Le dernier ouvrage de Christine Musselin, directrice de recherche CNRS au Centre de sociologie des organisations, “Propositions d’une chercheuse pour l’université” (Presses de Sciences Po), ne ressemble à aucune de ses nombreuses autres publications. Fine connaisseuse de l’enseignement supérieur auquel elle consacre ses recherches depuis les années 80, elle y propose des pistes d’action précises et concrètes pour améliorer le système universitaire.
Cet ouvrage tombe à propos : afin de préparer la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), le ministère avait demandé à trois groupes de travail de lui soumettre des recommandations, qui ont été remises à l’automne. Les diverses parties prenantes de l’enseignement supérieur français (conférence des présidents d’université, conférence des grandes écoles, Alliances, syndicats,…), ont tour à tour émis les souhaits et attentes de ceux et celles qu’elles représentent.
Paradoxalement, bien que le gouvernement actuel dise regretter que les chercheurs participent insuffisamment à la conception et à la production de l’action publique, ceux et celles qui mènent des recherches sur les politiques universitaires n’ont pas été invités à formuler des orientations basées sur leurs travaux lors de cet exercice. Cet ouvrage entend combler partiellement cet « oubli ». Son ambition est claire : s’appuyer sur des résultats de recherche portant sur l’enseignement supérieur français pour proposer des pistes d’action et de réorganisation. Il part du principe qu’une des conditions indispensables – bien que jamais suffisante – à tout changement est de reposer sur une analyse solide de la situation de départ : c’est précisément ce que les travaux de recherche peuvent apporter.
Dans chacune des trois parties qui structurent cet ouvrage (le pilotage public de l’enseignement supérieur et de la recherche, le fonctionnement interne des universités et les carrières universitaires), Christine Musselin commence par synthétiser sous forme de constats et de diagnostics les principaux enseignements issus de ses recherches sur les universités et les systèmes d’enseignement supérieur français et étrangers. Partant de cette posture, en soi assez inhabituelle pour un chercheur ou une chercheuse, Christine Musselin va plus loin et se lance dans un exercice auquel les académiques se prêtent encore moins volontiers : formuler des propositions qui permettraient d’apporter des solutions aux problèmes révélés par ses diagnostics. Chacun des chapitres est ainsi organisé en deux sections : une première qui présente les constats et une seconde qui suggère des propositions.
Nous ne dévoilerons pas ici les pistes proposées – dont beaucoup ne manqueront pas de faire débats, si ce n’est controverses – et nous laissons aux futurs lecteurs le loisir de les découvrir dans l’ouvrage. Mais sur quels enjeux portent-elles ?
Un premier enjeu concerne les politiques de l’enseignement supérieur et notamment celles qui ont cherché à conjuguer compétition (via les appels sélectifs du programme d’initiative d’excellence) et coopération (via les politiques dites « de site » qui visaient à rapprocher des établissements situés sur un même territoire, selon des formules plus ou moins souples). Si ces politiques n’ont pas été couronnées de tous les succès attendus, elles ont cependant contribué à accentuer la différenciation du système universitaire. Ce faisant, elles ont rendu nécessaire de repenser les modalités d’allocation des budgets publics aux universités afin de tenir compte de la plus grande diversité des profils d’établissement. Pour l’auteure, le risque est grand d’arroser toujours la même parcelle en concentrant les moyens sur les seules « Grandes universités de recherche » et en utilisant le même algorithme d’allocation des moyens quels que soient les établissements.
Ce deuxième enjeu est tout aussi essentiel. En effet, les spécificités organisationnelles des établissements universitaires affectent la manière dont le leadership peut y être exercé. Or, en France, les présidents d’université et les doyens entretiennent des relations de défiance :
les premiers ne font pas confiance aux seconds et préfèrent se reposer sur un nombre toujours plus grand de vice-présidents pour rester en contact avec la base. De leur côté, les doyens – dont le périmètre d’action a été réduit au fil du temps – , se montrent rarement solidaires de la politique de leur établissement. Plus largement, Christine Musselin constate que la séparation, si fortement revendiquée par les acteurs eux-mêmes dans le cas français, entre les attributions des services centraux des établissements (“l’administratif”) et celles des responsables universitaires élus par les conseils (“le politique”) est devenue contre-productive. Elle est souvent source de conflits, notamment du fait que le vice-président en charge d’un domaine attend du service central compétent qu’il suive ses orientations et lui soit dévoué, ce qui n’est pas toujours accepté par ce dernier ou par son supérieur, le Directeur Général des Services. Enfin, la multiplication du nombre de vice-présidents tend de plus à découper l’exercice des responsabilités en silos fréquemment étanches.
Le troisième enjeu est celui de la transformation des carrières. En effet, les modalités de recrutement qui relevaient dans les années 1970 d’un concours national où postes et candidats étaient relativement indifférenciés, se sont transformées en un marché du travail sur lequel les universités cherchent des candidats spécifiques répondant à leurs besoins particuliers en recherche et en enseignement.
Les procédures de recrutement actuelles, et notamment le passage obligatoire par l’instance centrale qu’est le CNU (Conseil national des universités), ne sont plus adaptées à ces évolutions. Elles sont aussi peu compatibles avec leurs équivalents à l’étranger, en particulier en Europe où coexistent des modes très variés de gestion des carrières universitaires. Sans compter que les universités accueillent encore trop mal les nouveaux entrants, qui se voient souvent attribuer les tâches dont ceux qui ont plus d’ancienneté ne veulent pas, alors que toutes les recherches montrent le rôle fondamental des premières années d’emploi pour l’ensemble de la carrière.
Les chantiers proposés dans cet ouvrage ne sauraient être tous menés en même temps et devraient être hiérarchisés. Ils susciteront par ailleurs probablement des réactions d’opposition, et ne sont peut-être même pas tous souhaitables. Mais ce livre a le mérite d’ouvrir le débat et d’identifier plusieurs des défis auxquels l’Université française doit se frotter et non tourner le dos.
Christine Musselin travaille sur les universités en tant qu’organisations présentant des formes de fonctionnement spécifiques et mène un ensemble de recherches sur les politiques d’enseignement supérieur. Elle s’intéresse également aux marchés du travail académiques. Ses travaux se situent donc au croisement de la sociologie des organisations, la sociologie de l’action publique et la sociologie économique. La très grande majorité de ces recherches a été conduite dans une perspective comparative et portait notamment sur la France, l’Allemagne et les États-Unis.