Quand la justice conditionne la productivité
29 juin 2021
Arabie Saoudite : vers un système universitaire normalisé
29 juin 2021

Évaluer les politiques publiques environnementales

Marche pour le climat, Paris 28 mars 2021 par Jeanne Mejoulet, CC BY 2.0, via Flickr

Marche pour le climat, Paris 28 mars 2021 par Jeanne Mejoulet, CC BY 2.0, via Flickr

Un nouvel axe de recherches

Alors que les acteurs publics et la société civile s’intéressent de plus en plus aux résultats des politiques publiques, alors que la crise environnementale s’impose comme une priorité à toutes les échelles, Sciences Po étend aux questions environnementales les travaux de son Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP), en partenariat avec l’Université de Paris. Présentation par Charlotte Halpern,  chercheuse au CEE, qui dirige ce nouveau programme.

Vous avez pris récemment la direction du nouvel axe “politiques environnementales” du LIEPP. Pourquoi est-ce important d’évaluer ces politiques ?

Charlotte Halpern : Les transformations environnementales et l’urgence climatique justifient l’introduction d’un agenda de réformes et de mesures visant à accélérer la transition des économies et des sociétés contemporaines vers la neutralité carbone à horizon 2050. Ce paquet de mesures vise également à réduire les inégalités socio-environnementales et à transformer durablement les stratégies de développement territorial. Cette nouvelle génération de politiques publiques vient se superposer à des décennies d’engagement en matière de protection environnementale, de développement durable, de croissance verte et de transition énergétique.

Marche climat à Paris, 9 mai 2021 ©
Jeanne Menjoulet, CC BY 2.0, Flikcr

Cet agenda climatique suscite une attention sans précédent des citoyens européens, ainsi que des oppositions fortes qui se manifestent dans les rues, sur les réseaux sociaux et dans les urnes.
L’intérêt de cet axe de recherche consiste à analyser les efforts menés par les politiques publiques dans le domaine de l’environnement au sens large, étendu au développement durable, au changement climatique, à la croissance verte et depuis peu, aux transitions énergétique et écologique, et ce pour faire sens des dynamiques de transition à l’œuvre et à éclairer les choix des décideurs et des acteurs. Quel rôle pour les acteurs et les politiques publics dans l’impulsion et le pilotage des transitions ? Quelles ressources sont déployées pour opérationnaliser ces objectifs transversaux ? Comment, avec quels leviers, à quel rythme et avec quelle ampleur ces dispositifs transforment-ils l’existant ? Quelles variations sectorielles et territoriales peut-on observer ? Quels résultats observés et au bénéfice de quels groupes sociaux, territoires et secteurs économiques ? Quels effets sur les systèmes politiques et leur capacité différenciée à intégrer l’enjeu climatique ?

Quels sont les objectifs que ce nouvel axe se donne ?

C. H : Le premier objectif consiste à susciter des recherches centrées sur l’évaluation des politiques environnementales, et en particulier la production de données, d’expertises et de savoirs ainsi que sur les limites de l’action publique.
À celui-ci s’ajoute un objectif analytique et méthodologique qui consiste à croiser des approches théoriques et des méthodes d’enquête issues des sciences sociales (science politique, économie, sociologie), naturelles, et du vivant. A cet égard, la création de l’axe de manière concomitante au redéploiement du LIEPP vers l’Université de Paris, ouvre des opportunités. L’ancrage interdisciplinaire constitue une manière de répondre aux défis soulevés par l’évaluation des politiques environnementales tout en tenant compte de leurs spécificités : son caractère multi-niveaux ; des instruments diversifiés (droit, fiscalité, incitations… ) ; des temporalités disjointes et des incertitudes qui pèsent sur certaines des transformations en cours. Plus précisément, les activités menées dans le cadre de l’axe permettront, à partir d’objets très spécifiques (les îlots de chaleur urbains, la sobriété numérique, l’économie circulaire…), de se poser la question de l’évaluation des politiques environnementales et de leur rôle dans le pilotage des trajectoires de transition. Un dernier objectif consiste à structurer une communauté de recherche autour de l’évaluation des politiques environnementales, et de rendre visible les travaux menés par les chercheur.e.s de Sciences Po et de Université de Paris auprès d’un public plus large. En cela, les travaux de l’axe sont complémentaires des activités mises en place à Sciences Po, au sein de l’Atelier interdisciplinaire de recherches sur l’environnement (AIRE) et par le Centre des politiques de la terre. Elles pourront aussi faire le lien avec les travaux menés dans d’autres axes de recherche du LIEPP, par exemple l’axe évaluation des politiques socio-fiscales avec l’attention portée au financement de l’adaptation au changement climatique et de la transition écologique, l’axe discriminations ou avec l’axe évaluation de la démocratie pour analyser les phénomènes de sciento-scepticisme, ou encore l’évolution des formes de participation politique.

Quelles sont les approches privilégiées par l’axe Politiques environnementales ?

C. H : En complément d’une approche fondée sur l’interdisciplinarité, les recherches de l’axe reposent sur plusieurs partis pris. Elles privilégient une approche processuelle pour rendre compte des trajectoires de transition, identifier les acteurs et les mécanismes à l’œuvre, et compléter ainsi une approche centrée sur les résultats. Ces travaux s’inscrivent aussi dans une démarche résolument comparative entre secteurs – pour tenir compte des dynamiques propres aux politiques environnementales et du verdissement des politiques sectorielles (agriculture, transports, énergie…) – et entre contextes politiques et institutionnels, principalement en Europe, pour évaluer les capacités d’action mises en place à différents niveaux de gouvernance. Les politiques publiques sont enfin analysées autant à partir de leurs objectifs que des ressources et des procédures mises en place, et ce afin de contribuer à la réflexion sur le rôle des politiques publiques et des formes de gouvernance dans les trajectoires de transition.

Comment envisagez-vous de développer l’axe ?

C. H : Plusieurs activités ont été initiées depuis la création de l’axe, en avril 2020. Tout d’abord, une revue systématique de littérature est en cours, réalisée par Nathalia Capellini. Ce travail vise à dégager, dans une perspective interdisciplinaire, les objectifs et les méthodes qui guident l’évaluation des politiques environnementales, les dimensions analytiques privilégiées ainsi que les facteurs explicatifs de la part jouée par la régulation politique dans les dynamiques observées.

A Copenhague, il y a 672 000 bicyclettes, cinq fois plus que de voitures», Octobre 2019 © Citycle

Une deuxième tâche consiste à identifier, prendre contact et susciter les échanges entre les équipes de recherche qui travaillent dans le domaine de l’évaluation des politiques environnementales à Sciences Po et à Université de Paris. Ces échanges se nourrissent tout d’abord des activités transversales du LIEPP et des appels à projets. L’appel à projets Jeune Recherche permet de soutenir le travail de Charlotte Glinel (sociologue, CSO – Sciences Po) sur la mobilisation des forêts françaises contre le réchauffement climatique, le projet de Hugo Rochard (géographie, sciences de la terre et de l’environnement, LADYSS – Université de Paris), qui s’intéresse à la relation entre les politiques environnementales urbaines et les mobilisations citoyennes dans le Grand Paris et à New York, ou encore le projet de Blandine Mesnel (politologue, CEE – Sciences Po) qui mène une comparaison des expériences de la politique agricole commune par les agriculteurs en France et en Espagne. Suite à l’appel à projets général du LIEPP, l’axe héberge le projet Comprendre le rôle des collectifs et leurs relations avec les politiques publiques de réduction des inégalités socio-environnementales porté par Nathalie Blanc (Université de Paris, LADYSS) et Jean Chiche (IRHC CNRS et Sciences Po, CEVIPOF).

Il est aussi prévu d’organiser des snowball seminars et des débats-webinaires pour promouvoir les échanges entre les chercheur.e.s de diverses structures qui travaillent sur un même objet avec des perspectives disciplinaires différentes. On peut citer l’exemple de l’évaluation des politiques de lutte contre le réchauffement urbain, qui a donné lieu à un débat-webinaire “The impact of climate change of climate change on urban health: the Lancet countdown’s 2020 report launch event in France”, organisé en partenariat avec le Centre des politiques de la terre, le Lancet Countdown initiative et le Centre Virchow Villermé de Santé publique et le Conseil national de l’ordre des médecins. Cet échange est suivi d’un snowball seminar sur l’évaluation des politiques de lutte contre le réchauffement urbain. En parallèle de l’intérêt porté au réchauffement urbain, d’autres snowball seminars sont envisagés sur les politiques de sobriété et le végétarisme.
La valorisation auprès des décideurs se fera par la publication de plusieurs Policy briefs à l’instar de celui de Jean Noël Jouzel concernant l’évaluation des risques des pesticides sur la santé des travailleurs. Un autre est en cours de rédaction en collaboration avec Nathalia Capellini et Francesco Sarti (Sciences Po, CEE), à partir des résultats de recherche du projet Multi-modal Optimisation for Road-space in Europe, sur les politiques de réallocation de voirie et les effets sur la mobilité urbaine.

Les suggestions de contribution sur ces différents formats sont bienvenues !

Propos recueillis par Sofia Cerda Aparicio, LIEPP

 

Charlotte Halpern est chargée de recherche FNSP  au Centre d'études européennes et de politiques comparées (CEE). Spécialiste de l’action publique comparée, ses travaux portent sur les transformations de l’action publique.  Ses recherches portent en particulier sur les politiques publiques de l'environnement et la ville durable, la gouvernance territoriale et les politiques publiques du transport et des infrastructures et la gestion des services collectifs urbains. Par ailleurs, Charlotte enseigne à l’École urbaine et à l’École doctorale.