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Quand surveiller les machines est un travail à part entière

chemical industry worker at factory. Crédits : Shutterstock, Dmitry Kalinovsky

Les débats sur la place du travail dans notre société ont un caractère paradoxal. On vante les potentialités de la technique ou on dénonce la domination techniciste, mais on affirme, pour s’en inquiéter ou s’en réjouir, la Au fil du flux Le travail de surveillance-contrôle dans les industries chimique et nucléaire. Presses des Minesdisparition inéluctable du travail. La technique se serait donc émancipée du travail ?
Quoi de mieux pour répondre à cette question sans a priori que de revenir à la sociologie de terrain ? C’est ce qu’ont entrepris  Gwenaële Rot, professeur des Universités à Sciences Po et chercheuse au Centre de sociologie des organisations, et François Vatin, Professeur de sociologie à l’Université de Paris Nanterre et chercheur à l’IDHES. Ils relatent les résultats dans leur ouvrage “Au fil du flux. Le travail de surveillance-contrôle dans les industries chimique et nucléaire”. Aperçu

Travailler, un acte productif

Face à l’idée que le travail serait voué à disparaître pour s’effacer devant les prouesses de la technique, les auteurs ont souhaité partir d’une définition rigoureuse du travail : celle d’être une activité reconnue comme « productive ». Par là, ils attirent notre attention sur le fait que quelles que soient les sources ou/et les modalités de cette reconnaissance (soi-même, ses pairs, l’organisation, le marché…), une activité humaine restera toujours un travail du moment qu’elle participe à la production. Ils invitent donc à  (re) penser la valeur du travail, en s’attachant – quels que soient le secteur, le processus productif ou le niveau de responsabilités –  à décrire précisément les modalités concrètes des activités et leurs formes de reconnaissance sociale.

Surveiller les machines

chemical industry worker at factory. Crédits : Shutterstock, by Dmitry Kalinovsky

Chemical industry worker at factory. Crédits : Dmitry Kalinovsky, Shutterstock

En s’appuyant sur une étude concrète des activités des opérateurs de l’industrie chimique et nucléaire, c’est à dire d’industries très automatisées, Gwenaële Rot et François Vatin posent dans ce livre des questions simples. Que font au quotidien les opérateurs dans ces usines, alors que le temps des hommes est déconnecté de celui des machines ? Comment s’organise la coopération entre travailleurs quand les responsabilités professionnelles sont difficilement attribuables individuellement, mais considérables, du fait des conséquences potentielles de l’erreur ? Comment ces travailleurs sont-ils jugés, par leurs pairs et leur hiérarchie ?  En somme, qu’est-ce que « travailler » dans un tel contexte ?

« Ici, on ne fabrique pas des marshmallows »

Centrale nucléaire de Gravelines- Piscine, by Serge Ottaviani. CC BY-SA 3.0

Centrale nucléaire de Gravelines- Piscine, by Serge Ottaviani. CC BY-SA 3.0

Répondre à cette question a nécessité d’identifier les valeurs productives dans les industries de flux, qui sont, indissociablement, de « sortir le produit » et de garantir la sécurité dans des usines, où, comme il est dit, « on ne fabrique pas des marshmallows ». Dans ce contexte, s’impose la nécessité de répondre à des injonctions contradictoires : le court terme (sortir le produit) ne doit pas entraver le moyen terme (la fiabilité du processus) et plus encore le long terme (la sécurité des installations). Mais le long terme entrave aussi le court terme dans un univers marqué par une bureaucratisation croissante, notamment du fait des normes publiques relayées au sein de la chaîne organisationnelle par le souci de chacun de se « couvrir ».

L’organisation dans ces usines est caractérisée par des jeux de combinaison/opposition entre les pupitreurs qui suivent la production devant leur écran et les rondiers qui contrôlent in situ l’état matériel des installations, mais aussi entre les « postés » travaillant « en trois-huit » et le personnel « à la journée ». Cette organisation complexe génère des redondances et des conflits de territoire, mais assure, dans un désordre apparent, la réalisation conjointe d’exigences profondément contradictoires.

Repenser le travail

L’enquête de terrain dans un contexte productif apparemment très spécifique ouvre ainsi aux questions les plus générales sur les transformations contemporaines du travail.

Au fil du flux. Le travail de surveillance-contrôle dans les industries chimique et nucléaire par  Gwenaële Rot et François Vatin. Presses des Mines – Transvalor, 2017