Quels sont les impacts d’une crise économique sur le niveau de criminalité ? C’est à cette question classique mais jamais vraiment résolue que Roberto Galbiati– chercheur au Département d’économie – , Vincent Bignon et Eve Caroli essaient d’élucider dans leur article “Stealing to Survive? Crime and Income Shocks in Nineteenth Century France” (“Voler pour survivre? Crime et chocs de revenu en France au XIXe Siècle”) à paraître dans The Economic Journal.
Crises économiques et taux de criminalité
Cette question est importante car on sait qu’une criminalité élevée décourage l’implantation d’entreprises et l’arrivée d’une main-d’œuvre qualifiée, affectant de ce fait la santé économique. Ici l’idée des chercheurs à été de poser la question dans l’autre sens : est-ce qu’un ralentissement économique fait augmenter le taux de criminalité ? Si oui, alors s’enclencherait un cercle vicieux : crise, criminalité, moindre dynamisme économique – prolongeant l’effet de la crise originelle.
Cependant établir et mesurer les liens de cause à effet entre criminalité et économie est ardu tant les facteurs pouvant y jouer un rôle sont nombreux. Pour surmonter cette difficulté, Roberto Galbiati et ses co-auteurs ont adopté une approche originale en se basant sur un cas « grandeur nature » : la crise du phylloxera qui a touché la France au XIXe siècle et généré une crise économique d’importance.
Le phylloxera, l’Attila de la vigne
Cette crise touche à un des secteurs les plus représentatifs de l’économie française : la production de vin. Grâce à l’expansion des transports à vapeur – avancée technologique majeure de cette époque – un insecte quasi microscopique du nom de Phylloxera vastatrix a et survécu au long voyage entre l’Amérique du Nord (sa région d’origine) jusqu’en France où il est arrivé en 1863. Alors qu’il était totalement inoffensif dans son écosystème d’origine, il a fait de vrais ravages sur les vignobles français qu’il a détruit à hauteur de 40% de 1863 à 1890 en aspirant la sève des ceps.
Ce qui est intéressant dans cette crise c’est que sa propagation a pris du temps faisant que les régions viticoles n’ont pas toutes été frappées au même moment. Par ailleurs, d’une région à l’autre, les capacités de production étaient très différentes. On a donc à faire à un cas idéal pour identifier l’impact d’une crise économique générée par un variant exogène sur la criminalité en disposant de données très précises couvrant 75 départements – une étendue spatiale incroyable !
Des données d'une richesse inégalée Cette étude a été rendue possible par l’existence de données établies de 1826 à 1936 par le Ministère de la Justice sur la base des casiers judiciaires, et ce département par département. Par ailleurs, ces données distinguant les atteintes aux personnes, les crimes contre les biens et les délits mineurs, permettent non seulement de mesurer l’impact de la crise sur le niveau de criminalité mais aussi d’en distinguer la nature.
Une augmentation sensible du taux de crimes contre les biens
Pour évaluer l’impact effectif de cette crise, Roberto Galbiati et ses coauteurs ont collecté – département par département – des données administratives sur les crimes aux personnes et les crimes contre les biens, ainsi que les délits mineurs, afin de voir si le taux de criminalité avait augmenté au moment où chaque département était touché par la crise.
Les résultats suggèrent que la crise a fait considérablement augmenter le taux de crimes contre les biens et baisser le taux de crimes sur les personnes de façon significative. L’effet sur les crimes contre les biens s’explique par la baisse de revenus provoquée par la crise inclinant les personnes à commettre des crimes contre les biens pour survivre à leur pauvreté. En même temps, la crise phylloxera a eu un impact positif : en raison de la baisse de la consommation d’alcool engendrée par la pénurie de vin (qui ne peut pas être remplacé…), le taux de crimes de violence a fortement réduit !
Que retenir des ces résultats pour les politiques publiques ? Que les crises et les réductions d’effectifs, phénomènes a priori temporaires peuvent – via la multiplication de crimes contre les biens – avoir des effets de long terme et ce faisant doivent être considérés comme une priorité.
Roberto Galbiati est un chercheur CNRS et professeur au département d’économie à Sciences Po. Ses recherches portent sur les liens entre l’économie, les normes et les institutions
Référence : Bignon, V., Caroli, E. and Galbiati, R. (2017), Stealing to Survive? Crime and Income Shocks in Nineteenth Century France, Econ J, 127: 19–49. doi:10.1111/ecoj.12270