Économiste, Denis Fougère est directeur de recherches au CNRS à l’Observatoire sociologique du changement (OSC) de Sciences Po. Il codirige avec Agnès van Zanten l’axe « Politiques éducatives » du LIEPP. Il consacre ses recherches à l’évaluation des politiques publiques, notamment celles relatives au marché du travail et au système éducatif. Il présente ici une recherche qui, appliquant des méthodes économétriques sur données individuelles, analyse le parcours scolaire d'une cohorte de collégiens entrés en sixième en 2007.
La réflexion sur la mixité ethnique et sociale dans le système scolaire français préoccupe autant les pouvoirs publics et les établissements que les parents d’élèves. À la question très concrète d’une éventuelle corrélation entre niveau scolaire et nombre d’enfants d’origine étrangère dans une classe de collège, Denis Fougère propose une réponse en utilisant la technique du panel.
La présence d’élèves étrangers dans une classe pourrait avoir des effets négatifs sur les résultats scolaires de leurs camarades pour plusieurs raisons : les enseignants leur accorderaient un soutien plus important et adapteraient leurs enseignements pour répondre à leurs besoins spécifiques. On pourrait alors craindre un ralentissement du rythme de l’instruction ou un moindre niveau d’exigence. La cohésion de la classe serait affectée.
À l’inverse, la présence d’élèves étrangers pourrait être bénéfique pour l’ensemble de la classe, compte tenu de l’enrichissement culturel qu’elle induit.
La balance entre ces effets dépend notamment de l’intégration de ces élèves, elle-même liée à différents facteurs, dont le contexte migratoire et l’attention consacrée par les familles à la scolarité de leurs enfants.
Il faut aussi noter que l’effet global de la part d’élèves étrangers, est difficile à identifier, car la répartition des élèves étrangers dans les classes n’est pas aléatoire. Les établissements accueillant de fortes proportions d’élèves étrangers se trouvent souvent dans des zones où se concentrent les difficultés sociales : pauvreté, chômage, sous-qualification des adultes. Ainsi, dans ces établissements, le niveau moyen des élèves peut être moins élevé que la moyenne.
Les méthodes utilisées permettent d’estimer tout à la fois les effets de l’environnement familial et scolaire de l’élève, ainsi qu’une composante spécifique à l’élève qui représente son aptitude tout au long de sa scolarité.
Ce type de recherche s’apparente à une approche nouvelle en économie de l’éducation. Elle ne s’appuie plus seulement sur les parcours individuels des élèves, par exemple en fonction de leur origine sociale, mais veut mesurer les effets de la composition des classes sur les résultats scolaires. Ces recherches identifient ce que l’on appelle les « effets de pairs » : les classes peuvent différer en fonction de la proportion d’élèves des deux genres, de leurs différentes origines sociales ou ethniques, ou bien encore du niveau scolaire moyen des camarades de classe. Ces différences, qui génèrent une plus ou moins grande diversité au sein des classes, sont-elles susceptibles d’affecter les résultats des élèves ?
Le panel d’élèves du secondaire sur lequel porte la recherche a été élaboré par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, du Ministère de l’éducation nationale (DEPP). Il contient plusieurs mesures de performances scolaires, des informations sur l’origine nationale et sur les caractéristiques socioéconomiques des élèves, ainsi que sur le nombre d’élèves étrangers dans les classes de collège. C’est une source d’informations particulièrement riche, permettant de répondre précisément à la question posée.
Il est fabriqué à partir d’un échantillon représentatif d’élèves au niveau national entrés pour la première fois en sixième en 2007 et scolarisés dans un collège public ou privé sous contrat. Les élèves de ce panel ont passé des évaluations standardisées en fin de sixième et de troisième. Ceux qui ont connu un redoublement ont été évalués une nouvelle fois l’année suivante en passant des épreuves similaires. Il est donc possible d’évaluer leur progression scolaire de la sixième à la troisième, tant en français qu’en mathématiques. Cette technique diffère de celle employée par l’OCDE avec l’enquête PISA qui permet des comparaisons des niveaux scolaires entre pays mais qui ne suit pas des cohortes d’élèves sur plusieurs années.
Ces informations sont enrichies de deux autres sources statistiques. La première est constituée par les enquêtes menées en 2008 et 2011 auprès des familles de ces élèves. Ces enquêtes ont permis de recueillir des informations sur leurs caractéristiques sociodémographiques et leur rapport à l’école. Sont également disponibles un certain nombre d’informations sur l’environnement scolaire et social des élèves. : pour chaque établissement et classe fréquentés, sont en particulier connus la part d’élèves étrangers, celles des élèves en retard et la composition sociale . Enfin, la nationalité, les origines migratoires ou celles des parents sont connus pour chaque enfant présent dans le panel.
À l’entrée au collège, les élèves étrangers et français ayant deux parents immigrés sont bien plus fréquemment défavorisés socialement et économiquement. Près d’un enfant sur deux est issu d’un milieu ouvrier ou employé contre un tiers, pour ceux n’ayant pas ou qu’un parent immigré. Un peu moins d’un sur dix a un ou deux parents cadres, enseignants ou exerçant une profession libérale alors que c’est le cas de près d’un quart des enfants français ayant un ou pas de parent immigré. Ils sont également plus souvent exposés à des situations de précarité économique : 27 % vivent dans des familles dont le niveau de vie est très bas. Les élèves étrangers et français ayant deux parents immigrés ont beaucoup plus rarement des mères diplômées : près d’un sur deux a une mère sans diplôme. 20 % ont une mère ayant un diplôme de niveau égal ou supérieur au baccalauréat, contre 50% des enfants français ayant un ou aucun parent immigré.
Les collégiens ayant une part élevée de camarades étrangers dans leur classe sont donc, en général, issus de milieux plus défavorisés et ont un niveau scolaire plus faible à l’entrée en sixième. Ils ont aussi des scores en deçà de la moyenne nationale aux évaluations en mathématiques et en français en fin de sixième. Plus précisément, une augmentation de 10 points de pourcentage de la proportion de camarades de classe étrangers d’un élève – soit deux à trois élèves étrangers en plus dans la classe – est associée à une diminution de 3 % de la moyenne des résultats obtenus en mathématiques et de 3,3 % en français.
Cependant, cet effet apparent diminue rapidement dès que l’on ajoute des variables explicatives. Après prise en compte des variables de niveau scolaire à l’entrée en sixième et de redoublement à l’école primaire, de la catégorie sociale des parents, de leur niveau de revenu, et de la composition sociale de la classe, il apparaît qu’une hausse de 10 points de la part de camarades de classe étrangers ne fait baisser le score moyen en fin de sixième que de 0,5 % en mathématiques et de 0,8 % en français. L’essentiel de la corrélation entre la part d’élèves étrangers dans la classe et les performances scolaires en fin de sixième doit donc s’interpréter par les caractéristiques des élèves qui y sont scolarisés, et non par un effet de la nationalité des camarades de classe.
En fin de troisième, il ne subsiste plus d’effet significatif de la part d’élèves étrangers lorsque nous tenons compte du niveau de l’élève à l’entrée en sixième, de son environnement familial et scolaire, hormis si nous distinguons les élèves étrangers en fonction de leur origine européenne ou non. En effet, une part élevée d’étrangers non européens semble avoir un léger effet négatif sur les scores en mathématiques : une hausse de 10 points de la part d’étrangers non européens est associée à une baisse de 0,5 % de la moyenne des résultats.
Au total, l’effet d’une part de camarades de classe étrangers plus élevée apparaît très modeste, et perceptible seulement en début du collège.
Si la méthode employée permet bien de répondre à la question posée et notamment de distinguer un effet “brut” d’un effet ajusté grâce à la prise compte de variables explicatives complémentaires, les résultats obtenus confirment toute la difficulté d’établir des relations causales entre deux phénomènes. Un constat qui amène à ouvrir de nouveaux chantiers.
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Description complète du projet
Denis Fougère, Olivier Monso, Noémie Kiefer et Claudine Pirus, « La concentration des enfants étrangers dans les classes de collèges. Quels effets sur les résultats scolaires ? », Éducation & Formations, n° 95, p. 139-172, décembre 2017
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