L’État contemporain en Europe connaît tout à la fois des processus de destruction, de marginalisation et des dynamiques de création et d’expansion. Quels sont les moteurs de ces mouvements contradictoires ? Comment les expliquer? A quel sorte d’État ces mutations conduisent-elles ?
C’est à l’ensemble de ces questions que l’ouvrage collectif « Reconfigurating European states in crisis »* dirigé par Patrick Le Galès, directeur de recherche CNRS au Centre d’études européennes (CEE) et doyen de l’École urbaine de Sciences Po et Desmond King, professorial Fellow, Nuffield College Oxford et associé au CEE, cherche à répondre.
Les auteurs identifient quatre processus majeurs de transformation :
1- Les changements d’échelle
2- Les transformations du capitalisme
Globalisation économique, financiarisation, montée en puissance d’entreprises mondialisées : autant d’éléments protégeant les droits de propriété ou les investissements de puissances privées que les chercheurs considèrent comme limitant l’autonomie des États. Ces derniers s’investissant d’ailleurs et de façon croissante dans l’introduction de mécanismes de marché. Il est aussi notable que les acteurs de marché participent à la reconfiguration de l’État notamment dans le cadre de la crise fiscale. Pour autant, les États restent actifs sur les questions économiques et font évoluer leur mode d’intervention : régulation, fonds souverains, politique d’innovation.
3 – Les réformes internes
La reconfiguration de l’État s’explique aussi par des logiques internes répondant à des “impératifs” de rationalisation et réorganisation. En découlent des réformes de son organisation, son administration, ses instruments, ses équipements. Pour les auteurs, le néolibéralisme n’explique que résiduellement les transformations en cours. Développement de nouvelles technologies, de données, d’informations ; échecs passés en sont aussi des moteurs.
Les agences, l’introduction de mécanismes de marché et les dynamiques de décentralisation se multiplient. L’État apparaît davantage comme un « policy state », un État structuré par les politiques publiques et dont les conséquences ont des effets sur son appareil et ses institutions.4 – Des fonctions régaliennes redéfinies
Enfin la question de l’État est celle de la force, de la violence et de la protection des risques. Le déclin du pilier «armée et défense» des États (peut-être provisoire) va de pair avec des investissements dans les questions de police, de sécurité et de gestion des risques. Pour autant, le tournant sécuritaire ne semble pas s’imposer de façon claire et prégnante, notamment du fait des normes et règles européennes protégeant les libertés.
Pour finir, dans la période récente, les mouvements sociaux ne semblent pas jouer – tout du moins pas encore – un rôle central dans la reconfiguration de l’État.
Jusqu’il y a peu, l’énergie unificatrice de l’État se manifestait par des politiques de réduction des inégalités, des disparités territoriales, et de rationalisation à travers, par exemple, les statistiques, le cadastre, le recensement. Il portait aussi un projet plus ou moins affirmé de normalisation culturelle, passant notamment par les politiques de la langue et les programmes d’intégration. Autant de politiques visant à rendre la société plus lisible et unifiée.
Or les changements structurels et les mécanismes de création/destruction de l’État le distancient de manière croissante de la société conduisant au déclin de son énergie unificatrice : des territoires, des groupes sociaux et d’autres secteurs de la société sont laissés en déshérence. L’État lui même se fragmente et ses actions deviennent de plus en plus sélectives. A l’aménagement du territoire (qui ne fonctionnait plus) a succédé une politique de soutien aux métropoles comme moteurs d’innovation et de développement économique. Les élites ont moins besoin des groupes populaires ou des pauvres pour faire les guerres ou travailler en usine.
Pour autant et en dépit de toutes ces transformations, l’État reste central dans les sociétés européennes. Les crises en cours peuvent faire évoluer les États du côté de l’autoritarisme, de l’état d’urgence et de l’austérité permanente ou bien vers un renouveau démocratique et de nouvelles formes d’action collective et de capacité de régulation. Les différentes crises, et notamment la question du changement climatique, la crise des réfugiés ou le poids de l’extrême-droite sont de puissants déclencheurs de processus de reconfiguration de l’État. Une transition est en cours qui conduit vers un nouveau cycle de l’État.
Ce groupe comprend d’un côté un noyau de chercheurs de Sciences Po (Jenny Anderson, Philippe Bezes, Olivier Borraz, Colin Hay, Bruno Palier, Tommaso Vitale, Benjamin Lemoine (ex post doc) et de l’autre une partie des chercheurs européens comparatifs les plus importants (Colin Crouch, Laszlo Bruzt, Donatella della Porta, Philip Genshel, Michael Keating, Niahm Hardiman, Wolfgang Streeck, Sabino Cassese, Mark Thatcher, Hendrik Spruyt….). Le projet a été largement soutenu par OXPO, l’accord de coopération entre Oxford et Sciences Po.