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24.11.2021

Le cercle vertueux de la réduction des inégalités salariales : de la réduction des violences domestiques aux potentiels effets intergénérationnels

D’après l’enquête « Cadre de vie et sécurité » menée conjointement par l’INSEE, le Service statistique ministériel de la Sécurité intérieure et l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, chaque année entre 2011 et 2018, 0,8 % des individus ayant entre 18 et 75 ans (1 sur 120) déclarent avoir subi des violences au sein de leur ménage. Les femmes sont surreprésentées par rapport aux hommes. En effet, chaque année entre 2011 et 2018, 1,1 % des femmes ayant entre 18 et 75 ans ont déclaré avoir été victime de violences au sein de leur ménage (contre 0,6 % des hommes situés dans la même tranche d’âge). À l’occasion du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, la Chaire revient sur les liens existant entre les violences domestiques et les inégalités salariales. 

I - Les femmes les plus modestes et concernées par l’inactivité professionnelle sont davantage exposées aux violences conjugales

Les violences domestiques sont plus élevées chez les ménages les plus modestes. Selon l’enquête « Cadre de vie et sécurité », la proportion annuelle moyenne de victimes de violences entre 2011 et 2018 s’élève à 1,2% chez les ménages les plus modestes (contre 0,7% chez les plus aisés).

Source : Enquêtes Cadre de vie et sécurité 2012 à 2019, Insee-ONDRP-SSMSI

Les violences domestiques sont également particulièrement élevées chez les inactifs. Entre 2011 et 2018, chaque année, la proportion moyenne de victimes de violences s’élevait à 1,3% chez les chômeur.e.s, 1,3% chez les inactif.ve.s non retraités (femmes au foyer incluses) et 1,4% chez les étudiant.e.s. (contre 0, 9% pour les personnes en emploi). Ce constat corrobore l’enquête Violences et rapports de genre (Virage) réalisée en 2015 par l’INED, qui se base sur un vaste échantillon de 27 268 personnes. D’après cette enquête, la violence domestique est « fortement corrélée » à l’absence d’activité professionnelle. Ainsi, environ 2 % des femmes vivant dans un ménage où l’un des conjoints ou les deux conjoints sont en rupture d’activité déclarent subir des atteintes « fréquentes ou graves » (contre 1% pour les femmes vivant dans des ménages où les deux conjoints sont actifs). De plus, environ 1% des femmes vivant dans un ménage où l’un des conjoints ou les deux conjoints sont en rupture d’activité déclarent subir des atteintes « très graves » (contre 0,5%  environ des femmes vivant dans des ménages où les deux conjoints sont actifs). Ces données concernent des femmes âgées de 20 à 69 ans, résidant en France métropolitaine et ayant été engagées dans une relation hétérosexuelle égale ou supérieure à 4 mois au cours des 12 derniers mois précédant l’année 2015.

Ainsi, si les femmes concernées par l’inactivité professionnelle et les femmes les plus modestes sont davantage exposées aux violences conjugales, réduire les inégalités salariales existant entre les hommes et les femmes pourrait-il permettre de réduire ces violences ?

II - Le cercle vertueux de la réduction des inégalités salariales : réduire les inégalités salariales pourrait réduire les violences domestiques, et in fine, améliorer la santé des femmes et le bien-être des enfants

Dans un travail de recherche publié en 2010, Anna Aizer revient sur les liens existant entre violences domestiques et inégalités salariales. En s’appuyant sur un cadre théorique économique de négociation au sein des ménages (qui prend en compte la violence), la chercheuse trouve qu’une diminution des écarts salariaux conduit à une réduction des violences domestiques envers les femmes.

Le cadre théorique utilisé par l’auteure (celui de la négociation au sein des ménages hétérosexuels) pose l’idée selon laquelle la réduction des inégalités salariales au sein d’un couple permet à la femme d’augmenter son pouvoir de négociation et s’accompagne d’une baisse de la violence potentielle (puisqu’il augmente ses « options de sortie »). Afin de tester cette théorie, l’auteure analyse l'impact des écarts salariaux sur la violence domestique subie par les femmes, et ce, en se fondant sur les changements exogènes dans la demande de main-d'œuvre dans les secteurs à prédominance féminine par rapport aux secteurs à prédominance masculine. 

Pour ce faire, la chercheuse mesure les violences domestiques en utilisant les données administratives relatives aux taux d’hospitalisations des femmes pour agression dans l’Etat de Californie entre 1990 et 2003. Cette nouvelle manière de mesurer les violences domestiques représente une avancée par rapport aux précédents travaux de recherche (qui mesuraient les violences domestiques en se fondant sur des données provenant d’enquêtes qui pouvaient parfois mener à des sous-déclarations et dont les données n’étaient pas toujours collectées de manière continue dans le temps). 

Dans son article, la chercheuse trouve que la réduction de l'écart salarial entre les hommes et les femmes explique 9 % de la diminution de la violence domestique observée entre 1990 et 2003. Ces résultats de recherche s’opposent à la théorie du « male backlash », selon laquelle une augmentation du salaire des femmes conduit à un accroissement de la violence domestique qui est exercée à leur égard, certains hommes sentant leur rôle traditionnel de genre menacé. Les résultats de recherche de l’article (qui montrent que la violence domestique a diminué en dehors des heures de travail) s’opposent également au modèle théorique de l’« exposure reduction », selon lequel l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail s’accompagne d’une diminution de la violence à leur égard puisqu’elles passent moins de temps avec leur conjoint responsable des violences. En effet, dans son article, Anna Aizer a trouvé que la violence domestique a diminué en dehors des heures passées au travail.

Les résultats de recherche d’Anna Aizer invitent ainsi à approfondir et explorer davantage les effets positifs de la diminution des inégalités économiques et salariales sur d’autres aspects de la vie des femmes, comme leur santé (ou même le bien-être des enfants). Car, si elle permet une répartition des ressources plus équitable et plus juste entre les hommes et les femmes, la réduction des inégalités salariales pourrait également avoir des impacts positifs sur la réduction des violences domestiques, et donc, sur la santé des femmes. Les violences domestiques ayant également des conséquences sur le bien-être des enfants, leur réduction pourrait avoir des impacts positifs sur le développement de ces derniers. 

Ainsi, la diminution des écarts salariaux permettrait non seulement d’assurer une plus juste répartition des ressources entre hommes et femmes, mais également de diminuer les violences domestiques, et donc, in fine, la santé des femmes et le bien-être des enfants. Ce cercle vertueux devrait inciter les pouvoirs publics à intensifier leurs efforts pour diminuer encore davantage les inégalités salariales entre femmes et hommes.