Manlio Cinalli, politiste et sociologue, directeur de recherche au CEVIPOF, conduit ses recherches sur les comportements politiques, les relations entre “ethnies” et les politiques publiques d’intégration culturelle. Dans une optique comparative, il se penche en particulier sur les sociétés et les politiques en France et en Europe, notamment sur les enjeux de citoyenneté et d’intégration politique des descendants de migrants et d’autres groupes à risque d’exclusion.
Dans ses travaux sur les citoyens d’origine immigrée, Manlio Cinalli fait valoir que les approches théoriques rencontrées dans la littérature scientifique ne vont guère au-delà d’une vision qui s’intéresse aux individus, autrement dit, qui cherche à définir qui fait partie ou non du corps des citoyens. Il met ainsi en lumière l’orientation par trop normative des études sur la citoyenneté qui se situent dans un cadre de pensée où l’État-Nation occupe une position quasi hégémonique du fait de sa capacité à contrôler les frontières de sa communauté nationale.
A contrario, les études de Manlio Cinalli visent à attirer l’attention sur les réalités ontologiques de la citoyenneté, qu’il aborde par le biais d’une approche relationnelle lui permettant d’établir une distinction fondamentale entre deux dimensions de la citoyenneté, l’une «verticale» et l’autre «horizontale».
La première dimension, verticale, se réfère non seulement à l’échange “bottom-up” – entre gouvernés et gouvernants – qui se fait via les activités politiques citoyennes et l’attribution aux politiques de la légitimité citoyenne, mais qui se réfère aussi aux échanges “top-down”, via l’exigence de représentation et les réponses que les gouvernants sont censés adresser aux attentes des gouvernés.
Cette approche permet de s’intéresser aux opportunités que les institutions et les politiques publiques offrent en terme d’accès à la décision politique, par exemple via la constitution de dispositifs donnant aux groupes à risque d’exclusion plus de visibilité et de capacité d’intervention politique directe.
Concernant les descendants de migrants de religion musulmane, un bon exemple de ce type d’intervention est celle du Conseil Français du Culte Musulman, qui peut intervenir pour se faire entendre dans les débats relatifs à l’intégration des gens de religion musulmane et entreprendre des actions en sa faveur.
La deuxième dimension de la citoyenneté est horizontale, car elle est caractérisée par l’idée d’une appartenance commune dans laquelle les citoyens se reconnaissent et qui est concrètement fondée sur des protections dont l’État est garant. En d’autres termes, une conceptualisation horizontale de la citoyenneté met en avant l’idée que les citoyens sont perçus et se perçoivent eux-mêmes comme étant avant tout les détenteurs communs de certaines libertés inconditionnelles.
Pour ce qui concerne les descendants de migrants de religion musulmane, les nombreux remaniements des dispositifs de la lutte contre les discriminations, ou encore la participation dans des milieux associatifs très ouverts offrent pour les chercheurs des terrains à explorer pour apprécier la quantité et la qualité de la citoyenneté horizontale.
Sur cette base, l’objectif de Manlio Cinalli est de prendre en compte les relations possibles entre les dimensions verticales et horizontales, et de considérer la multiplicité des dynamiques et des évolutions de la citoyenneté qui se font au croisement de ces deux dimensions. Via l’étude de la citoyenneté comme un champs relationnel, il devient alors possible de comprendre les processus dynamiques de construction de différentes variantes de citoyenneté et de saisir les différentes dynamiques d’intégration politique, à la fois en termes de participation, de valeurs, et de confiance.
La diversité des interactions et des combinaisons possibles permet aussi de formuler de nouvelles hypothèses pour expliquer les variantes observables en terme d’intégration politique des citoyens, que ces variantes soient observées au niveau local ou national ou encore au sein de différents groupes susceptibles d’être exclus. Ainsi, une situation caractérisée par des indices élevés de citoyenneté verticale couplés avec des indices élevés de citoyenneté horizontale est prédictrice d’une plus grande participation, et, éventuellement, d’une intégration politique plus importante, même pour les sujets de la citoyenneté appartenant aux groupes à risques d’exclusion.
Autrement dit, le cadre théorique de la citoyenneté relationnelle permet d’envisager et de comprendre toute une “gamme” de citoyennetés résultantes d’une interaction complexe de structures sociales et politiques, ainsi que les impacts des différentes variantes en terme d’intégration politique des citoyens, de leurs mouvements et organisations.
Cette approche permet enfin d’évaluer dans quelle mesure l’environnement social et politique concorde avec les dynamiques individuelles, – celles des citoyens – mais aussi avec les dynamiques où se rencontrent les gouvernants et les gouvernés par le biais de leur mobilisation, décisions, et discours.
Bibliographie sélective