par Marc Lazar
Depuis plusieurs décennies, la montée du populisme suscite un intérêt grandissant dont s’emparent les recherches de nombreuses disciplines : science politique, philosophie, sociologie, économie, histoire, psychologie etc. Il ne se passe pas un jour sans qu’un chercheur travaillant ce sujet ne reçoive une alerte lui indiquant la publication d’un livre, d’un article dans une revue académique, d’un rapport d’un think tank, la tenue d’un séminaire ou d’un colloque. À Sciences Po, nous sommes plus d’une trentaine de chercheur.e.s, tant seniors que juniors, qui y consacrons des travaux.
Au-delà de nos différences de conceptualisation, d’approches et de méthodologies, un point commun nous réunit : prendre le populisme au sérieux. Nos travaux ne visent pas à accuser tels ou tels acteurs politiques (ni dirigeants, ni citoyens) pour dénigrer et stigmatiser leurs positions. Nos recherches ne sont pas plus inspirées d’une posture revendiquée, souvent adoptée par certains responsables politiques, qui accusés d’être populistes, retournent ce stigmate, pour reprendre la célèbre formule du sociologue Howard Becker(1) Journet, Nicolas. « Outsiders : études de sociologie de la déviance », Xavier Molénat éd., La sociologie. Éditions Sciences Humaines, 2009, pp. 93-94. , et le portent haut et fort.
Nous réfutons aussi la position adoptée par les chercheurs qui refusent d’employer le terme de populisme considérant que le flou de cette notion, l’inflation de son usage et son incessante instrumentalisation en interdisent l’étude scientifique. Au contraire, nous estimons que le populisme constitue une question essentielle que l’on ne peut ignorer, relativiser ou contourner en recourant à d’autres termes. Certes, nous sommes conscients que « populisme » est un mot-valise ainsi que de l’impérieuse nécessité d’en proposer une définition opératoire. Celle-ci doit permettre de souligner l’unité fondamentale du populisme afin d’en cerner son essence et son importance. Mais, elle doit aussi permettre, dans un même mouvement, d’appréhender la diversité des formes qu’il emprunte selon les époques et les pays. Il nous revient aussi d’analyser ses multiples caractéristiques politiques et sociologiques et l’hétérogénéité des mouvements et partis ainsi qualifiés selon qu’ils sont dans l’opposition ou au pouvoir.
Ce numéro de Cogito n’a nulle prétention à l’exhaustivité. Il entend donner un aperçu de la richesse et de la variété de nos recherches à ce sujet. ainsi qu’à apporter des éclairages sur sa complexité. Constitué d’une dizaine de contributions de politistes, d’économistes, d’historiens et d’une spécialiste des sciences cognitives, il s’organise autour de deux axes permettant des approches comparatives.
Le premier axe s’intéresse aux « populismes-mouvements », pour reprendre la formulation proposée par Hannah Arendt dans sa fameuse étude sur les Origines du totalitarisme. Cette approche rejoint aussi de travaux d’historiens du fascisme qui distinguent les caractéristiques qu’il a pris avant son arrivée au pouvoir et les traits que lui imposa le Duce une fois parvenu aux commandes de l’État. Il s’agit de comprendre les raisons politiques, économiques, sociales, culturelles, de l’essor des partis populistes encore à l’opposition, avec une attention particulière portée à l’Europe.
Le second axe privilégie l’analyse des régimes populistes, leurs systèmes politiques, leur emprise sur les sociétés, la subversion progressive des institutions entreprise par le chef populiste avec la possibilité de basculement vers un régime autoritaire (au sens donné, de manière classique pour la science politique, par Juan Linz (2)voir Juan J. Linz, Régimes totalitaires et autoritaires, Paris, Armand Colin, 2006, réédition ; « Lectures », Pôle Sud, 2007 . Mais il s’agit aussi de démontrer qu’il existe des formes de résilience des institutions démocratiques et des mobilisations de la société civile qui peuvent contrecarrer l’érosion de la démocratie.
Le XXIe siècle a commencé comme étant celui du populisme ainsi que le proclame le titre du dernier ouvrage de Pierre Rosanvallon « Le Siècle du populisme : Histoire, théorie, critique »(4)Pierre Rosanvallon » Le Siècle du populisme. Histoire, théorie, critique« , Éditions du Seuil, janvier 2020. Un peu comme on a pu dire que le XIXe siècle fut celui des nationalismes et le suivant, celui des totalitarismes. Ces formules, on le sait, sont à la fois suggestives et réductrices. Il n’en demeure pas moins que comprendre le populisme et les populismes est un enjeu majeur, indissociable d’interrogations sur l’état et le devenir de la démocratie. À ce titre, il est et restera un des champs d’études majeur à Sciences Po comme dans d’autres institutions universitaires.
Marc Lazar a assuré la direction scientifique de ce dossier. Professeur des universités et directeur du Centre d'histoire de Sciences Po, il consacre l'essentiel de ses recherches sur l'histoire et la sociologie politique des gauches et des populismes en Europe. Parmi ses publications récentes à ce sujet, on peut noter avec Mathieu Fulla, European Socialists and the State in the Twentieth and the Twenty-First Century, Palgrave, 2020, “À propos du populisme” Histoire@Politique, Décembre 2020 (open access) et avec Ilvo Diamanti, Peuplecratie. La métamorphose de nos démocraties, Gallimard, 2019.
Notes[+]
↑1 | Journet, Nicolas. « Outsiders : études de sociologie de la déviance », Xavier Molénat éd., La sociologie. Éditions Sciences Humaines, 2009, pp. 93-94. |
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↑2 | voir Juan J. Linz, Régimes totalitaires et autoritaires, Paris, Armand Colin, 2006, réédition ; « Lectures », Pôle Sud, 2007 |
↑3 | Cas Mudde, The ideology of the extreme right, Manchester University Press, 2020 |
↑4 | Pierre Rosanvallon » Le Siècle du populisme. Histoire, théorie, critique« , Éditions du Seuil, janvier 2020 |