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La Présidence française du Conseil de l’UE à l’ombre de la guerre en Ukraine

Élysée, conférence de presse, Présidence française du Conseil de l'Union européenne © Ghislain Mariette / Présidence de la République

par Olivier Costa, CEVIPOF

Élysée, conférence de presse, Présidence française du Conseil de l’Union européenne
© Ghislain Mariette / Présidence de la République

La Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) au cours du premier semestre 2022 se présentait comme  l’ultime occasion pour Emmanuel Macron, au terme de son premier mandat présidentiel, de peser sur le cours de l’intégration européenne. Elle devait aussi lui permettre, dans la perspective des présidentielles d’avril 2022, de souligner sa stature internationale et de cultiver le clivage autour des enjeux européens qui lui avait été bénéfique en 2017. Certains moquaient cette prétention, soulignant la faible importance de la présidence semestrielle du Conseil de l’UE et le caractère abstrait de sa conception de la souveraineté de l’Union. Mais la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine a rebattu les cartes. La PFUE a-t-elle pour autant réussi à imposer sa vision d’une Europe-puissance ?

Les appétits de la PFUE

Autant exercer la présidence du Conseil de l’UE avait un poids certain avant le traité de Lisbonne (2009), autant depuis que ce dernier est entré en vigueur, le rôle de la présidence du Conseil a perdu de son importance. Avec l’institutionnalisation du Conseil européen et la création d’un poste de président permanent de ce Conseil, l’État membre qui exerce la présidence semestrielle n’organise plus et ni préside les réunions du Conseil européen. Quant à la représentation internationale de l’Union, elle est désormais partagée entre le Président du Conseil européen, le Haut représentant de l’UE pour les affaires extérieures, et la Présidente de la Commission.

Certains ont donc raillé les ambitions affichées par Emmanuel Macron pour la présidence française. Ils ont souligné le caractère trompeur de l’acronyme choisi, « PFUE » (Présidence française de l’UE), alors qu’il s’agissait de la présidence d’une seule de ses institutions. Les sceptiques estimaient aussi que le programme était trop ambitieux, sans rapport à ce qui peut être réalisé en un seul semestre. Enfin, ils rappelaient que la campagne pour les élections présidentielles allait sérieusement entamer le semestre de présidence, et laissait planer le risque d’un changement de Président à deux mois du terme.

Pour autant, Emmanuel Macron tenait à faire de cette charge un élément clé de sa politique, et ce pour deux raisons.

Tout d’abord, il entendait rattraper le retard qu’il avait accumulé sur les questions européennes depuis 2017. Élu sur la base d’un programme ouvertement pro-européen,i l avait très tôt énoncé sa vision de l’avenir de l’Europe dans deux discours ambitieux (Athènes, 7 septembre 2017 ; la Sorbonne, 26 septembre 2017). Mais l’absence d’alliés politiques et les urgences intérieures – mouvement des gilets jaunes (octobre 2018), pandémie du Covid-19 (mars 2020) – —l’avaient vite détourné des questions internationales. La pandémie avait en outre retardé d’un an la Conférence sur l’avenir de l’Europe, qu’Emmanuel Macron avait proposée en mars 2019, et qui devait alimenter la réforme de l’Union.

Le deuxième moteur des ambitions d’E. Macron était électoral. La PFUE lui permettait de scénariser les présidentielles comme un duel entre lui, le champion de l’intégration européenne, et ses deux principaux adversaires, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, les deux visages d’un même discours eurosceptique. C’était aussi une occasion de souligner sa stature internationale, qui faisait largement défaut aux onze autres candidats en lice.

La banalisation de l’idée d’Europe-puissance

En dépit des sarcasmes, il faut reconnaître que la PFUE a été particulièrement active, avec l’organisation de plus de 400 événements au niveau national, de plus de 200 réunions au niveau de l’UE et l’adoption d’un très grand nombre de textes législatifs  Un travail  rendu possible grâce à une structure organisationnelle très robuste et dotée d’une expérience acquise au fil des précédentes présidences. La PFUE a aussi bénéficié de la place centrale de la France dans l’Union, à tous égards, de son poids politique et économique, et de la perte d’influence de l’Allemagne – conséquence des incertitudes engendrées par le départ d’Angela Merkel. Les bonnes relations d’Emmanuel Macron avec Charles Michel, le Président du Conseil européen, et Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission, qu’il avait tous deux soutenus, ont également été bénéfiques.

Discours du Président Emmanuel Macron devant le Parlement européen, janvier 2022

Enfin, la guerre en Ukraine a créé une fenêtre d’opportunité pour le Président français, en mettant la notion de « souveraineté de l’Union » à l’agenda. Ce concept avait été défendu par le président français dès 2017, mais ses réflexions avaient été accueillies avec tiédeur. Toutefois, l’émergence rapide de puissances mondiales hostiles et l’exacerbation des tensions internationales, cruellement illustrées par la guerre en Ukraine, ont permis à cette idée de s’imposer dans les opinions publiques et parmi les leaders européens. En peu de temps, il est devenu banal d’envisager la place de l’UE dans le bal des grandes puissances, de réfléchir à son autonomie stratégique, ou encore de proposer qu’elle se mêle davantage de défense.

L’irruption de la guerre en Ukraine

Le succès d’une présidence du Conseil est évalué à l’aune de trois critères : sa capacité à faire avancer son agenda propre, commandé par des intérêts nationaux ; celle à favoriser le consensus pour faire aboutir des dossiers en cours de négociation dans les institutions ; et celle à gérer les crises. L’invasion inattendue de l’Ukraine par l’armée russe a été un test pour la PFUE, d’autant que l’Union n’avait jamais affronté pareille situation. Elle a aussi mis à l’épreuve des faits l’idée de souveraineté européenne, jusqu’alors essentiellement théorique.

En tant que première puissance militaire d’Europe occidentale et seul État membre de l’Union disposant d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et de capacités nucléaires, la France était a priori la mieux placée pour affronter ce défi. Sans tarder, la PFUE a pris une série de mesures vigoureuses. Six trains de sanctions ont été adoptés dès le 24 février au soir : fermeture de l’espace aérien européen aux avions russes, exclusion de banques russes du système de messagerie bancaire Swift, embargo sur le charbon et sur 92 % du pétrole russe, etc. Deux semaines plus tard, le sommet de Versailles des 10 et 11 mars a permis d’évoquer les ambitions de l’UE en matière de défense, et la problématique de ses dépendances stratégiques. C’est toujours sous la présidence française que l’Union a livré, pour la première fois, des armes à un pays tiers. La PFUE a aussi agi pour que le calendrier et la stratégie d’élargissement soient revus : le statut de candidat a été reconnu à l’Ukraine et à la Moldavie le 23 juin 2022, moins de quatre mois après leurs demandes, et les négociations avec les pays des Balkans occidentaux relancées. À Strasbourg, le 9 mai 2022, Emmanuel Macron a proposé un projet inédit de Communauté politique européenne (CPE), destinée à rassembler les pays d’Europe qui ne peuvent pas ou ne veulent pas rejoindre l’UE.

Les limites du discours français sur la souveraineté de l’Union

Même si Emmanuel Macron a réussi à introduire le concept de souveraineté de l’UE dans les débats européens, aucune  décision tangible ne s’en est suivie hors les  mesures prises dans l’urgence après l’invasion de l’Ukraine. La notion reste, à ce jour, abstraite et les discussions prudentes. La France n’a notamment pas trouvé de terrain d’entente avec l’Allemagne, historiquement plus encline à la neutralité et à la coopération avec les États-Unis. Subsistent aussi d’importantes divergences entre les deux pays quant à la politique industrielle de l’Union, en lien avec les enjeux d’autonomie stratégique, de sécurité et de défense.

Réunion informelle des ministres de la santé du 21 janvier 2022. Crédits :
France Diplomatie – MEAE. Tous droits réservés.

De fait, en France, des secteurs stratégiques de l’économie – on pense notamment à l’armement – sont largement dépendants des interventions de l’État. Une spécificité qui  se reflète dans sa conception de la souveraineté européenne, dont les objectifs – essentiellement économiques – visent à transposer à l’échelle de l’Union – ses politiques de soutien à l’industrie de la défense. Ainsi, dans le cadre de la PFUE, Emmanuel Macron a fréquemment présenté la souveraineté de l’Union comme une question économique, faisant notamment allusion à la nécessité de faire émerger des « champions européens ». La PFUE a ainsi donné la priorité aux questions industrielles et technologiques : Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA) ; projet sur les alliances industrielles ; semi-conducteurs ; « Important Project of Common European Interest (IPCEI) » dans le secteur de la santé. Mais, cette vision se heurte à celle de l’Allemagne, attachée à un capitalisme plus traditionnel, laissant moins de place à l’intervention des pouvoirs publics. En outre, elle a aussi façonné sa politique étrangère en fonction de ses intérêts économiques, en soutenant une économie axée sur l’exportation, qui se traduit par des relations étroites avec les États-Unis et, plus récemment, la Chine. Faute d’entente franco-allemande, la PFUE n’a pas réussi à promouvoir efficacement ses idées en matière de défense et d’industrie.

Plus globalement, la France a été perçue comme trop centrée sur ses intérêts et nourrie par son animosité traditionnelle à l’égard de l’OTAN et des États-Unis. Les réactions ont été particulièrement vives lorsque le Président français a affirmé la nécessité de maintenir le dialogue avec Vladimir Poutine et de trouver une solution négociée à la guerre en Ukraine. Cette approche du conflit ne reflétait pas seulement une vision particulière des relations internationales, mais aussi la prétention de la France à dialoguer d’égal à égal avec la Russie – prétention que les autres États ne se donnent ni pour eux,ni pour l’Union.

Pour autant, la présidence française du Conseil de l’UE  est parvenue à faire avancer de nombreux dossiers liés à l’Ukraine, sans doute plus que ne l’auraient pu des États moins engagés dans les relations internationales, et dotés de moins de ressources administratives, politiques et diplomatiques. Mais elle n’a pas réussi à convaincre sur des questions telles que la création d’une armée européenne, ou le financement public d’une industrie de la défense européenne. Cet échec s’explique largement par le fait que la France ne s’est jamais vraiment préoccupée de la création de coalitions, privilégiant  les initiatives unilatérales et originales. Dans une Union à 27, où les décisions importantes se prennent encore à l’unanimité, une telle stratégie atteint rapidement  ses limites.

Chercheur CNRS attaché au CEVIPOF, Olivier Costa est spécialiste des institutions politiques et tout particulièrement du Parlement européen. Voir ses publications.

Références