Les progrès continuels des technologies de transport et de communication facilitent la circulation des humains et de l’information par-delà les frontières des États-nations, renforçant la capacité des migrants à maintenir des liens soutenus avec leur pays d’origine. Cela conduit certains chercheurs à voir en eux des figures centrales du transnationalisme ou des « transmigrants ». Dans son article « Varieties of Transnationalisme and Its changing Determinants across Immigrant Generations: Evidence from French Data », publié dans International Migration Review, Mirna Safi exploite les données de l’enquête Trajectoires et Origines (TeO) produite par l’INED et l’INSEE, pour comparer les liens transnationaux de deux générations d’immigrés. Ces liens sont définis de manière large en référence à tous types de pratiques et d’activités impliquant des personnes, des groupes ou des espaces localisés hors de France.
Le transnationalisme au fil des générations
L’auteur rappelle d’abord le rôle que joue le concept de « transnationalisme » dans la théorie classique de l’assimilation des immigrés. Elle souligne comment celui-ci permet de sortir d’une conception linéaire qui n’envisage qu’une convergence des pratiques des populations immigrées vers les natifs au fil du temps et des générations. Le transnationalisme invite à considérer de concert le maintien des relations au pays d’origine et le processus d’intégration dans le pays hôte. L’article pose en particulier la question de l’évolution des relations transnationales d’une génération à l’autre : doit-on s’attendre avec la seconde génération, comme beaucoup d’auteurs le suggèrent, à un affaiblissement des contacts avec le pays d’origine des parents ? Les enfants reproduisent-ils les pratiques de leurs parents ? L’évolution générationnelle du transnationalisme dépend-elle des types de liens transnationaux ?
Des relations et des variables multiformes
La richesse des questions posées par l’enquête TeO permet de mesurer des activités transnationales très variées : patrimoine immobilier, transferts financiers, engagement associatif ou humanitaire, participation à la vie politique et citoyenne, pratiques funéraires, contacts, liens familiaux, voyages, rapport aux médias, etc.
Une analyse exploratoire permet de les regrouper en trois dimensions : sociopolitique, économique et « re-migration » (activités en rapport avec les projets de (re)migration des individus interrogés). L’enquête permet également de caractériser de manière très fine les répondants : par statut socioéconomique, année de migration, religion, langues pratiquées, discrimination perçue, exercice de la citoyenneté, sentiment d’appartenance, etc.
Ainsi, quatre groupes de variables explicatives ont été introduites dans des modèles cherchant à expliquer les différents niveaux d’engagement transnational : celles mesurant « l’exposition transnationale » (membres de la famille restée dans le pays d’origine, double citoyenneté, multilinguisme), celles permettant de décrire le contexte de réception dans la société française (sentiment de discrimination, perception par les autres), celles liées à l’origine ethnoraciale (pays ou région d’origine, religion) et enfin celles spécifiques à chacune des générations immigrées (statut légal pour les premières générations, transmission parentale et mobilité sociale pour les deuxièmes générations).
L’impact intergénérationnel n’est pas prédominant
Les résultats montrent qu’un ensemble de déterminants affecte de manière très similaire la propension des premières et deuxièmes générations immigrées à entretenir des liens transnationaux : il s’agit par exemple de la situation socioéconomique (le transnationalisme augmente avec l’éducation et le revenu) et des variables d’exposition (il est plus fort avec une double nationalité ou la maîtrise de plusieurs langues). L’étude montre par ailleurs que l’atténuation des liens transnationaux d’une génération à l’autre n’est pas valide pour tous les types de liens ni pour toutes les origines. Enfin, l’auteur explore la grande hétérogénéité des pratiques qui existe au sein de chacune des générations et montre que ce sont les variables d’origine ethnoraciale et religieuse qui semblent être les plus pertinentes pour l’expliquer. Ces résultats invitent à relativiser l’importance de la notion de génération d’immigration dans la théorie de l’intégration et à ne pas voir les premières et secondes générations d’immigrés comme des ensembles homogènes.