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13.04.2022
Patriarcapitalisme
INTRODUCTION
Publié en 2021, le livre Patriarcapitalisme présente comment les normes culturelles et le système économique expliquent les inégalités femmes-hommes et leurs évolutions. Pauline Grosjean, chercheuse en sciences économiques, spécialiste des inégalités de genre et autrice du livre, définit le patriarcapitalisme comme un système économique dans lequel « les normes culturelles sont à la fois le produit, la matrice et la justification des inégalités économiques entre les femmes et les hommes ».
Au 21ème siècle, les écarts salariaux et le plafond de verre persistent malgré les progrès dans l’emploi des femmes, les métiers dits féminins sont systématiquement dévalorisées et les violences domestiques et le harcèlement au travail touchent majoritairement les femmes. En reprenant des études sur ces sujets, l’autrice soutient que la culture et l’identité de genre sont le principal obstacle à l’égalité femmes-hommes. En s’interrogeant sur l’origine et l’évolution des normes culturelles de genre, Pauline Grosjean nous invite à prendre conscience du poids de ces normes et à les réinventer.
L’économiste décrit premièrement les évolutions des inégalités de genre au cours du XXème siècle. Ensuite, elle présente une revue de littérature et une remise en question des explications proposées par d’autres chercheur.e.s. Dans une troisième partie, elle présente les déterminants et la construction des normes culturelles de genre, fil conducteur de l’ouvrage. La dernière partie du livre interroge l’efficacité des politiques publiques et privées pour pallier les inégalités et stéréotypes de genre, tout en proposant des alternatives pour surpasser l’obstacle des normes culturelles. Cet article résume les idées principales du livre.
I. L’ÉVOLUTION DES INÉGALITÉS FEMMES-HOMMES AU COURS DU 20ème SIÈCLE
Au cours du 20ème siècle, de nombreux événements ont favorisé des changements culturels durables qui ont permis la progression des femmes sur le marché du travail, la réduction des écarts salariaux et même un renversement des écarts de genre dans l’éducation.
La mobilisation des femmes lors des deux guerres mondiales a changé la vision de la participation des femmes au marché du travail, notamment des enfants, maris et proches des femmes mobilisées. Ainsi, malgré les politiques publiques visant à favoriser le retour à l’emploi des hommes, les guerres ont eu un effet durable et irréversible sur les attitudes concernant la participation des femmes au marché du travail.
A ce phénomène s’ajoutent le baby-boom et la libération sexuelle des années 60-70 avec l’invention et l’autorisation de la pilule. C’est en passant par le pouvoir de négociation des femmes au sein du marché du mariage et au sein des couples que le baby-boom et la pilule ont retardé l’âge du mariage et du premier enfant et ainsi permis aux femmes de progresser dans leurs carrières.
Ces changements ont été accompagnés de lois supprimant la notion de salaire féminin (1), et autorisant les femmes mariées à travailler sans l’autorisation de leur mari (respectivement en 1946 et 1965 en France). Cependant, malgré les lois contre la discrimination salariale et le renversement des écarts éducatifs dans les années 80, la discrimination à l’embauche et la dévalorisation des métiers féminisés (professeur.e.s d’écoles, journalistes…) résulte en une persistance des écarts salariaux. Les femmes restent par ailleurs sous-représentées dans les filières plus rémunératrices et la maternité les pénalise fortement en termes de revenus et perspectives de carrières.
II. LES EXPLICATIONS PROPOSÉES
Les inégalités femmes-hommes dans le monde du travail ne sont plus expliquées par les écarts d’éducation ou d’expérience. De nombreuses études montrent que ces différences sont étroitement liées aux normes sociales et stéréotypes dans le milieu éducatif, professionnel et au sein des couples hétérosexuels. Les différences psychologiques telles que le goût pour la compétition et le risque semblent être aussi déterminées culturellement. Elles disparaissent lorsque l’on étudie des sociétés matrilinéaires et elles ont moins d’effets lorsque l’on étudie des couples homosexuels par exemple.
Plutôt que d’être moins compétitives ou ambitieuses, il semblerait que les femmes aient intériorisé les attentes de la société et le coût de dévier des normes sociales. Ainsi, elles ont tendance à se montrer moins ambitieuses en termes de carrière et de salaires, travailler à temps partiel pour s’occuper des enfants ou bien à prendre en charge une part plus importante des tâches ménagères. Ceci touche même les femmes très éduquées et ayant des revenus potentiels très élevés, comme le montre une étude menée auprès d’étudiant.e.s en MBA aux États Unis, dans laquelle les chercheur.e.s parlent de Acting Wife (jouer le rôle d’épouse en français).
III. LES ORIGINES ET LES ÉVOLUTIONS DES NORMES CULTURELLES DE GENRE
Ainsi, il est important de s’intéresser aux origines de ces normes. Contrairement à l’idée selon laquelle les femmes étaient reléguées aux tâches domestiques dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, les données montrent que ces sociétés auraient été plus égalitaires. Selon l’autrice, c’est avec le développement de l’agriculture que les normes culturelles de genre commencent à s’établir. Avec l’agriculture, on observe une spécialisation des hommes dans la production agricole et des femmes dans la production domestique.
La spécialisation dans la production et les normes de genre évoluent avec la technologie et les chocs démographiques, qui déterminent le rendement du travail des hommes et des femmes. Le livre présente le cas du déséquilibre démographique en Australie aux 18-19ème siècles et les conséquences à long terme sur les croyances concernant les normes de genre, étudiées par Pauline Grosjean et Rosa Khattar dans une étude publiée en 2015.
D’autre part, si certaines normes ont asservi les femmes à la production domestique et pèsent sur le choix de filières et les ambitions de carrière, des normes de masculinité existent aussi. Façonnées par les circonstances économiques et démographiques, elles ont des effets néfastes sur la santé, l’économie, la politique et les violences. Les hommes sont ainsi aussi victimes de ce système.
Un enjeu central est donc celui du changement de ces normes culturelles de genre. En s’appuyant sur les résultats d’une expérience conduite en Arabie Saoudite qui consistait à informer sur la position d’autres hommes sur le travail des femmes, Pauline Grosjean défend que l’information est un facteur de changement. Elle défend l’idée du changement social par le savoir, selon laquelle nos comportements, qui sont influencés par nos croyances et nos perceptions sur les croyances des autres, peuvent évoluer grâce à la remise en question du discours dominant par l’information ou la migration.
IV. LES POLITIQUES PUBLIQUES ET PRIVÉES
Finalement, l’économiste s’interroge sur l’efficacité, ou plutôt sur les raisons de l’inefficacité des politiques publiques existantes visant à réduire les inégalités de genre sur le marché du travail. Selon elle, la plupart des politiques d’égalité échouent puisqu’elles « visent à protéger le rôle maternel et ménager des femmes plutôt que leur travail ». Ainsi, il faudrait trouver des alternatives, par exemple au seul congé maternité, afin de pallier le déséquilibre de la charge de travail à la maison et les pénalités inégales lors du retour à la vie active. Il est aussi nécessaire de s’attaquer aux obstacles sociaux et culturels qui affectent l’efficacité de ces politiques.
Au sein des entreprises, c’est la vision de l’égalité femmes-hommes qui freine l’efficacité des mesures selon Pauline Grosjean. De nombreux pays demandent aux entreprises de rendre publics des rapports concernant les politiques d’égalité, cependant le manque de conséquences ou de leur crédibilité diminue leur efficacité. Par ailleurs, elle suggère de mesurer et rendre publiques les cas de harcèlement au travail et harcèlement sexuel. En effet, non seulement les femmes en sont les principales victimes, mais les effets du harcèlement sont néfastes pour l’emploi, la santé mentale et physique, ainsi que l’économie.
CONCLUSION
Dans un contexte où la crise sanitaire a particulièrement touché les femmes en termes d’emploi, revenus, perspectives de promotion, charge mentale, violences domestiques et même de déscolarisation pour les filles dans certains pays, le livre Patriarcapitalisme apporte une vision importante pour mieux comprendre le rôle des normes culturelles de genre dans les inégalités femmes-hommes et notre système économique. Si l’on s’attend à un retour-en-arrière avec la crise du Covid et la reprise économique, Pauline Grosjean reste optimiste sur la prise de conscience sur les inégalités femmes-hommes, pour qui « les scandales #MeToo incarnent une demande renouvelée d’égalité ».
(1) Avant 1946 en France, les femmes subissaient un abattement sur leur salaire du fait d’être femmes. La suppression de cette notion avait pour objet d’assurer aux femmes des salaires minima égaux à ceux des hommes de mêmes catégories socio-professionnelles selon Lanquetin (2006). https://doi.org/10.3917/tgs.015.0069