Les humanités ont toujours été un domaine intensément interactif et social, un écosystème vibrant d’idées partagées et constamment retravaillées. Cependant, les humanités numériques contribuent à modifier le travail des chercheurs et des chercheuses dans ce domaine, le rendant moins solitaire, encore plus collaboratif. Ces nouveaux modes de travail scientifique couvrent un large éventail de tâches matérielles qui étaient auparavant comme purement cognitives et immatérielles : la pensée, la lecture, l’écriture, la discussion, l’évaluation. Le développement des technologies numériques poussent les universitaires à ré-imaginer ces tâches.
Pour répondre à ces nouveaux besoins et prendre en compte ces nouvelles opportunités, l’équipe du projet AIME, dirigée par Bruno Latour, a développé, dans le cadre de son Enquête sur les modes d’existence, une série de fonctions numériques innovantes : une interface de lecture qui permet de naviguer entre de nombreux contenus et d’afficher de nombreux documents contextuels mentionnés dans le texte principal, ainsi qu’une interface de contribution qui permet aux lecteurs et lectrices de participer à l’enrichissement et à l’évolution du contenu initial.
Essayant de proposer des solutions innovantes et expérimentales aux défis posés par les humanités numériques et les changements qu’elles induisent, le projet AIME a inévitablement été l’objet de nombreuses critiques. AIME combinait en effet différents médias, différents genres, associait différents publics et il a par conséquent été critiqué et évalué par chacun d’eux. Ainsi, en tant qu’ouvrage de philosophie, Enquête sur les modes d’existence ne répondait pas aux normes et au format classique de ce type d’ouvrage (avec par exemple l’absence de références et de notes de bas de page). En tant qu’enquête collective, il a été critiqué car il présentait des résultats avant même le début de la collaboration. En tant que site internet, AIME a été critiqué car les possibilités de participation étaient limitées (avec par exemple un processus d’évaluation des commentaires drastique qui a aboutit à refuser la plupart d’entre eux).
Cependant, la force de ce projet a été sa capacité à apprendre de ses erreurs et de ces critiques. Tout au long de la vie du projet, l’équipe d’AIME a mis en place un dispositif permettant de recueillir l’ensemble de ces critiques, de les analyser et d’en tirer des enseignements utiles aux futurs projets en humanités numériques. Il s’agit donc de transformer ces différentes critiques en indices permettant de détecter les pratiques et les hypothèses sous-jacentes à tout projet collaboratif et à toute communauté du domaine des humanités numériques.
L’ensemble de ces démarches – la méthodologie de collecte des indices, leur regroupement en anomalies spécifiques et l’explicitation des choix qui ont permis de les générer – sont exposées et détaillées ici « Clues. Anomalies. Understanding. Detecting underlying assumptions and expected practices in the Digital Humanities through the AIME project » paru dans Visible Language en décembre 2015.
Crédits de la photo utilisée en page d’accueil : Scanner abuse/Mo/Flickr/CC BY-NC-SA 2.0