Alors que la facture énergétique pèse de plus en plus lourd dans le budget des foyers les plus modestes, mettre en place des moyens de l’alléger s’impose comme un enjeu social majeur. Cherchant à apporter des réponses efficaces, la Fédération des entreprises sociales pour l’habitat a confié à trois chercheurs – François Bafoil, Lise Desvallée et Rachel Guyet * – le soin d’étudier la question dans différents territoires européens et les solutions qui y sont mises en place. Entretien avec Rachel Guyet.
Dans le cadre de ce projet, nous avons étudié la situation en France, Allemagne, Espagne, Angleterre et en Écosse. Seules la France, l’Angleterre et l’Écosse disposent d’une définition légale de la précarité énergétique. Si celle-ci varie, elle renvoie toutefois à un phénomène identique, à savoir l’incapacité pour certains ménages de disposer de services énergétiques adéquats dans leur logement. Plusieurs indicateurs peuvent être mobilisés pour mesurer ce phénomène. La Grande-Bretagne a été pionnière en la matière : tout ménage qui doit dépenser plus de 10% de son revenu disponible pour atteindre un niveau de confort thermique est considéré comme vivant en précarité énergétique. La France utilise ce taux d’effort énergétique de 10% mais dans l’Hexagone, celui-ci renvoie à l’ensemble des services énergétiques. En 2012, un nouvel indicateur a été introduit en Angleterre, celui du bas revenus/coûts élevés (LIHC – Low income high costs). La France dispose d’un indicateur identique BRDE (pour Bas revenus dépenses élevées). Autre mesure possible en France, celle du froid ressenti, fondée sur les déclarations des ménages. Enfin en Écosse existe un taux d’effort énergétique à 20% qui rend compte d’une précarité énergétique « extrême ».
Si les personnes vivant en logement social peuvent être en risque de précarité énergétique, elles disposent également de plusieurs instruments pour faire face à cette menace. En effet, traditionnellement, la précarité énergétique se caractérise par trois facteurs : des revenus faibles, des prix de l’énergie élevés, des logements de mauvaise qualité. S’y ajoutent d’autres dimensions telles que les besoins individuels, les types de chauffage, les modes de paiement (notamment en Grande-Bretagne), etc. Si les personnes résidant dans des logements sociaux bénéficient généralement de meilleures conditions de logement que ceux vivant dans des logements privés, il n’en demeure pas moins que leurs parcours de vie peuvent les rendre plus vulnérables.. Les contraintes spécifiques liées à l’énergie qu’ils connaissent ainsi que la façon dont celles-ci sont traitées par les bailleurs permettent d’appréhender un aspect précis – et sensible – de la précarité énergétique. La Fédération des entreprises sociales de l’habitat (ESH) qui nous a commandé l’étude a souhaité mieux connaître cette dimension. Elle était aussi désireuse d’en avoir une vision assez large via une approche comparative et à l’échelle européenne
Ceux-ci peuvent être confrontés à un contexte économique qui contraint l’acquittement de leurs charges financières liées aux loyers et aux fluides, soit les consommations d’énergie (gaz, électricité) et d’eau. Ils sont ainsi souvent contraints de privilégier certaines dépenses, ce qui explique souvent des niveaux de sous-consommation énergétique qui peuvent provoquer des problèmes de santé physique et mentale. Ils peuvent aussi avoir des conséquences sur la vie quotidienne de la famille, notamment sur celle des enfants. Pareille situation renvoie au dilemme Heat or Eat (chauffer ou manger).
Malgré les contraintes politiques, économiques, environnementales et administratives qui pèsent sur eux, les bailleurs sociaux sont devenus des acteurs clés de la lutte contre la précarité énergétique. Constructeurs, propriétaires et gestionnaires de logements, ils s’engagent de plus en plus dans une mission d’accompagnement des locataires, notamment sur le plan énergétique.
En tant que propriétaires, les bailleurs peuvent intervenir pour améliorer l’enveloppe thermique des bâtiments et la qualité des systèmes de chauffage dès lors que le chauffage est collectif. Par cette intervention technique, ils cherchent à réduire les consommations énergétiques et, partant, les charges des locataires. Afin d’améliorer les capacités de paiement de ces derniers, les organisations de logements sociaux sont amenées à mettre en place un accompagnement social, internalisé ou externalisé, qui peut aller jusqu’à organiser l’aide au retour à l’emploi comme en Angleterre et en Écosse.
Ce faisant les bailleurs agissent sur deux des principaux facteurs de la précarité énergétique : le revenu et le logement. En général le troisième facteur, celui du prix de l’énergie, leur échappe. Pour autant, en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne, les bailleurs cherchent à se regrouper pour négocier collectivement les prix de l’énergie du moins pour ce qui concerne l’alimentation en énergie des parties communes. Enfin, deux initiatives majeures conduites en Écosse méritent d’être soulignées. La première tient à la mise en place de contrats entre bailleurs sociaux et installateurs de panneaux solaires qui permettent aux résidents de profiter d’une électricité moins chère. La seconde est la création par un groupe de bailleurs et d’autorités locales d’une entreprise sociale de l’énergie à but non lucratif, Our Power.
Nous avons pu mettre à jour d’importantes différences, parmi lesquelles :
Propos recueillis par Corinne Deloy, CERI
* Directeur de recherche CNRS au Centre de recherches internationales de Sciences Po, François Bafoil réalise des études comparatives sur l’Europe centrale et orientale et l’Asie du Sud-Est. Il s’intéresse notamment aux politiques de l'énergie ainsi qu’aux questions touchant à l’intégration régionale et aux coopérations transfrontalières. * Doctorante au Laboratoire Techniques, territoires et sociétés (LATTS), Lise Desvallée écrit une thèse sur les situations de vulnérabilités énergétiques urbaines au Portugal et en Espagne. * Rachel Guyet est docteur en sciences politiques et chargée de projet au Centre de recherches internationales de Sciences Po. Elle travaille sur les questions d’emploi, de politique sociale et de cohésion, notamment dans le cadre de la transition des territoires vers un développement plus durable.