Ce que la crise de Gaza nous dit des affinités indo-israéliennes et de la politique de Modi. Entretien avec Christophe Jaffrelot

Propos recueillis par Corinne Deloy

10/2023

L’Inde a affirmé son soutien à Israël quelques heures après les attaques meurtrières du Hamas sur Israël le 7 octobre dernier au contraire d’autres puissances émergentes telles que la Chine ou la Russie. Comment l’expliquez-vous ?

Christophe Jaffrelot : L’Inde est certes une puissance émergente - et reste membre des BRICS à ce titre -, mais elle se démarque de la Russie et de la Chine à bien des égards. Son rapprochement avec les Etats-Unis est particulièrement remarquable puisqu’elle l’a conduit à rejoindre le Quad, un « club » destiné à résister à la montée en puissance de la Chine. A cela s’ajoute le fait - majeur - qu’Israël est un partenaire stratégique de l’Inde depuis les années 1990, ce qui s’est notamment traduit par des importations de Jérusalem vers New Delhi d’armes très sophistiquées. 

Enfin, les affinités idéologiques qui existent depuis près d’un siècle entre le nationalisme hindou et le sionisme ont été encore renforcées par l’essor de mouvements islamistes transnationaux. Les idéologues de ces deux mouvances voient dans l’Oumma un ennemi propre à les encercler et dans les musulmans vivant dans les frontières de l’Inde et d’Israël une cinquième colonne. Des deux côtés, le « majoritarisme », qu’il soit juif ou hindou, transforme la minorité musulmane en citoyens de seconde zone. 

Narendra Modi n’a pas hésité à comparer les attaques du Hamas aux attentats islamistes que l’Inde a connus en 2008 à Bombay qui ont fait 160 morts. Dans quelle mesure peut-on dire que Narendra Modi exploite les attaques terroristes du Hamas à des fins personnelles alors que les prochaines élections générales sont prévues pour le printemps 2024 ?

Christophe Jaffrelot : En effet, l’Inde est déjà en campagne électorale et dans ce contexte, Narendra Modi a pris l’habitude - depuis vingt ans - de brandir l’épouvantail du terrorisme islamiste. Les attentats terroristes du Hamas lui permettent de raviver le souvenir - tellement douloureux - de ceux qui ont frappé l’Inde dans les années 2000. Il s’agit là d’une politique de la peur et d’une stratégie de polarisation qui peut l'aider à faire de la majorité religieuse une majorité politique. Il s’agit aussi de faire diversion pour jouer la carte identitaire et détourner l’attention d’une situation économique et sociale très tendue. Les résultats des élections régionales du mois prochain nous aideront à mesurer l’efficacité d’un tel stratagème. 

Y-a-t-il néanmoins eu des manifestations pro-palestiniennes en Inde ? 

Christophe Jaffrelot : Bien sûr ! Il ne faut pas oublier que l’Inde a longtemps été du côté des Palestiniens, une position symbolisée par la proximité entre Indira Gandhi et Yasser Arafat. Les partis de gauche - et sans doute le Congrès, même s’il est plus discret - continuent de défendre la cause palestinienne. C’est particulièrement vrai dans le sud de l’Inde où les campus universitaires sont des hauts lieux de la mobilisation anti-israélienne. Mais là-bas aussi, les manifestations ne sont plus aussi faciles à organiser qu’auparavant ... 

Propos recueillis par Corinne Deloy

Photo : Benyamin Netanyahou et Narendra Modi à Tel Aviv le 4 mars 2021.Crédit : YashSD pour Shutterstock.

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