On sait que les écarts entre les femmes et les hommes dans la vie professionnelle se creusent au moment où les femmes deviennent mères, mais certains aspects de ce phénomène inégalitaire ont été peu été étudiés, en particulier l’impact des congés parentaux.
Dans une étude récente The motherhood penalty in Spain : The effect of full—and part-time parental leave on women’s earnings (Social Politics, 2021), Marta Dominguez Folgueras, avec deux collègues, a mesuré et comparé l’impact des différents types de congés parentaux mis en place dans différents pays. Leurs résultats établissent que la durée du congé est un élément de poids dans le renforcement des inégalités de genre dans le monde du travail.
Le plafond de verre est souvent mobilisé comme marqueur des inégalités liées au genre sur le marché du travail dont témoignent de nombreux indicateurs. Qu’il s’agisse des rémunérations ou de statut ; les faits sont là : les femmes occupent des emplois moins prestigieux, le plus souvent en contrats à durée déterminée et ont des carrières moins linéaires (1)Report on the Implementation of the OECD Gender Recommendations – Some Progress on Gender Equality but Much Left to Do, OECD 2017.. L’indicateur probablement le mieux connu pour mettre en évidence ce déséquilibre est l’écart de salaire entre hommes et femmes : 13 % en Europe en 2020, 15,8 % en France selon Eurostat(2)Écart des rémunérations entre hommes et femmes (non corrigé), Eurostat.. Cet écart est constaté dans tous les pays pour lesquels nous disposons de données, et de nombreuses recherches ont tenté de l’analyser. Il en ressort que ce différentiel serait lié aux différences de formation et de métiers exercés (les femmes sont surreprésentées dans des secteurs moins bien rémunérés), à des discriminations (certains employeurs préfèrent par exemple embaucher des hommes pour des postes de supervision), et aux différences de carrière, moins linéaires chez les femmes, amenées plus souvent à interrompre leur activité professionnelle afin de s’occuper de leur famille.
La maternité creuse ainsi les écarts de salaire des femmes d’avec celui des hommes, à tel point que l’on parle d’une « pénalisation de la maternité ». Afin de protéger l’emploi des femmes et leurs salaires, mais aussi d’aider à l’articulation entre travail rémunéré et vie familiale, les États-providence ont développé une diversité de politiques sociales. Ces politiques, parfois décrites comme familiales, restent toujours en relation avec le marché du travail.
S’il est un domaine particulièrement dynamique au sein des politiques publiques, c’est bien celui des politiques familiales qui n’ont cessé d’évoluer ces dernières années (3)Ferragina, Emanuele. 2017. Does family policy influence women’s employment ? Reviewing the evidence in the field, Political Studies Review., comme en témoignent les débats en cours sur le congé de paternité dans une série de pays. Leur objectif principal consiste à aider les parents — surtout les mères ! — en mettant en place des allocations, en créant des services publics (crèches et garderies), ou en accordant du temps (congés parentaux). Même si chacune de ces politiques peut avoir un impact positif sur l’emploi rémunéré des parents, on s’intéresse ici principalement aux congés parentaux.
Plusieurs types de congés existent et dans notre étude (Dominguez Folgueras, Marta, Maria José González et Irene Lapuerta. 2021. The motherhood penalty in Spain: The effect of full—and part-time parental leave on women’s earnings. Social Politics, online first.), nous avons identifié des configurations très hétérogènes selon les pays (le réseau de chercheur. e. s « Leave Network » publie chaque année une description détaillée par pays). En général, toutefois, la recherche distingue trois types de congés autour de la parentalité. Le congé maternité, réservé aux mères avant et après la naissance, vise à protéger leur santé et garantir leur retour au travail. Le congé paternité est en général de plus courte durée et les modalités pour en bénéficier sont plus souples. Ces deux types de congés sont le plus souvent rémunérés selon un montant proche du niveau de rémunérations les précédant. Les congés parentaux interviennent à leur tour après ces premiers congés et visent à permettre aux parents de quitter leur emploi durant un certain temps tout en garantissant, à leur issue, la reprise des emplois quittés. Généralement plus longs, ils permettent de s’occuper des enfants en bas âge, mais sont habituellement faiblement rémunérés, voire pas du tout. Dans les pays où les congés existent, et bien qu’ils soient à disposition de tous les parents, les congés parentaux sont pris de manière majoritaire par les femmes (Leave Network).
Le congé parental, bien qu’il protège l’emploi des mères et leur lien avec le marché de travail, peut avoir aussi des conséquences non souhaitées. Des recherches ont montré que les congés longs ont un impact négatif sur le salaire des femmes, même si la durée optimale du congé varie en fonction du pays(4)Grimshaw, Damian, et Jill Rubery. 2015. The motherhood pay gap : A review of issues, theory, and international evidence. Conditions of Work and Employment Series.. Comment expliquer cette pénalisation ? Deux mécanismes semblent pouvoir expliquer ce phénomène. D’une part, l’absence liée au congé entraîne une perte de capital humain qui rendrait plus difficile d’obtenir des promotions ou augmentations de salaire. D’autre part, les personnes ayant pris un congé parental pourraient être stigmatisées au sein de l’entreprise du fait de cette interruption, qui serait perçue comme un signal de leur faible engagement.
Si la durée des congés et son impact négatif sur le niveau de rémunération ont été largement étudiés, d’autres dimensions restent peu explorées. Ainsi, dans un certain nombre de pays (par exemple en Allemagne, France, ou Espagne), le congé parental peut être pris à temps plein ou à temps partiel. Cette caractéristique pourrait s’avérer très importante, car le congé à temps plein entraînerait une perte de capital humain (connaissances et expériences) plus importante, et pourrait être perçu comme un moindre engagement avec l’emploi que le congé à temps partiel, qui permettrait de garder le lien avec le travail et minimiser le déficit d’expérience dû à l’absence. Est-ce vraiment le cas ?
Seule une étude — portant sur la France — s’est intéressée à cette question(5) Joseph, Olivier, Ariane Paihlé, Isabelle Recoltillet, et Anne Solaz. 2013. The economic impact of taking short parental leave : Evaluation of a French reform. Labour Economics.. En comparant les effets d’un congé parental de courte durée (jusqu’à six mois) selon qu’il soit en temps partiel ou à plein temps, elle a démontré qu’un congé à temps plein n’avait aucun impact sur le salaire des mères, mais qu’en revanche, le congé à temps partiel avait un effet négatif. Si ces résultats semblent aller à l’encontre de l’hypothèse avancée précédemment, ils peuvent être expliqués par les caractéristiques du congé et de la possibilité de réduire les heures de travail pour les parents de jeunes enfants, pratique assez répandue en France. La durée du congé analysée, étant restreinte, n’est peut-être pas assez longue pour déboucher sur une pénalisation. Par ailleurs, il est possible que les femmes qui ont opté pour un congé à temps partiel aient probablement choisi d’y rester à leur retour, d’où l’impact sur leurs rémunérations. Ce congé parental à temps partiel pourrait donc servir à faciliter une transition au temps partiel pour les parents, en particulier pour les mères, qui le prennent beaucoup plus souvent.
En Espagne, le congé parental n’est pas rémunéré, et lorsqu’il est pris à temps plein, il permet aux parents de quitter leur emploi pendant trois ans, avec une garantie de retour à l’emploi dans la même entreprise. Si sa durée choisie est inférieure à un an, la personne peut reprendre son activité précédente, au-delà, l’entreprise doit offrir un emploi dans des « conditions similaires” »(ainsi que désignées par la loi sans être spécifiées).
Si le congé parental est pris à temps partiel, le parent négocie avec son employeur pour une durée d’une heure par jour jusqu’à une demi-journée, un arrangement peut être prolongé jusqu’aux 8 ans de l’enfant.
Nous avons voulu savoir si cette option pénaliserait les mères de la même manière qu’un congé à plein temps. Notre hypothèse de départ était que le congé à temps plein serait plus pénalisant pour les mères, car il est associé à une perte de capital plus forte et une absence totale pourrait être stigmatisante.Pour analyser les impacts de ces congés — à temps partiel et à plein temps— sur la rémunération des femmes, nous nous sommes basées sur les données d’une enquête espagnole, réalisant un suivi sur des périodes étendues (Muestra Continua de Vidas Laborales). Sur cette base, nous avons pu observer les évolutions de salaire des femmes entre 25 et 40 ans de 2005 et 2012, pour tester l’ampleur de la pénalisation à la maternité et déterminer les conséquences de la prise du congé et ses modalités. Nos résultats montrent que la pénalisation à la maternité existe bien ainsi que le montre le graphique ci-dessous.
La pénalité découlant d’un congé à temps plein s’avère donc beaucoup plus importante, mais en calculant le total de la perte, il se peut qu’un congé à temps partiel — d’une durée souvent plus longue — soit plus pénalisant qu’un congé à temps plein.
Les deux congés protègent les femmes en leur permettant un retour à leur emploi mais ils ont un impact sur leurs salaires et très probablement sur l’évolution de leurs carrières. Les recherches doivent prendre en compte les modalités de prise de congé pour mieux comprendre l’évolution des salaires liée à la maternité et leurs différences entre hommes et femmes. Autant d’éléments permettant d’élaborer des politiques publiques plus égalitaires.
Marta-Dominguez Folgueras, Observatoire de sociologique du Changement (OSC)
Marta-Dominguez Folgueras est Associate Professor en sociologie à l’Observatoire sociologique du changement (OSC). Son travail relève de la sociologie de la famille, de la sociologie de l’emploi du temps, et de la sociologie du genre. Ses recherches actuelles portent sur la formation de couples et sur les comportements au sein de la famille, en particulier sur la division des tâches domestiques et de l’attention aux enfants, avec un intérêt particulier sur les inégalités du genre.
Notes[+]
↑1 | Report on the Implementation of the OECD Gender Recommendations – Some Progress on Gender Equality but Much Left to Do, OECD 2017. |
---|---|
↑2 | Écart des rémunérations entre hommes et femmes (non corrigé), Eurostat. |
↑3 | Ferragina, Emanuele. 2017. Does family policy influence women’s employment ? Reviewing the evidence in the field, Political Studies Review. |
↑4 | Grimshaw, Damian, et Jill Rubery. 2015. The motherhood pay gap : A review of issues, theory, and international evidence. Conditions of Work and Employment Series. |
↑5 | Joseph, Olivier, Ariane Paihlé, Isabelle Recoltillet, et Anne Solaz. 2013. The economic impact of taking short parental leave : Evaluation of a French reform. Labour Economics. |