensions entremêlées du politique dans les réorganisations :
La fabrique des nouvelles organisations publiques : agences et fusions
Quatre contributions empiriques qui sont autant d’enquêtes sur les processus de (re)construction d’organisations administratives permettent de comprendre ces processus :
Un zoom sur la réforme de l’administration territoriale de l’État
Dans cette contribution, Politiques de la fusion. Les nouvelles frontières de l’État territorial, ils livrent une étude empirique des mécanismes de changement par la fusion de l’administration territoriale de l’Etat en France. Cette réforme, appelée RéATE, s’est faite, de 2007 à 2009, par fusion des services déconcentrés des ministères et par une évolution significative du système préfectoral.
En étudiant minutieusement les séquences de la réforme dans une perspective de process-tracing, l’article met en évidence l’influence de plusieurs mécanismes explicatifs que nos chercheurs proposent de pondérer : le poids de l’exécutif politique (ici, Nicolas Sarkozy) sur les choix de structure ; la diffusion de standards organisationnels légitimes (en l’occurrence la « fusion ») ; le rôle d’entrepreneurs institutionnels dans les réorganisations (ici certains hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur); et enfin le poids des luttes bureaucratiques dans le redécoupage des frontières des administrations publiques.
Illustrées ici par des enquêtes empiriques dans le contexte français, les problématiques et théorisations concurrentes sont l’enjeu de vifs débats dans la littérature internationale et sont mobilisées pour étudier les nombreuses réformes homologues à l’étranger.
* Ce numéro est une publication issue du projet collectif “Les mutations organisationnelles de l’administration française. Hiérarchies, division du travail et coordination” financé par l’Agence nationale de la recherche dans le cadre du programme Gouverner et administrer et piloté par P. Bezes et P. Le Lidec