Virginie Guiraudon, politiste au CEE, consacre une large partie de ses travaux aux politiques migratoires européennes. Son approche repose notamment sur une analyse des interactions entre acteurs que ce soit des jeux d'échelle (Europe/nations/acteurs privés) ou entre types d'acteurs à une même échelle (direction/ministères...). Elle explore également les pratiques liées à ces politiques.
Virginie Guiraudon retrace comment, dès les premières négociations autour de l’application de l’accord de Schengen, les ministères de l’Intérieur ont pris le pas sur les autres ministères et sont parvenus à faire de Schengen un dispositif sécuritaire. Une orientation qui sera renforcée avec la chute du Mur, l’arrivée de migrants des pays de l’Est, les trafics en tous genres qui y firent suite et enfin le 11 septembre 2001. Autant d’épisodes qui permirent aux promoteurs du contrôle des frontières de justifier leurs orientations.
Elle montre que les fondements sécuritaires ont perduré lors de l’intégration de la question migratoire à la politique étrangère de l’UE. C’est que dans un esprit de compétition entre administrations, il devenait impossible aux diplomates de ne pas « suivre ». Les accords signés par la suite (notamment Barcelone 1995 et Tempere 1999) ont visé à éloigner les migrants en aidant les pays voisins de l’UE à se développer mais aussi, voire surtout, à contenir les migrants et à neutraliser les passeurs, donnant par là le coup d’envoi à la création de centres de rétention aux frontières de l’Europe puis en son sein.
Virginie Guiraudon établit aussi que malgré une série d’accords destinés à donner à l’UE des prérogatives de plus en plus importantes en matière migratoire (Amsterdam 1999, Lisbonne 2007), la marge de manœuvre de l’UE est restée limitée, puisque l’essentiel – c’est à dire la mise en pratique des politiques – reste du ressort des États.
Autre limite : la règle de l’unanimité qui tend à privilégier les accords autour du plus petit dénominateur commun. Ce faisant, elle a contribué à resserrer les conditions d’entrée dans l’UE via la Convention du Dublin III (2013), qui établit qu’une demande d’asile doit être examinée dans et par le pays d’arrivée (one stop, one shop). Conséquence inévitable : l’accueil des migrants est essentiellement revenu aux pays du Sud et Sud-Est de l’Europe. Un déséquilibre encore renforcé par l’inégalité des pays membres face à leurs engagements : si le Royaume Uni a pu choisir une option de retrait lui permettant de ne pas appliquer Schengen dans sa totalité, les pays de l’Est ont dû, lors de leur intégration, accepter l’ensemble des dispositifs européens ou en ont été exclus à leur détriment (Roumanie, Bulgarie). Dans ce contexte, la proposition d’établir des quotas émise par le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Junker, ne pouvait que se heurter aux pratiques des États membres qui, de fait, ont conservé l’essentiel de leur souveraineté en la matière.
L’Europe de l’Est ne fait pas bloc Dans une étude publiée en mars 2016, Jan Rovny, politiste au Centre d’études européennes et au LIEPP, invite à avoir une vision nuancée de la réaction des pays est-européens face à la crise migratoire. Il attire l'attention sur les divisions politiques intérieures propres à chaque pays, à leur géographie, leur histoire, tant sous le communisme qu’à sa sortie. Il évoque aussi l’importance de la configuration « ethnique » de chaque pays. Au total, il dresse une typologie de trois modèles permettant de mieux comprendre et différencier les politiques migratoires est-européennes. Lire l’étude : Is Eastern Europe Uniformly Anti-Immigrant? Not so fast. : Understanding immigration policy positions and policy change in Eastern Europe.
Les travaux de Virginie Guiraudon portent aussi sur les réseaux de passeurs, devenus quasi incontournables pour atteindre les frontières de l’UE. Elle les décrit habiles à s’adapter, à mettre en place de nouveaux itinéraires, de nouvelles méthodes, à trouver des alliés notamment parmi les réseaux de la drogue. Il ne s’agit plus d’amateurs mais de professionnels aux tarifs en croissance exponentielle, incluant notamment le prix des corruptions.
Quant au coût des naufrages, il est tout d’abord humain : les noyés se comptent par dizaines de milliers, les naufragés par centaines de milliers. De 2013 à 2014, l’opération Mare Nostrum, créée par Enrico Letta alors Premier ministre de l’Italie et aujourd’hui doyen de l’École des affaires internationales de Sciences Po, parvient à sauver plus de 150.000 naufragés. Coût de l’opération ? Plus de 9 millions d’euros par mois. Trop cher pour l’Italie insuffisamment aidée par le “Fonds européen pour les réfugiés”. Mare Nostrum est remplacée par l’opération européenne dite Triton, 3 fois moins dotée, bien que faisant partie de l’agence Frontex dont le budget est passé de 6,3 millions d’euros à sa création en 2005 à 114 millions aujourd’hui et dont la mission de surveillance est par ailleurs prépondérante.
La rétention administrative étudiée par nos juristes Le constat de l’inefficacité des politiques sécuritaires est confirmé par une enquête sur les effets de la rétention administrative sur les parcours migratoires en France conduite par la Clinique de l’École de Droit de Sciences Po, sous la direction de Jeremy Perelman, en partenariat avec France Terre d’Asile. Conduite par Charles Gosme, docteur en Droit de Sciences Po, et par une équipe d’étudiants de la Clinique auprès d’un échantillon restreint mais représentatif de migrants ayant connu cette situation, cette enquête montre que la plupart d’entre eux ne songent pas à quitter la France après cette expérience - pourtant souvent traumatisante - pour rejoindre un autre pays européen. Ainsi le risque de rétention n’a-t-il pas ou peu d’impact sur la décision d’immigrer, en particulier chez les personnes ayant subi des violences dans leur pays d’origine. Lire l'étude : L'effet de la rétention administrative sur les parcours migratoires : une illusion ? (Pdf, 703 Ko)
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Bibliographie sélective