Les dernières années, les politiques françaises du handicap se sont enrichies d’une dimension collective visant à mieux inclure socialement les personnes concernées. Comment ces politiques sont-elles perçues par leurs destinataires ? Atteignent-elles leur but, à savoir améliorer la vie en société des personnes handicapées ? C’est l’objet de la recherche menée en sociologie par Anne Revillard, chercheuse à l’Observatoire sociologique des changements (OSC) et au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP). Elle en présente les résultats dans un article intitulé « La réception des politiques du handicap : une approche par entretiens biographique » – récemment publié par la Revue française de sociologie.
De la protection à l’inclusion
En France, les politiques du handicap se sont construites au fil du temps par l’accumulation de mesures de protection sociale et de réadaptation visant les personnes handicapées, à partir d’une approche essentiellement médicale et individuelle de la question. A côté de cette vision, un autre modèle de politique s’est affirmé depuis quelques années dans plusieurs pays et au niveau des institutions internationales. Qualifié aux États-Unis de modèle « des droits civiques », il prône l’inclusion des personnes handicapées et la nécessité de conduire des politiques antidiscriminatoires à leur endroit en leur reconnaissant la qualité de groupe minoritaire. Ce modèle alternatif met l’accent sur le rôle des sociétés dans la production des situations de handicap, notamment via des obstacles tel que le manque d’accessibilité de l’environnement.
Initiée par la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées proposée par Simone Veil et votée en juin 1975, cette nouvelle conception s’est progressivement implantée en France. Elle a notamment influencé la « Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » votée en 2005. Cette loi élargit le champ d’intervention des politiques publiques vers l’intégration scolaire et professionnelle, le bâti, les transports, ou la création d’une prestation individuelle favorisant la vie en logement autonome. Par ces différents leviers d’intervention, elle prône une déségrégation du handicap, au sens d’une inclusion des personnes handicapées dans les milieux de vie (scolaires, professionnels, urbains…) « ordinaires » plutôt que leur assignation à des institutions séparées.
Comprendre les effets de l’action publique par une enquête de terrain
Dans ses recherches, Anne Revillard étudie les effets de ces mesures auprès des personnes en situation de handicap et explore notamment les évolutions de leur statut social. Elle s’inscrit en cela dans le courant récent des « disability studies » pour évaluer comment l’expérience sociale du handicap a changé en France, et si la place des personnes handicapées dans la stratification sociale s’est transformée.
Elle s’intéresse à la fois aux effets des dispositifs et à leurs appropriations, à la façon dont les individus concernés les perçoivent et les mobilisent (par exemple, quelle représentation ils se font d’une prestation, dans quelle mesure et pourquoi ils y ont recours). Pour ce faire, elle suscite, dans le cadre d’entretiens, les récits de vie des personnes, afin d’analyser comment l’action publique intervient dans leurs expériences du handicap.
30 entretiens biographiques ont ainsi été réalisés auprès de personnes handicapées moteures ou déficientes visuelles, d’âges, d’origine géographique et de milieu social variés. A partir de ces récits de vie, trois thématiques principales sont explorées dans l’article : la scolarisation et l’emploi ; la compensation financière du handicap, et l’accessibilité. Plusieurs méthodes d’exploitation de ces entretiens ont été mises en œuvre en parallèle : comparaison intergénérationnelle, pour retracer les évolutions au fil du temps ; analyse de contenu thématique pour étudier les effets et usages de dispositifs spécifiques, et analyse approfondie d’extraits sur le thème de l’accessibilité.
Des résultats inégaux, contrastés, et en deçà des objectifs
Les trajectoires de vie analysées témoignent d’une déségrégation partielle à l’école ou au travail, mais inégale et chaotique selon les individus. L’intégration scolaire et professionnelle, si elle fonctionne aujourd’hui comme une norme forte, est loin d’être aboutie en pratique.
De plus, le type et le degré de déficience, le genre, la classe sociale, la localisation géographique, ainsi que de la conjoncture économique modulent fortement l’effet des politiques publiques en matière d’éducation et d’emploi.
La prestation de compensation du handicap (PCH) améliore l’autonomie, mais impose aussi davantage de contrôle administratif dans l’évaluation des besoins et sur les dépenses. Bien qu’universelle (sans condition de ressources), elle reste perçue comme une prestation à caractère social. Ceci explique des cas de non-recours observés au sein des classes supérieures.
Enfin, les dispositions de 2005 sur la mise en accessibilité du cadre bâti et des transports participent bien d’une meilleure inclusion dans la société, mais elles catalysent aussi des critiques et mobilisations, notamment devant le report des délais de mise en œuvre, surtout chez les plus jeunes. On mesure ici les frustrations et attentes vis-à-vis des intentions des pouvoirs publics et des promesses affichées.