Virginie Guiraudon, directrice de recherche CNRS au Centre d’études européennes, étudie en particulier les politiques publiques d'immigration, d'asile et de contrôle aux frontières en Europe et au-delà. Elle expose ici la diversité des politiques d’intégration et de non intégration menées dans les métropoles. Elle en pointe les enjeux dissimulés et les contradictions.
Une diversité illusoire
T outes les métropoles n’accueillent pas de migrants internationaux. C’est le cas par exemple des conurbations de Tokyo ou d’Osaka au Japon, pays qui malgré son déclin démographique, ne veut pas accueillir d’étrangers. On ne compte que 244 millions de migrants internationaux en 2015, soit 3,3% de la population mondiale, à peine plus que les 200 millions de migrants internes en Chine disposant d’un passeport interne. Si les étrangers s’installent principalement dans les grandes villes, ce sont donc principalement des personnes venant de zones rurales ou de villes moyennes qui expliquent l’urbanisation du monde et l’extension des bidonvilles qui l’accompagne. Pourtant, on associe souvent dans notre imaginaire « métropoles » et diversité, due notamment à la présence d’étrangers de nombreuses nationalités rejoignant des populations plus anciennement installées. Nous viennent à l’esprit leurs quartiers ethniques « Chinatown » juxtaposées aux anciennes « little Italy ».
Des migrants instrumentalisés
Les pouvoirs locaux revendiquent d’ailleurs le caractère multiculturel de leur métropole pour attirer investisseurs, touristes, « talents » ou « creative class » dans le cadre d’une compétition qui ressemble à un jeu Intervilles mondial. Steven Vertovec a bien montré que ce qu’il nomme la « superdiversité » a fait partie du marketing territorial de Londres pour obtenir les jeux olympiques de 2012. Plus avant, de nombreux sociologues comme Saskia Sassen ont souligné que les villes globales désormais tournées vers les services fonctionnent grâce à un nombre important d’étrangers hautement qualifiés mais aussi de migrant.e.s employé.e.s pour s’occuper de leurs enfants ou de nettoyer leurs bureaux.
Dans certains cas extrêmes, comme Dubaï au Qatar, 90% de la population est étrangère. Enfin, les spécialistes des migrations mettent en avant le rôle des réseaux sociaux et des liens transnationaux des migrants avec leurs pays d’origine comme un facteur de développement économique des villes globales.
Des marges de manœuvre
C’est le côté face, comme façade peut-être. Quid du côté pile, lorsque les gouvernements des métropoles, juges et partis, considèrent comme un défi l’arrivée plus ou moins soudaine, rarement ordonnée ou anticipée de façon précise, de migrants internationaux aux ressources et au statut légal divers ? Deux remarques apparemment contradictoires s’imposent. En premier lieu noter que ce sont bien les États qui autorisent l’entrée des étrangers sur le territoire national. Dans certains cas, leurs décisions sont en partie contraintes par des engagements internationaux, par exemple, en Europe, la libre circulation des ressortissants d’autres pays de l’Union ou l’accueil de demandeurs d’asile. En deuxième lieu, si elles ne décident pas qui transite ou s’installe dans leurs métropoles, les autorités locales ont la compétence légale dans certains secteurs d’action publique, la capacité financière et logistique (ou non) d’influer sur le devenir des migrants à leur porte. Par ailleurs, les maires des métropoles parce qu’ils gouvernent des populations importantes sur un territoire à fort enjeux économiques pèsent sur l’action publique nationale grâce à ce capital politique.
Dans certains cas, comme à Los Angeles ou à New York, elles n’hésitent pas à protéger les migrants en situation irrégulière contre la politique fédérale d’expulsion et à créer leur propre carte d’identité locale.
Les chercheurs parlent ainsi de « gouvernance multi-niveaux » des migrations.
C’est ainsi que les mégalopoles peuvent contribuer à l’insertion des nouveaux arrivants mais aussi contribuer à leur ségrégation spatiale et empêcher leur mobilité sociale.
Vers de vraies politiques d’intégration ?
Les questions qui se posent sont nombreuses. La première concerne la politique d’aménagement du territoire des métropoles. Les migrants les moins riches vont-ils rejoindre des lieux excentrés loin des bassins d’emploi, peu reliés par les moyens de transport, et mal dotés en termes de ressources (eau, électricité) ? Vont-ils plutôt revitaliser des quartiers en déshérence du centre, notamment en y développant le commerce, avant de pouvoir s’installer ailleurs ? Quels dispositifs seront mis en place par ailleurs pour faciliter leur insertion, par exemple en termes d’éducation ?
Les études sur les migrants dans les métropoles pointent l’insuffisante prise en compte des points de vue des migrants au profit des populations installées depuis longtemps. Donner une voix et écouter les préoccupations des migrants permettrait d’anticiper ou de remédier à certains problèmes tout comme les inclure dans les services publics comme la police. L’intégration des étrangers est rendue difficile par le court-termisme électoral dans les métropoles européennes, ; à cela s’ajoute la tentation d’ignorer les nouveaux arrivants d’Anatolie ou du Moyen-Orient peu enclins à la contestation telle que l’illustre par la politique d’aménagement de la ville d’Istanbul, voire celle d’alimenter les tensions interethniques pour se maintenir au pouvoir, comme à Johannesburg-Pretoria, en opposant Noirs des townships et migrants africains. Le gouvernement de la diversité passera sans doute par une meilleure représentation politique.
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