Par Philippe Bezes
Avec quelles fréquences et quelle intensité les organisations administratives publiques sont-elles créées, scindées, fusionnées, réformées en les déplaçant dans la hiérarchie ou en changeant leurs noms ou même le supprimant ? En France, chaque année, environ 18 % des principales structures internes des administrations centrales des ministères (directions générales, services, directions, sous-directions) sont concernées sur une moyenne annuelle de 1330 entités entre 1980 et 2014.
Le graphe ci-dessous (réalisé par Yuma Ando, assistant-statisticien au Centre d’études européennes et de politique comparée) donne à voir l’évolution de ces réorganisations de 1980 à 2014, présentées par mandature de Premier ministre.
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De façon notable, ce graphe montre d’abord que les réorganisations sont plus nombreuses lors des deux premières années des mandats des gouvernements : restructurer les ministères sert à afficher symboliquement des objectifs nouveaux de politiques publiques, mais surtout à redistribuer le pouvoir et l’expertise entre les structures administratives afin de réorienter le cours des politiques suivant les engagements pris dans les programmes électoraux.
On n’observe pas de différence gauche-droite importante dans l’usage des réorganisations. La « politique de l’organisation » (1)Bezes, Le Lidec, Politiques de l’organisation. Les nouvelles divisions du travail étatique, Revue française de science politique, 2016 — c’est-à-dire le fait de remanier les structures administratives — semble donc faire partie des instruments d’exercice du pouvoir, quelle que soit la couleur du gouvernement.
On observe enfin des variations dans le nombre de réorganisations d’une mandature de Premier ministre à une autre, qu’il faut cependant rapporter à leur durée : la moyenne annuelle des restructurations par mandat de Premier ministre (courbe noire) montre que les gouvernements Mauroy, Fabius et Cresson à gauche, et les gouvernements Chirac, de Villepin et Fillon à droite, ont connu des vagues importantes de réorganisation des ministères. Les modalités de réorganisations sont variées, mais on peut noter l’importance des créations et des terminaisons, et souligner aussi que les moins nombreuses quantitativement (scissions, fusions) peuvent être celles qui produisent le plus d’effets de redistribution des pouvoirs dans les administrations centrales.
Ce graphe est tiré d’une base de données originale constituée dans le cadre du projet comparatif Structure and Organisation of Governments Project (SOG-PRO), ayant bénéficié d’un financement Open Research Area Plus (ORA)) entre 2014 et 2019 croisant les ressources de l’Agence nationale de la recherche (ANR) pour la France (13-ORAR-004-01), de la German Research Foundation (DFG) pour l’Allemagne, de l’Economic and Social Research Council (ESRC) pour la Grande-Bretagne et de la Dutch Research Council (NWO) pour les Pays-Bas. Le projet est coordonné pour la France par Philippe Bezes, directeur de recherche CNRS au CEE et l’équipe SOG-PRO France est désormais constituée de Timothée Chabot (docteur en sociologie de l’Institut européen de Florence, maître de conférences en sociologie à l’Université Toulouse 2) et Scott Viallet-Thévenin (docteur en sociologie de Sciences Po, chercheur associé au Centre de sociologie des organisations, Sciences Po). Le projet associe trois autres équipes de recherche basées dans les universités de Leiden (coordinateur Kutsal Yesilkagit), de Potsdam (coordinatrice Julia Fleischer) et d’Exeter (coordinateur Oliver James).
Notes[+]
↑1 | Bezes, Le Lidec, Politiques de l’organisation. Les nouvelles divisions du travail étatique, Revue française de science politique, 2016 |
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