Asie : les mers de tous les dangers
Editorial publié le 21 août 2012, en partenariat avec Ouest France
L'incident qui a opposé, les 17 et 18 août, les gardes-côtes japonais à une embarcation d'activistes chinois autour des îlots Senkaku, contestés entre les deux nations, peut sembler mineur.
Cette escarmouche est pourtant révélatrice d'une situation grosse de dangers sur les mers d'Asie. Forte de sa puissance retrouvée, la Chine entend démontrer sa prééminence régionale. Les mers sont le terrain qui s'y prête le mieux. Les contentieux frontaliers y sont innombrables : on ne sait guère qui a des droits sur la poussière d'îlots et de rochers qui parsèment la mer de Chine orientale et celle de Chine du Sud, et les zones économiques exclusives des pays riverains se chevauchent un peu partout. Ces zones recèlent des ressources convoitées : pêche, hydrocarbures, et demain - peut-être - gisements de nodules métalliques.
La Chine, ayant désormais stabilisé toutes ses frontières terrestres, a la mer pour nouvel horizon stratégique. Au plan régional, celui qui contrôle les voies maritimes contrôle l'Asie. Au plan mondial, il n'est pas de grande puissance sans capacité à protéger partout ses communications. La Chine, puissance montante, sait que si les États-Unis veulent un jour lui donner un coup d'arrêt, le conflit se déroulera sur le théâtre asiatique et sera en grande partie aéronaval. Tout dicte donc au nouveau géant de jouer sur mer. Il s'arme en conséquence : sa flotte sous-marine est de qualité, il aura bientôt deux porte-avions, et il développe une gamme redoutable de missiles terre-mer, air-mer et mer-mer.
La stratégie chinoise est bien rodée. D'abord, provoquer un incident : un chalutier chinois éperonne un garde-côte japonais (Senkaku, 2010), d'autres s'installent pour pêcher dans les eaux philippines (atoll Scarborough, 2012). La cible réagit : les Japonais saisissent le bâtiment chinois, Manille envoie une vedette déloger les braconniers. La Chine montre ses muscles économiques : l'industrie japonaise est privée de terres rares, les bananes philippines sont bloquées dans les ports chinois, et le flot des touristes se tarit brusquement.
Pékin ne recule ni devant la prise d'otages (hommes d'affaires nippons arrêtés pour « espionnage ») ni devant la duplicité cynique (accord de retrait des bâtiments chinois et philippins violé dès que Manille a retiré les siens). Au final, le géant l'emporte: le chalutier éperonneur est relâché, et ses confrères continuent à piller les ressources philippines sous la protection de leur marine.
Le danger est qu'un tel scénario finisse par déraper, d'autant plus que les passions s'échauffent. Le puissant lobby ultranationaliste japonais a lancé une souscription pour racheter les Senkaku à leur propriétaire privé, contraignant le gouvernement démocrate à surenchérir en proposant de les racheter lui-même. Cette « nationalisation » des îlots contestés serait intolérable pour la Chine.
Mais des élections périlleuses attendent les démocrates en 2013. Ils ont déjà reçu deux camouflets, quand le président russe et son homologue sud-coréen, soucieux eux aussi de courtiser leurs opinions publiques échauffées, ont chacun visité en fanfare des îles que le Japon considère comme siennes. Un troisième affront signerait la perte des démocrates. Entre un gouvernement aux abois et un régime autoritaire qui avance ses pions sans scrupule, il n'est pas sûr que la modération l'emporte.