La concurrence est-elle un processus évolutif ? Comment la définir et la réguler ? Que signifie être en concurrence, faire la concurrence ? C’est à ces questions que trois chercheurs du Centre de sociologie des organisations, Patrick Castel, Léonie Hénaut, et Emmanuelle Marchal, se proposent de répondre dans un ouvrage qu’ils ont dirigé Faire la concurrence. Retour sur un phénomène social et économique . A leur yeux, la pierre angulaire du débat est que la concurrence ne s’impose pas comme une force inexorable à des acteurs qui la subiraient passivement mais qu’au contraire toutes sortes d’acteurs participent à ses dynamiques – sa définition, sa régulation – voire à la définition de son périmètre.
Une concurrence omniprésente et évolutive
Les auteurs attirent tout d’abord notre attention sur le fait que la concurrence touche à présent toutes les formes d’organisation : privées, publiques et associatives. Ils pointent aussi le fait qu’on la retrouve dans des situations où on ne l’attend pas via des procédés tels que les indicateurs de performance, les classements ou les appels d’offre.
Cette omniprésence de la concurrence les a conduit à étudier son fonctionnement dans une multitude de secteurs : santé, enseignement supérieur et recherche, risques, marchés, travail, environnement – autant de domaines d’expertise développés au CSO.
Classements : des outils de concurrence à maîtriser
Les opérations de classement et de regroupement sont centraux dans la mise en concurrence car sans elles aucune comparaison n’est possible. Comme le montrent nos chercheurs, l’enjeu est tel que les acteurs des secteurs s’attachent à définir leur propres critères pour en contrer d’autres dont les effets sont jugés indésirables et qui sont souvent établis par des acteurs extérieurs et parfois sont détournés de leurs objectifs initiaux.
C’est le cas par exemple du secteur hospitalier où l’on voit des experts travailler à l’introduction d’indicateurs « qualité » dont la vocation initiale n’est pas de créer une compétition entre services ou établissements. Or certains acteurs s’en saisissent pour construire les conditions d’une mise en concurrence maîtrisée et tenter de contrecarrer les effets des palmarès publiés dans la presse et décriés par les hospitaliers.
La mise en concurrence par les appels d’offre
Une autre méthode de mise en concurrence – qui s’applique notamment au milieu associatif et au secteur de la recherche – est la mise en place d’appels d’offre, qui vise à distribuer plus équitablement les sources de financement ou parfois à contrer des situations de quasi monopoles. Parfois discutée – comment définir par exemple les critères de définition de l’excellence scientifique ? – il arrive que cette méthode débouche sur des coopérations entre les acteurs concernés.
Le rôle socialisateur de la concurrence
En effet, quelles que que soient les méthodes de mise en concurrence employées, les auteurs insistent sur le fait que, même si les affrontements restent répandus, la mise en concurrence peut aussi avoir un caractère socialisateur et amener à nouer de nouvelles alliances et/ou à réfléchir à ce qui soude les acteurs, à leur identité collective et à ce qui les singularise. C’est par exemple le cas de directeurs des écoles de commerce qui se réunissent pour concevoir leur propre système d’accréditation dont l’un des objectifs est d’atténuer les effets de rankings définis par des acteurs extérieurs à leur écosystème.
La définition des périmètres
On retrouve cette même démarche dans d’autres secteurs. Par exemple, chez les restaurateurs d’œuvres d’art où sont mises en question les règles d’inclusion et d’exclusion de la profession ou encore dans les magasins Biocoop où l’on s’attache à marquer des frontières et à identifier ceux que l’on considère comme des concurrents.
Cette problématique peut aussi se croiser avec des enjeux de loyauté concurrentiels à l’intérieur d’une même entreprise. Il en va ainsi des commerciaux d’un grand groupe étudié qui se demandent à quelle entité ils doivent être loyaux : au groupe multinational dans lequel ils viennent d’être intégrés ou à leur entreprise d’origine.
A la recherche d’une “bonne” concurrence
La perspective dessinée par cet ouvrage laisse donc apparaître des acteurs réflexifs, dotés d’une capacité à négocier et définir les conditions de possibilité de la concurrence. Bien que cette capacité soit inégalement distribuée, elle est suffisamment importante pour qu’elle vaille la peine de poser un nouveau regard sur la concurrence. In fine, cet ouvrage démontre à quel point il est difficile de trouver l’équilibre entre une bonne ou une mauvaise concurrence.