Par Laura Morales, CEE*
Les partis politiques traversent, on le sait bien, une crise ; tout du moins pour leur image et le soutien que leur apportent les citoyens. Dans les démocraties établies, le nombre de leurs militants est pour la plupart en chute et l’on peut parler d’une crise de militantisme partisan : le militant est devenu un oiseau rare.
Cependant, il serait prématuré de déclarer la faillite des partis politiques comme forme d’organisation politique. Avec la « Grande Récession » de 2008, de nouveaux partis politiques ont poussé comme des champignons partout en Europe : La République en Marche et La France Insoumise en France, le Mouvement 5 étoiles en Italie, le AfD en Allemagne ou Podemos en Espagne, n’en sont que quelques exemples. En outre, les partis dits « traditionnels » sont restées des organisations qui savent s’adapter aux circonstances et cherchent à innover pour attirer le soutien et l’engagement des citoyens.
L’un des moyens que les partis politiques contemporains mettent en œuvre pour pallier la diminution du nombre d’adhérents et de militants est d’offrir différentes formules d’adhésions : il est possible de s’engager comme « amis », volontaires ou bénévoles, sympathisants, donateurs ou adhérents traditionnels. Ces possibilités d’engagement à la carte et à intensité variable transforment certains partis en ce que l’on appelle les partis à adhésion multi-vitesse (multi-speed membership parties), un terme suggéré par la spécialiste des partis politiques Susan Scarrow. Ces partis offrent non seulement un plus vaste choix de formes d’engagement, mais aussi plus de possibilités de participer directement aux décisions relatives à la vie du parti : choix des dirigeants ou des candidats aux élections. L’idée est de réduire les coûts de l’engagement partisan et d’augmenter les bénéfices offerts. En proposant une multiplicité d’options, les partis transforment la structure d’incitations et de récompenses de l’engagement ; mais, en même temps, ils réduisent la valeur de l’adhésion comme militant traditionnel.
Si les motivations des partis pour développer une telle offre sont compréhensibles, encore faut-il comprendre les raisons qui conduisent certains individus à continuer à militer de façon classique et non à s’engager d’une façon plus souple, par exemple comme sympathisants. C’est à cette question qu’ont cherché à répondre Raul Gómez (Université de Liverpool), Luis Ramiro (UNED), Laura Morales (Sciences Po, CEE) et Jaime Aja (Université de Córdoba) dans leur article «Joining the Party: Incentives and Motivations of Members and Registered Sympathizers in Contemporary Multi-Speed Membership Parties», publié dans la revue Party Politics . Ils y confrontent, pour la première fois, les caractéristiques et les motivations qui séparent ceux qui ont décidé d’adhérer de ceux qui ont opté pour la formule plus souple de sympathisant.
Pour ce faire, les auteurs ont conduit une enquête autour de trois partis de la gauche espagnole — Izquierda Unida, Iniciativa per Catalunya Verds et Equo.
Mobilisant une analyse quantitative des données d’enquêtes réalisées auprès de 4 843 adhérents et sympathisants de ces trois partis, il s’agissait de vérifier si le modèle plus général d’incitations à la participation proposé par les politistes Patrick Seyd et Paul Whiteley (General Incentives Model ) est également valide pour le choix des modes d’engagement partisan.
– Ce modèle distingue trois types d’incitations positives : on pense tout d’abord aux incitations sélectives directement associées à l’engagement au sein du parti (apprentissage de la politique, possibilité de se faire de nouveaux amis, de rencontrer des gens, voire de participer aux primaires restreintes du parti) ou à l’obtention de certaines reconnaissances, comme la nomination à des postes en interne ou comme élu.
– Viennent ensuite les incitations collectives : celles liées à l’obtention potentielle de résultats politiques (par exemple, la possibilité d’introduire des réformes législatives) ou d’augmenter l’influence du parti (notamment, pouvoir déterminer qui forme le gouvernement).
– Il faut enfin prendre en compte les incitations émotionnelles ou affectives qui incluent les récompenses associées à l’altruisme, les normes sociales ou les identités politiques.
Pour autant, le modèle propose aussi des incitations négatives parmi lesquelles les nombreux coûts de l’engagement en termes de temps et d’argent.
Les questionnaires soumis aux adhérents et aux sympathisants des trois partis retenus portaient sur l’importance relative de ces ressorts incitatifs, positifs et négatifs dans leur décision d’adhérer ou de s’engager comme sympathisant. Les auteurs partaient de l’hypothèse que les adhérents traditionnels et les sympathisants fourniraient des réponses divergentes quant aux motivations les plus importantes de leur choix, tout spécialement, sur l’importance attribuée à leur participation dans les élections primaires.
Les réponses récoltées indiquent des différences significatives et intéressantes entre les adhérents et les sympathisants. Les adhérents sont plus motivés par les incitations sélectives du processus (l’apprentissage politique, se faire des nouvelles connaissances et rencontrer des gens avec les mêmes idéaux), les incitations collectives liées aux résultats politiques (comme contribuer à atteindre les objectifs politiques du parti et soutenir le parti financièrement), et les désirs altruistes de s’engager en politique. En revanche, les sympathisants sont plus motivés par les incitations sélectives liées à la possibilité de faire une carrière en politique et à l’opportunité de participer à la sélection des candidats du parti. En d’autres termes, les adhérents sont en général plus idéalistes, et les sympathisants plus pragmatiques.
Par ailleurs, les résultats de l’analyse suggèrent que les adhérents et les sympathisants divergent également concernant certaines caractéristiques socio-économiques. Les personnes ayant une éducation universitaire, les retraités et les étudiants sont moins enclins que les autres individus à rejoindre le parti comme adhérents et deviennent plus souvent sympathisants. Par contre, l’âge, le genre et la radicalité idéologique ne constituent pas des éléments de distinction entre adhérents et sympathisants.
Ces différences notables entre adhérents et sympathisants indiquent que ces deux types d’individu ont des dispositions distinctes vis-à-vis de l’engagement partisan. Elles laissent donc penser que les sympathisants ne constituent pas automatiquement un vivier pour le recrutement d’adhérents.
Laura Morales est professeure de science politique et chercheuse au Centre d’études européennes et de politique comparée. Ses recherches, effectuées dans une perspective comparative, portent en particulier sur les comportement politiques, l'opinion publique, les partis politiques et les politiques d'immigration.